Le champ de bataille

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 Son torse se levait et s'abaissait au fil de sa respiration. Son souffle rauque brisait le silence de la plaine. Ses yeux agités contemplaient son corps qu'il ne reconnaissait plus. Sa bouche frissonnante essayait de formuler des mots. Sa main gauche tâtonnait le sol à la recherche de quelque chose auquel s'accrocher, alors que sa main droite restait coincée sous une charrette renversée. L'homme essaya de hurler, il ne fit que cracher du sang. Pris de rage, il donna des coups de pieds au sol, mais il sentit très vite son énergie le quitter. Au loin, il entendit le croassement des corbeaux. Soudain un cri retentit, puis le silence, ou était-ce son imagination ?

 La nuit épaisse le laissait seul face à lui-même dans l'obscurité. Il ressentait sa fraîcheur sur son visage. Son souffle provoquait un petit nuage de vapeur qui se dissipait aussitôt. Les membres de son corps commençaient à se paralyser sous le froid glacial. Son dos s'enfonçait lentement dans la boue humide. Il se sentait sale, il avait honte de lui-même.

 Son regard se posa sur son armure, autrefois aussi rayonnante que le soleil. Il se souvenait de son sentiment de fierté lorsque son père lui en avait fait don. En soi, elle était la même, aussi belle qu'au premier jour et en même temps plus tout à fait. Elle scintillait maintenant d'un rouge immaculé. Le soldat étira alors son bras gauche et se saisit de son épée qui gisait au sol. Il la brandit tant bien que mal et la contempla un moment. Le jour de son baptême, il avait juré d'en faire usage seulement pour servir ceux dont la vie serait en péril. Pourtant aujourd'hui, la voilà trempée du sang de jeunes hommes. Il toussa bruyamment, sa force vitale le quittait. Une entaille sur son flanc gauche qui partait de la hanche jusqu'aux côtes le vidait de son sang petit à petit. Un rayon de soleil se pointa timidement au sommet de la butte. La lumière envahit alors la plaine. Ébloui, il tourna la tête sur le côté et vit un de ses compagnons. Ses yeux vides faisaient froid dans le dos, son corps glacial restait immobile, sa mâchoire arrachée laissait à découvert sa gorge, sa mort avait été rapide. Les soldats au premier rang ne tiennent jamais longtemps, lui était tombé à l'instant où l'ennemi avait percuté leurs troupes, parmi les premières victimes. Le blessé sourit, les larmes aux yeux. Il se rappelait la veille à peine avoir ri, bu et s'être souhaité bonne chance pour la bataille épique qui s'annonçait.

 Le carnage qui régnait autour lui fit comprendre qu'il n'y avait rien de grandiose à la guerre. Tout empestait, l'odeur du sang se mélangeait à celle de la pourriture. Il fut pris de nausée et eut envie de vomir. Ses yeux n'apercevaient que des corps entassés à perte de vu. Peut-être que certains comme lui attendaient leur heure sagement, recroquevillés sur eux-mêmes, seuls. Dans cette scène macabre les bannières des deux nations flottaient toujours fièrement au vent plantées au sol un peu partout sur le champ de bataille. Il ne savait même pas lequel des deux camps était sorti vainqueur de ce massacre.

 Une vive douleur le sortit de ses pensées. Il jeta alors un coup d' œil à sa blessure. À la vue de son corps meurtri, il devenait alors limpide à ses yeux qu'il n'avait aucun espoir de survie. La fatigue se répandait dans son corps et avec elle la douleur semblait s'en aller, laissant place à un vide apaisant. Sa vue se brouillait et sa respiration si faible devenait inaudible.

 Est-ce que seulement l'armée saura reconnaître à juste titre son sacrifice ? Est-ce que sa famille le considérera comme un homme vaillant et courageux ? Telles étaient les questions qui hantaient ses pensées. Un sentiment de dégoût l'assaillit. Une larme coula le long de sa joue tandis qu'il se demandait pourquoi il avait rejoint l'armée. Pour que son père soit fier de lui ? Pour la gloire ? Pour mourir pitoyablement au combat, tel un pion ? Il aurait voulu pleurer encore, mais ses yeux s'asséchaient. La mort, cette cruelle finalité aurait pu laisser cet homme mourir doucement, méditant sur sa vie. Hélas c'est alors qu'il songeait à sa femme, sur cette ultime pensée réconfortante qu'elle l'emporta.

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