En ma mémoire

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[Texte écrit pour un concours ayant pour thème : "Printemps 1917, le chemin des Dames,... des mutains.]

 Je pensais que tout ceci n’était qu’un affreux cauchemar. Que tout allait cesser du jour au lendemain, que j’allais me réveiller. Que cette horreur allait prendre fin. Mais était aveugle celui qui y croyait. Plus les jours passaient, plus mes camarades et moi-même perdions espoir. Le moral des troupes était au plus bas, ça se voyait. Je m’appelais Gaston Cumont, j’avais été mobilisé le 3 août 1914 alors que je n’avais que 17 ans. A ce moment là, je ne dirais pas que j’étais joyeux, mais j’allais enfin faire quelque chose. J’allais pouvoir me battre pour mon pays et nos valeurs, sortir de l’épicerie dans laquelle je travaillais et de mon village du nord de la France, Cailly. Enfin, j’étais inconscient, je ne réalisais pas ce qu’il m’attendait. Je n’étais encore qu’un enfant dans ma tête, qui pensait que la guerre se déroulerait comme lorsque nous y jouions avec mes copains pendant la récréation. Je ne me rendais pas compte que les fusils ne seraient pas en bois, que les balles ne seraient pas des cailloux, et que la mort serait réelle.

 Après ma mobilisation, j’ai reçu un entrainement rapide afin de savoir manier un fusil. Puis on m’avait envoyé peu de temps après sur le champ de bataille de la Marne. Enfin, je ne me trouvais pas au front. J’étais à l’arrière, et j’avais pour mission d’apporter les vivres dans les tranchées. On me chargeait également de ramener de quoi soigner les soldats, et de l’alcool. Beaucoup d’alcool. Après cette bataille, j’ai eu une permission, et j’ai pu revoir ma famille. J’étais vraiment heureux de les revoir, et je ne me rendais toujours pas compte. Je n’avais vu les conditions de vie des hommes au front que de loin, j’étais seulement de passage à chaque fois, et n’avais que peu de temps pour constater l’horreur dans laquelle ils vivaient. Et puis, je voyais toujours cela comme un jeu auquel jouaient les enfants. Je percevais les choses ainsi. Il fallait dire que j’étais un rêveur, j’espérais voir un jour le monde dans de meilleures conditions. Mais, au fond, j’avais l’impression que jamais je ne le constaterais.

 Une fois ma permission terminée, on m’avait amené au champ de bataille de Verdun. Comme à la bataille de la Marne, je n’étais pas au front, et j’avais pour rôle de transmettre les messages de l’arrière au front, et inversement. C’était une tâche que je prenais très à cœur. Mais contrairement à la première bataille à laquelle j’avais participé, je commençais à voir les choses différemment. En ayant un an de plus, je me mettais un peu plus à réfléchir et à constater ce qui était en train de se passer. Et, j’avais perdu des amis. Pas des personnes qui m’étaient forcément chères, mais des amis quand même. Pourtant, il fallait continuer, c’était ce que nos supérieurs nous répétaient sans arrêt. Qu’il ne fallait cesser de croire à la victoire, et que nos efforts seraient récompensés. Ça n’était que des belles paroles.

 Et voilà le moment où l’on m’annonça que cette fois, je n’y échapperais pas. Je ferais parti des personnes qui iraient au front lors de l’offensive sur le Chemin des Dames. Une offensive qui devait nous mener vers la victoire, et nous ramener chez nous. La dernière de cette guerre. Le moral des troupes qui était alors au plus bas remonta en flèche, et tout le monde reprit peu à peu espoir. Nos supérieurs avaient l’air sincère, et leur plan paraissait tellement efficace. Lorsque nous étions dans les camions, je pouvais lire de la détermination dans les yeux de mes camarades de combat. Tous voulaient revoir leurs femmes, leurs enfants, leurs parents. Moi le premier. Je commençais à en avoir marre de passer d’une bataille à l’autre, tout en sachant que ça n’était pas encore la fin. Mais cette fois-ci, tout était différent. On nous l’avait promise la victoire, avec une telle conviction. J’avais envie d’y croire, pourtant j’étais perplexe. Mais je ne pouvais en parler à personne, je ne pouvais pas retirer ce grain d’espérance que tous avait au fond d’eux.

 Après plusieurs heures de routes, nous atteignions enfin ce fameux Chemin des Dames. Seulement, nous ne nous attendions pas à ça. Nous étions le 14 avril, deux jours avant la fameuse offensive, et il faisait terriblement froid. Mes camarades Sénégalais qui avaient reçu leur entrainement sur la Côte d’Azur furent surpris, et je voyais bien qu’ils n’étaient pas bien. En étant mal habitué, il était vrai que ce temps réfrigérant était dur à supporter. Même moi, qui étais plutôt familiarisé aux basses températures, étais mal en point. Je grelottais, et mes dents claquaient. Mais nous n’avions pas vraiment le temps de nous attarder sur ça. À peine avions nous posé pied à terre que nous devions installer les équipements dans les tranchées, tels que les armes dans la troisième ligne, ainsi que ce dont nous aurions besoin en cas de blessures. Puis nous devions aller mettre les vivres en deuxième ligne. Nous ne pensions même plus au froid qui avait pris possession de nos corps. Il y avait tellement de travail à faire… Tout était étroit, il était difficile de se croiser. Le sol était terriblement dur, et cela me faisait très mal aux pieds. Nous étions là depuis quelques heures seulement à tout mettre en place, et, pourtant, je n’en pouvais déjà plus.

 La nuit fut terrible. Nous dormions par terre, sur de simples draps, histoire de dire que nous n’étions pas sur le sol. Je n’avais pas fermé l’œil, malgré la fatigue qui fermait mes yeux. Entre les plaintes, le vent glacial qui s’infiltrait sous terre, et les casseroles pendantes qui s’entrechoquaient, il y avait de quoi devenir dingue. Et ça n’était que notre première nuit ici. Enfin, au lever du soleil, personne ne se plaignait. Dans quelques jours au plus tard nous serions de retour auprès de nos familles, c’était ce qui motivait tout le monde. Courant cette journée du 15 avril, on pouvait sentir la pression, l’impatience, l’excitation chez les soldats. Moi, je ne savais pas quoi penser. Tout ce que je voulais, c’était que ça se finisse au plus vite. Le froid était encore au rendez-vous, mais mes camarades n’y prêtaient guère attention. C’était comme s’ils avaient des œillères, qu’ils ne pouvaient se concentrer que sur une chose, la guerre. Et c’était tout à fait compréhensible. Ils se voyaient déjà tous chez eux, cela se voyait sur leurs visages. C’était à la fois beau et triste à voir à la fois.

 Il était cinq heures et demie du matin. Dans une demi-heure, nous allions lancer l’offensive sur les forces Allemandes. Cependant, nous avions eu droit à une surprise lors de notre réveil : il avait neigé pendant la nuit. Il faisait encore plus froid que les deux jours précédents, et nos vêtements n’étaient pas conçus pour la neige. Mes camarades, et Sénégalais notamment, tremblaient. Nous étions frigorifiés. Mais nos supérieurs ne cessaient de nous dire que nous allions nous réchauffer lorsque nous serions sur le « No Man’s Land ». A, quel beau nom pour un si moche endroit ! Désert, avec des fils barbelés de toutes parts. Nous allions devoir courir là dedans, armés, avec un équipement pesant un âne mort. « Ne pensez pas à ça, concentrez vous sur votre destination, et sur ce que vous avez à faire. Nous devons, et nous allons réussir. », Clamaient nos supérieurs à chacun des soldats.

 « L’heure est venue, confiance, courage, et vive la France ! » proclama le général Nivelle, celui qui nous avait promis monts et montagnes. Le courage, c’est ce dont avait besoin les soldats. Un coup de sifflet, et c’était parti. Chacun leur tour, ils grimpèrent sur les échelles qui nous permettaient d’atteindre le lieu maudit, le « No Man’s Land ». J’étais derrière, j’allais donc monter dans les derniers. Et puis, ce fut mon tour. J’arrivai en haut, lorsqu’un obus allemand atterris non loin. Je tombai alors au sol, et plus aucuns sons ne parvinrent à mes oreilles. Ma vision était floue. C’était comme si, pendant un instant, je ne me rappelais plus de rien. Je me relevai avec difficultés, et ne put qu’observer le massacre. Les troupes ennemies étaient prêtes, ils ne leur avaient sûrement fallu que se lever et se mettre en place. Les tirs de balles affluaient, je voyais mes camarades ayant un dernier spasme avant de s’écrouler lourdement sur le sol. Le sol avait transformé le doux tapis de blanc en un rouge écarlate. Les obus tombaient du ciel comme les flocons qui entamaient doucement leur chute depuis les nuages. Le seul réflex que j’eus fut de me cacher derrière un arbre mort, de m’accroupir et de prier. L’offensive qui devait tout achever venait d’ôter la vie à des centaines d’hommes qui avaient encore espoir et croyaient encore à la vie, à un futur meilleur.

 Tout le monde hurlait dans la tranchée, le sol n’était qu’un bain de sang criblé de gerbes de terre, de boue, de pierres qu’avait fait exploser les obus. La douleur s’était emparée de chacun, et leur moral s’était envolé. Les balles, les éclats d’obus venaient de leur retirer une partie de leur âme, de leurs croyances, de leur avenir, de leur espoir. On leur avait promis, mais promettre n’est à faire que lorsqu’on est sur de soi. Je marchais dans les tranchées, les oreilles sifflantes. Et je m’en voulais. De m’être défilé, de n’avoir aucune blessure physique, d’avoir laissé les autres mourir. C’était seulement à ce moment là que je pris conscience de l’ampleur de la guerre, des dégâts et des pertes qu’elle entrainait. J’avais grandis, et je ne voyais plus les choses comme avant.

 La neige n’était plus, et la pluie l’avait remplacée. Les tranchées n’étaient plus que de la boue, dans laquelle nous pataugions toute la journée. Nos vêtements étaient trempés, nous n’avions rien pour nous changer. La puanteur de la mort avait posée sont empreinte dans tous les recoins. Les camarades tombés jonchaient le sol, recouverts de terre, et il n’était pas rare que l’on marche dessus. Les rats se promenaient un peu partout, et se permettaient même d’attaquer nos vivres. Nous mangions peu, et la faim nous tiraillait le ventre. Rares étaient les moments où l’on pouvait dormir, et encore nous n’arrivions qu’à nous assoupir. Les obus pleuvaient du ciel, le bruit était insupportable, du moins au début. Plus les jours passaient, plus l’on devenait fou. Lorsqu’on marchait dans les tranchées, on pouvait souvent entendre les pleurs des soldats écrivant leur dernière lettre à leur femme, à leur famille. On continuait à nous faire de belles promesses, mais plus personne n’y croyait. Tout le monde avait perdu espoir.

 On nous avait fait parvenir des messages, comme quoi il y avait des mouvements de révolte dans les autres tranchées. Et cela motiva quelques uns de mes camarades. Ils refusèrent pour certains de monter pour se faire tuer. Mais ce ne fut pas par les balles ennemies qu’ils perdirent la vie. Pour d’autres, ils se taillaient le bras, se tranchaient la jambe afin de retourner à l’arrière. Mais cela ne marchait pas toujours. Et à nouveau, on les abattait. D’autres choisissaient la fuite, et, dans ces cas là, il ne valait mieux pas pour eux qu’on les retrouve. Je trouvais ça ridicule. Nous perdions déjà des hommes dans le « No Man’s Land », pourquoi perdre notre temps à tuer des hommes qui avaient tout simplement peur de monter ? Et puis, ça n’était pas nos supérieurs qui allaient au casse-pipe, c’était nous, nous qui payions de nos vie pour leurs futilités. Des personnes, par centaines de milliers, qui n’avaient rien demandé, et qui devaient monter, le fusil à baïonnette sous le bras, à courir pour se faire détruire par un obus ou une balle. C’en était trop.

 J’avais vingt ans lors des faits. Nous allions, une fois de plus lancer une offensive qui allait sans doute ne mener à rien, comme toutes les autres. Je préparai mes affaires, et je pouvais entendre les soldats pleurer dans leur coin, récitant une prière, en demandant à Dieu de veiller sur sa femme et ses enfants. D’autres ressortaient, probablement pour la dernière fois, une photo de leur famille de leur poche, versant des larmes, la serrant contre leur cœur, fermant les yeux. Et pendant ces moments d’intimité, nos supérieurs nous pressaient. Ils ne laissaient même pas le temps à leurs soldats de faire un dernier adieu silencieux à leurs proches. Il fallait qu’on soit présent pour se battre, point. La colère commençait à monter en mon fort intérieur. Il était temps que ça s’arrête, que tout prenne fin, et que chacun d’entre nous rentre chez lui. Il était temps que, à mon tour, je fasse quelque chose.

 À nouveau, j’allais me retrouver dans les derniers à monter au casse-pipe. Mais je me frayai un passage parmi les miens, afin de me poster devant mon supérieur, le général Nivelle. Celui qui nous avait fait tant de promesses. Il était temps qu’il voit la réalité, qu’il se rende compte que les soldats n’étaient pas dupes, du moins plus comme avant. J’avais tout prévu. J’avais un plan. Et peu importe les conséquences, j’allais lui montrer que tout le monde ici en avait marre. Il allait donner le coup de sifflet annonçant la sortie des tranchées, mais je me mis devant lui. Il me regarda, étonné.

« Regagnez votre rang soldat. » dit-il simplement. Soldat ? J’étais certain qu’il ne connaissait pas mon prénom. En même temps, nous étions des milliers. Et puis, à quoi bon retenir le prénom de personnes qui vont bientôt mourir pour eux ?

« Non. » rétorquais-je, sèchement.

« Excusez moi jeune homme, mais je ne conçois pas que mes soldats me manquent de respect. Retournez à votre place, c’est un ordre. »

« Parce que maintenant nous sommes votre propriété ? Parce que l’on vous doit du respect, alors que vous nous envoyez nous faire tuer ? Pourquoi donc n’iriez vous pas sur le champ de bataille, voir ce qu’il se passe ? » Répliquais-je agressivement.

« Je sais très bien ce qu’il s’y passe. Et c’est bien malheureux. Mais nous avons besoin de ça pour un avenir meilleur. » Dit-il agacé.

« Ah, c’est sur que construire un avenir sur de telles bases, ça promet ! Vous voulez un futur, mais vous n’aurez que le traumatisme des populations, qui n’oublieront jamais ce qu’il s’est passé. Tout sera gravé dans leurs mémoires, et vous aurez beau construire tout un tas de monuments qui rendront hommages aux soldats tombés, personne, je dis bien personne ne pourra se reconstruire. Est-ce une vie de se rendre sur une tombe, chaque jours, afin de poser délicatement une rose à celui qu’on a perdu ? Est-ce une vie, pour les survivants, de revoir les images en boucle dans leur tête, avec la peur constante au ventre ? Pensez vous que votre guerre est efficace ? Cela fait désormais deux ans qu’elle dure, et nous, les soldats, nous commençons à en avoir marre de toutes vos belles paroles ! Il est temps que tout cela cesse. Allez donc vous battre vous, car nous nous n’avons rien demandé. Tout ce que l’on veut, c’est rentrer chez nous, au chaud, auprès des êtres qui nous sont chers. Si c’est si important pour vous, allez donc là faire, la guerre ! Arrêtez donc d’envoyer de pauvres innocents là-haut, alors qu’il leur reste encore tant d’années à vivre. Vous arrachez la vie de millions d’hommes, c’est honteux. Il est temps que vous ouvriez les yeux, et que les pays s’arrangent de façon pacifique. Nous nous entretuons au lieu de vivre, de profiter de notre vie. L’homme est bête, car pour lui la guerre est la seule solution. Mais arrêtez donc d’embobiner tout le monde dans vos histoires. Réglez ça entre vous, et laissez les autres vivre et être libres de leurs actes, car là, on ne nous a pas vraiment laissé le choix. Comme vous ne me laissez pas le choix actuellement. » Déclarais-je, puis je pris mon couteau, et me fis une grande entaille dans le bras. Une vive douleur s’empara de mon bras. « Désolé, mais je ne peux plus combattre. »

 Ce furent les derniers mots que j’ai prononcé. Comprenez, il fallait que je le fasse. Il fallait que quelqu’un leur dise. J’espère que ma lettre vous parviendra bien. Vous savez, papa et maman, j’ai toujours rêvé d’un monde meilleur. Mais, malheureusement, je ne le verrais jamais. Pardonnez-moi, et sachez que je vous aime du plus profond de mon cœur. Le général Nivelle à décidé d’en finir avec moi. D’ici une dizaine de minutes, je m’endormirais pour l’éternité. Ne pleurez pas, allez de l’avant. Partagez ma lettre, que les gens puissent se rendre compte de ce que les soldats ont vécu, de ce que j’ai vécu. Cela témoignera, et laissera une trace de cet enfer que nous avons traversé. J’ai toujours pensé fort à vous, vous avez toujours été ma force, mon courage. Je m’en irais avec notre photo sur le cœur. Je vous embrasse.

Gaston CUMONT.

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