Prologue

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 Il fut un temps où d'étranges terres existaient encore, regorgeant de peuples et de créatures aussi variés qu'inconnus. Elles erraient au milieu des mers et des océans que nous connaissons aujourd'hui depuis les premiers temps de la création. Beaucoup de ces régions ont été englouties par les âges, mais il en est au moins une qui ne fut qu'oubliée. Perdue aux yeux des Hommes, les légendes racontent cependant son histoire, mêlant rêves et souvenirs pour créer un récit que l'imagination seule peut concevoir. Cette terre était l’Alland, et voici comment s’est tissée la trame de sa saga.

 Ce récit débute dans les froides contrées du Nord, alors qu'un loup seul et isolé parcourait la lande sous la douce lueur de la lune. Dans la nuit enneigée, il passait comme une ombre pâle au milieu des flocons dansants. La noirceur de la nuit n'était percée que par les étincelles des étoiles et de l’astre blanc, tandis qu'au loin résonnait le chant de ses frères. Mais bien vite, une autre mélodie vînt se mélanger et s'accorder avec eux. Le jeune loup reconnut une voix différente de celles des autres, une voix plus légère, plus calme, plus humaine, portée par le vent. Tournant la tête dans l'obscurité, ses yeux décelèrent les lumières naissantes à travers les lointaines fenêtres d'un terrier humain. Alors que l'air paisible gagnait la lande, celle-ci sembla s'éveiller doucement sous un nouveau jour nocturne. Les feuilles des arbres frémirent tandis que nombre de créatures de la nuit se réveillèrent.

- Le jour s'achève, le Soleil meurt, la Lune se lève et les loups pleurent…

 Des lueurs se mirent alors à briller dans la nuit, le ciel s'illuminait de milliers de torches argentées, tandis que d’ardents reflets s’élevèrent dans la lande, embrasant peu à peu les collines, les rivières et les vieux arbres. Une centaine d'aurores éclairèrent alors les terres gelées et les rochers craquelés.

- Je ferme les yeux et je les vois, tous ces cauchemars qui viennent pour moi…

 Des chiens aboient, des loups hurlent, des corbeaux s'envolent. La lande se met à hurler, à crier, à vociférer, à railler, à brailler.

- Je ne m'en fais pas, car vous êtes là, avec moi et levant vos bras…

 Des formes sombres prennent vie à la lueur des torches, d''immenses ombres courant et hurlant, agitant de longs bras aux griffes gigantesques et aux longues lames effilées.

- Je lève le mien et sèche mes larmes, mes rêves ont dégainé leurs armes.


***


 Un garçon ne dormait pas cette nuit-là. Il connaissait par cœur cette berceuse qui résonnait chaque nuit dans sa tête depuis le premier soir de sa vie et qui, accompagnée au dehors du chœur plaintif des loups, l'avait toujours aidé à s'endormir.

 Mais ce soir-là, la nuit était trop belle pour cela. Son ami loup errant seul dehors, il prit son courage à deux mains et sortit fouler la neige, en prenant grand soin de ne pas alerter ses parents, qui chantaient désormais pour une nouvelle venue. Ce n'était pas la première fois qu'il s'aventurait dehors en pleine nuit pour rejoindre son compagnon d'aventure, et il savait être prudent. Enfournant son lourd manteau blanc, il se mit à courir dans la neige et rejoignit son camarade de jeux qui l'attendait. Les deux amis se mirent à courir dans la lande, pistant les petites bêtes de la nuit, jouant à se cacher et à se dénicher dans la neige, ou tout simplement à explorer ces terres gelées dont la beauté calme n'avait pas d'égale.

 Bien vite cependant, le froid le gagna, et son excitation diminua à mesure que son lit s'éloignait de lui. Après de longues minutes à errer dans la lande, ils décidèrent de se reposer quelques instants, et s'accroupirent près d'un rocher, quand celui-ci se mit à luire d'une lueur brûlante. Le garçon s'apprêta à lever la tête quand de vagues ombres difformes émergèrent dans la nuit.

- T’es sûr que c'est sans risques ? grinça une première voix, un peu tremblante.

- T'inquiète pas va, ils dorment tous à c’t’heure-là, et quand bien même, on est des centaines et ça aime pas le feu ces bêtes-là ! lui répondit une deuxième voix, ricanante.

 Le louveteau se cacha avec son ami, ne voulant pas se faire surprendre en train de traîner dehors à une heure pareille. Des ombres, il y en avait effectivement des centaines désormais, avec autant de torches.

- Allez venez les gars, on va roussir du cabot ! beugla la deuxième voix.

 Les ombres s'avancèrent.

 L’enfant s'emmitoufla dans son blanc manteau, se fondant dans le décor immaculé, baigné de centaines de lueurs rouges et orangées, gardant son ami près de lui.

 Les ombres passèrent et le longèrent, sans même le remarquer.

 Elles disparurent dans la nuit. Malheureusement, les silhouettes inquiétantes étaient désormais entre lui et sa maison, qu'il savait loin. Le jeune louveteau attendit quelques instants avant de les suivre à pas de loups. Avec un peu de chance, il arriverait à rentrer dans son lit sans troubler la trame discrète de cette nuit.

 Sauf si…

 La lueur devant lui se mît à croître, à grandir à une vitesse folle. Bientôt, une immense tâche orange se dessina à l'horizon, perçant même la noirceur de la nuit.

 Il s'avança, flanqué du loup blanc, pour observer ce curieux phénomène.

 Il s'avança.

 Il voyait à présent les ombres griffues hurler vers cette tâche rougeoyante, agiter des torches en tous sens avant de les lancer vers…

 Sa maison.

 Elle était en feu. Un immense incendie noyait la bâtisse dans une tempête rougeoyante. Le toit, les murs, les portes, tout baignait dans les flammes. Il en sortait des fenêtres, des trous dans le toit et des portes éventrées.

 On entendait des hurlements venant de l'intérieur. Ceux d'une femme, effrayée. Ceux d'enfants, apeurés. Ceux d'un homme, enragé.

 Et ceux d'un nourrisson.

 Le garçon était tétanisé par la peur et par l'horreur de la situation. Pourquoi ? Cela ne se pouvait ! Ce n'était pas le genre de cauchemars qu'il voulait affronter. Aucun de ses muscles ne pouvaient ni ne voulaient bouger.

 Il ne le fit pas. Il avait du mal à respirer, de même qu'aucune larme ne brûlait ses joues.

 Il était tétanisé, et les flammes achevèrent leur œuvre.


***


 Les ombres étaient parties. Les flammes s'étaient éteintes. Les cris avaient cessé.

 Il ne se souvenait pas combien de temps il était resté là, ne ressentant pas le froid, vidé de toute émotion et de toute sensation autre que la peur. Le loup était resté avec lui, pressentant ce qui allait apparaître devant eux. Lorsque l'aube rafraîchit ce qui n'aurait jamais dû brûler, il parvint enfin à bouger. Dans son manteau, il était demeuré invisible aux yeux de ces ombres, qui n'avaient d'ailleurs eu d'attention que pour le brasier. Il atteignit les restes fumants de ce qui avait été son chez lui.

 Tremblant de froid comme de peur, l’enfant marcha lentement au milieu des décombres, encore sous le choc.

 Il trouva des restes de lits fracassés, et au milieu, de grosses buches calcinées. Des restes humains. Ses frères. Alors il retrouva ses sensations, et il éprouva du chagrin et de la haine.

 Il trouva plus loin un grand amas de décombres fumantes, et au milieu, deux grandes formes noircies par la mort. Mais ce n'était pas du bois, et ses parents furent à jamais figés dans le chant de la peur. Et au milieu d'eux, un petit corps gisait, sans vie, sans forme.

 Alors il retrouva ses larmes, et ses muscles tremblaient d'une rage et d'une rancœur qui ne seraient pas contrôlée.

 Ses larmes coulaient à présent abondamment, brûlant ses joues, inondant ses yeux.

 Des yeux jaunes, injectés de sang.

 Des yeux qui ne recelaient plus aucune humanité

 Et le Loup se releva.

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