Chapitre 5

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Dans un mouvement harmonieux, tous les convives se tournèrent et applaudirent notre entrée avec enthousiasme. Ils relevaient d'une élégance sans nom. Hommes comme femmes avaient revêtu leurs plus beaux atours. Je n'osais plus bouger ni même respirer, ne me sentant pas à ma place dans un lieu si fastueux. De plus, tous les regards braqués sur moi n'arrangeaient rien à mon malaise. Ma peau me démangeait. J'avais hâte qu'on mette fin à ce supplice.

Délicatement, Ivan saisit mon poignet et m'intima d'avancer vers une petite estrade en marbre qui se dressait au milieu de tous ces visages étrangers. Tel un automate, je le suivis sans piper mot. Mes talons claquaient sur le parquet, et les centaines d'oiseaux de verres qui illuminaient la salle mettaient chacun de mes défauts en lumière.

Je n'aurais jamais pensé un seul instant que ce moment pourrait être aussi angoissant. Cependant, avant que mon flegme ne me déserte totalement, une femme vêtue d'une longue robe grenat se dégagea de la foule compacte. Elle semblait irréelle, illusoire, et telle un spectre, elle approchait... En fait, elles étaient plusieurs à s'avancer vers moi, toutes habillées de la même façon. Seules les couleurs qu'elles arboraient me permettaient de les différencier. Les grandes prêtresses étaient prêtes pour ma cérémonie...

Soudain, ma vue se brouilla, et une horrible odeur que je ne pensais plus sentir de si tôt me parvint. C'était comme si je me trouvais dans une pièce où l'on avait laissé moisir du gibier pendant plusieurs siècles. Pas de doute à avoir, la mort m'avait rejoint ... A l'inverse de la première fois où je l'avais rencontrée, je n'avais pas peur car cette fois j'étais vivante... Malgré ma semi-conscience, une question persistait, et se répétait en boucle dans mon esprit embrumé: « Ou suis-je ? ». Je me trouvais dans une boucle hors du temps. Plus aucun bruit ne me parvenait, seules les ténèbres régnaient en maîtres.

Étrangement, mes paupières devinrent rapidement lourdes. Toutefois, avant que je ne m'assoupisse, un subit grésillement se fit entendre, venant troubler l'étrange quiétude qui habitait ces lieux. Dérangée, je me redressai et tâtonnai dans le but de mettre la main sur la source de cet abominable bruit. Toutefois, au bout de ce qui me semblait durer une éternité, j'entendais toujours cette assourdissante tonalité.

Je n'en pouvais plus, il fallait que ça cesse. Alors que je perdais espoir, une gigantesque lumière blanche se présenta à quelques mètres de moi, et il semblait qu'elle fût la source de mon tourment !

Bouchant mes oreilles, je serrais les dents et avancée. Quand j'arrivais enfin à mon but, je m'écroulais à bout de force. Je hurlais, griffais et tirais sur mes oreilles douloureuses. L'intensité augmenta de plus en plus, me poussant vers les précipices de la folie.

Puis, aussi soudainement que ça c'était produit tout cessa. Tout s'effaça, le bruit, le noir. Tout.

Allongée à même le sol, je haletais ne comprenant toujours pas ce qui se passait.

J'étais de retour sur Revenge, et tous les convives me dévisageaient avec à la fois curiosité et admiration. Sous leurs regards émerveillés, j'avais l'impression d'avoir accompli un exploit alors que j'étais perdue et apeurée face à tant de visages qui m'étaient inconnus.

Toujours impassible dans son élégant smoking gris, Ivan se détacha de cette foule et me releva sans effort. Égarée, j'essayais de récupérer mon sang froid. J'affichais une expression neutre qui ne laissait transparaître aucune de mes émotions, et chuchotais d'une voix qui elle ne trompait pas sur mes états d'âmes :

- Que c'est-il passé?

- Vous venez de réussir votre cérémonie de la renaissance avec brio. C'était impressionnant !

- Mais qu'ai-je fait ?

- Vous ne vous en souvenez plus ? s'étonna-t-il alors que nous quittions la salle.

- Où allons-nous ?

- Répondez d'abord à ma question.

- Je... Non, je ne comprends pas ce qu'il m'est arrivé. Je n'étais plus ici, j'ai été comme téléportée dans un autre monde...

- Impressionnant, s'exclama-t-il les yeux brillant d'une lueur nouvelle. Qu'avez-vous vu au juste ?

- Je veux savoir où vous m'emmenez, répétai-je d'un ton plus dur.

- Dans votre chambre afin que vous vous reposiez pour poursuivre la suite des festivités.

- Avant que je ne vous explique ce que j'ai vu, j'ai besoin de comprendre en quoi consistait ce test ?

- Votre esprit est entré en liaison avec l'au-delà. Vous aviez deux choix : soit vous décidiez d'y rester pour l'éternité sans vous venger. Soit vous reveniez sur Revenge, dans le but de faire payer ses crimes à votre assassin.

- Mais je...je ne me souviens pas avoir fait un tel choix !

- C'est normal, ce n'est pas le vôtre à proprement parler. C'est celui de votre âme...

Perplexe, je réfléchissais à ce qu'il affirmait. C'était vraiment étrange. Pourquoi aurais-je choisi cette voix sanglante alors qu'on m'offrait la paix pour toujours sans que je n'ai à fournir aucun effort. Cet épisode n'était sans doute qu'une banalité. Tout le monde faisait sans doute ce choix.

- Et en quoi était-ce si impressionnant ?

- Ça n'a duré que quelques minutes, rassurez-vous, mais votre corps s'est mis à briller et vous avez fredonné une chanson très ancienne que seules les prêtresses comprennent. Elles semblaient ébranlées...

Encore une fois, il me déstabilisait. Je ne savais pas quoi dire, je ne me souvenais pas avoir fait une telle chose. Surtout que je ne connaissais aucune chanson en grec...

- Mais ce n'est pas la seule chose étrange qui s'est produite, poursuivit-il d'une voix remplie de mystère. La plupart du temps, les cérémonies durent plusieurs heures. La vôtre n'a pris qu'une demi-heure...

- Je ne vois pas où est le problème.

- Eh bien, comparé à la majorité des Revengien vous n'avez pas douté de votre destinée. Vous saviez que vous deviez vous venger.

Je n'en revenais pas, il insistait encore sur le fait que mon âme avait choisi de tuer. Où était le problème ? Je n'étais pas la seule à avoir fait ce choix. La preuve, toutes les personnes présentes ce soir s'étaient vengées...

Décidant de ne plus relancer la conversation, je le suivis jusqu'à ce qu'il s'arrête devant une gigantesque porte en cèdres où était gravé : η αιωνιότητα ανήκει στους νεκρούς.

- L'éternité appartient aux morts, traduisis-je. C'est très philosophique... Pourquoi avoir choisi cette phrase ?

- Je n'en ai aucune idée. A vrai dire, je ne comprends même pas le grec.

- Si vous voulez, je peux vous apprendre.

J'avais prononcé ces mots sur un coup de tête. Cependant, même si nous étions partis sur de mauvaises bases, il fallait que j'apprenne à le connaître, car il était potentiellement l'une des seules personnes qui pourraient devenir mon allié.

- J'en serais ravi, répondit-il étonné.

Sur cette note encourageante, il actionna la poignée et pénétra dans ma nouvelle chambre.

A l'image du château, elle était splendide.

Le carrelage en marbre rose brillait sous la lumière que diffusait un énorme lustre en verre ocre, lui-même mis en valeur par une superbe tapisserie argentée qui recouvrait chacun des murs. L'énorme méridienne et le lit à baldaquin finissaient le décor avec leurs douces étoffes.

Prise d'un regain d'énergie, je me mis à inspecter les lieux avec émerveillement. L'espace d'un instant. J'étais redevenue une petite fille...

Chaque détail avait été pensé avec soin. Tout jusqu'à l'immense baignoire en fonte qui trônait en plein milieu de la chambre avait été sélectionné avec goût.

Un léger toussotement vint me sortir de ma contemplation :

- C'est ici que vous vivrez le temps que vous accomplissiez votre vengeance. Une servante sera mise à votre disposition pour répondre à vos attentes.

- Je...je n'ai pas besoin de servante... Je sais m'entretenir seule.

- J'en doute, fit-il avec un sérieux qui me glaça le sang. Les cercles intérieurs de Revenge sont d'une extrême rudesse. Vous vous devez être parfaite à chaque instant afin d'honorer les couleurs de votre cercle.

- Mais comment faire ? Je viens à peine d'arriver. Je ne connais rien à vos coutumes.

- Je veux bien vous les enseigner. Toutefois, l'étiquette Revengienne est très complexe. J'ai moi-même mis plus de cinquante ans avant de réussir à la maîtriser complètement.

- Cinquante ans, m'exclamais-je. Mais c'est impossible ?!

- Notre rapport à l'âge est différent quand on est immortel...

J'avais encore une fois oublié que je ne faisais plus face à des humains... Moi aussi, je ne l'étais plus. Pourtant, je ne ressentais aucun changement d'ordre physique. J'avais conservé la même apparence qu'avant ma mort. Allai-je garder cette jeunesse éternellement ?

- Comment se fait-il que vous paraissiez si jeune ?

- Quand vous accomplissez votre vengeance, votre corps garde l'apparence que vous aviez avant votre mort tandis que vous acquérez le don de l'immortelle.

- C'est incroyable. Quel âge avez-vous ?

- Première leçon : ne demandez jamais son âge à un Revengien. C'est un énorme manque de respect.

- Excusez-moi, je ne savais pas, bégayais-je en rougissant de honte.

- Théoriquement, j'ai septante ans... J'étais le dernier σκότωσε avant votre arrivée. Tous ceux qui m'ont succédé ont décidé de laisser la vie sauve à leurs assassins et de rejoindre l'au-delà. Sauf vous...

Il commençait réellement à m'énerver avec cette histoire de choix... J'avais l'impression que cela me placer au statut de spécimen rare.

Le regard de mon chaperon se plaça sur la montre en or massif qu'il arborait et il s'exclama d'une voix faussement navrée :

- Les festivités ont repris, il va falloir que vous honoriez les invités de votre présence.

- Allons-y. Plus vite j'y serais et plus vite ça se terminera.

***

Depuis plus d'une heure maintenant, j’enchaînais valses, menuets, et un tas d'autres danses qui m'étaient inconnues jusqu'alors. Je me contentais de suivre les pas de mes cavaliers plus ennuyants les uns que les autres. C'était la première fois que j'assistais à un bal de ce type. Heureusement que ça n'existait plus sur terre ! Mes pieds étaient littéralement en compote.

Abandonnant mon partenaire pour me rafraîchir, je fus accostée par un groupe de femmes qui m'épiaient depuis déjà un moment. Voulant tromper mon ennui, je leur souris tandis qu'elles se présentaient.

Elles étaient agréables, polies, et d'une beauté sensationnelle. Cependant, je n'arrivais pas à apprécier leur compagnie. Je n'avais pas les mêmes centres d'intérêts qu'elles...

- Avez-vous vu la toilette de lady Lorena ? me questionna une certaine Agata.

Étrangement, quand Ivan aperçut que je discutais avec ces charmantes femmes, il apparut à mes côtés. Surprise, je ne prêtais pas attention à son manège.

- Qui est-ce ?

Alors que mon interlocutrice allait répondre, Ivan la coupa sans se soucier des mines choquées de ces « dames du monde ».

- Si vous voulez bien nous excuser, lady Ashley m'a promis une danse.

Sans plus attendre, il tourna les talons et m'entraina à sa suite.

- Mais que vous prend-il ? m'écriai-je quand nous fumes à l'écart de la foule.

Sans me répondre, il me saisit par la taille, me menant une seconde fois sur la piste de dance. Prise au dépourvue, je hoquetais et essayais de me dégager en vain.

Énervée, j'enfonçai l'un de mes talons dans son pied. Il grogna, mais ne dit rien. Dés qu'ils nous virent, les autres couples se séparèrent, nous laissant seuls au milieu de la piste de danse. J'étais horriblement embarrassée, et pour ne rien arranger, l'homme que j'avais quitté sous prétexte de fatigue nous lançait des regards noirs...

Je pus enfin respirer quand la musique s'arrêta. Sans plus attendre, les convives nous applaudirent. A l'autre bout de la salle, la prêtresse du cercle de Jade demandait le silence, tandis que la prêtresse de mon cercle s'éclaircissait la voix :

- Maintenant que notre nouvelle étoile a clôturé les festivités, nous pouvons procéder à la remise de sa cape de transfert.

- Allez-y, chuchota Ivan.

Sans plus tarder, je m'avançai. Tous les regards braqués sur moi me mettaient mal à l'aise. J'essayais de paraître calme, assurée, et gracieuse malgré les tremblements qui animaient mes mains.

Quand je fus à son niveau, la prêtresse drapa une lourde cape en velours pourpre sur mes épaules et déclara d'une voix profonde, ruisselant d'une magie invisible :

- θα ρέει αίμα ή θα πεθάνεις

Le sang coulera ou tu mourras...

En une phrase, elle venait de sceller mon destin à tout jamais...

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