Chapitre 44

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 « Vendredi 1er mai : 21 heures 03. Pessac. Roxane est partie à Nice ce matin avec le train de cinq heures. Et de là… Même si elle ne me l’a pas écrit dans sa lettre, je sais qu’elle est ici. Je le sens. D’ailleurs, où irait elle pour finir ses vacances : A Marseille toute seule avec sa peine ? De quoi déprimer gravement ! A Nice, chez sa cousine ? Trop de crainte que nous nous croisions dans la rue, dans le tram, sur la plage… Versailles, chez sa sœur ? Entre les mondanités et la petite Louise d’un mois et quelques, elle n’aurait pas beaucoup de temps à lui consacrer. Reste Pessac et l’avantage d’être dorlotée par sa mère, et surtout par son père.

La nuit porte conseil. Je vais réfléchir au meilleur moyen de la ramener à la raison, de lui faire comprendre qu’elle a fait fausse route en me quittant. Elle m’aime, je l’aime. Depuis dix-huit ans, nous sommes faits l’un pour l’autre. Mais elle n’est pas dans son état normal. Elle a été manipulée. Je sais par qui ; mais, cette fois ci ils ne m’auront pas, même s’ils m’ont menacé de la faire mourir pour de vrai, devant mes yeux, si j’essayais de la revoir. Non, ils ne la tueront pas. Roxane ne mourra pas… ou je mourrai avec elle.

Quand ils ont compris que les cauchemars n’avaient plus de prise sur moi, ils ont instillé en elle : la jalousie, la mesquinerie, la possessivité (trois défauts dont elle est dépourvue) et ça a été une suite de scènes, jusqu’à hier soir, peu avant que nous nous couchions...

22 heures 36 : De nouveau dans ma chambre d’hôtel. Dîner : une sole meunière avec riz et pommes de terres vapeur, arrosé d’un Bordeaux blanc ; puis, une salade de fruits.

… Après ma déclaration devant Jésus, les Saints et les trois bigotes, nous sommes sortis de l’église en riant comme des bossus. Elle s’est blottie contre moi en me répétant qu’elle n’avait jamais douté de mon amour pour elle ; puis, comme si elle avait été piquée par une aiguille maléfique ou pire, comme si le démon s’était logé en elle, elle m’a regardé méchamment et :

« De quel droit tu t’es permis de parler de mes hanches amples et mon ventre accueillant, de mes seins gonflés de lait qui nourriront notre progéniture, m’a-t-elle lancé méchamment. C’est toi qui es gonflé. Toi qui m’as traitée d’inconsciente, d’irresponsable, lorsqu’amoureusement j’ai posé ta main sur mon ventre pour t’annoncer que j’étais enceinte. Tu as même exigé que j’avorte. Et là tu parles de notre progéniture ?

— C’était un cauchemar, Roxane ! Tu me crois vraiment capable de te dire une telle monstruosité ?

— Je te crois capable de tout. Il faut toujours croire aux messages qu’envoie l’inconscient. C’est bien Alex Cantié qui l’a écrit, n’est-ce pas ? ‘’Les ténèbres d’Aurore’’ chapitre quatre. » Un ange ténébreux est passé : « Laisse-moi, maintenant. »

Elle est partie en courant. Je suis resté à moitié groggy après ce deuxième coup de massue de la journée.

Quand je suis entré, un parfum de tomates, d’aubergines, de ciboulette et d’ail, embaumait la cuisine, elle s’est tournée vers moi. Elle s’était douchée et ses yeux étaient gonflés et rouges. Elle avait préparé de la moussaka (j’adore !!). Je suis monté prendre ma douche et, lorsque je suis redescendu, elle avait mis le couvert, remplis nos verres de vin rouge et copieusement rempli nos assiettes.

« J’ai vu qu’il y a un train pour Nice à quinze heures trente, m’a-t-elle annoncé d’un ton triste et las, après que nous avons avalé les trois premières bouchées dans un silence sépulcral. Je vais le prendre. Je vais m’en aller. Je… » Elle s’est interrompue pour réprimer un sanglot : « Je souffre et je te fais souffrir. Je suis cruelle avec toi, alors que je t’ai supplié de ne pas l’être avec moi. Tout à l’heure tu m’as fait la plus sincère et la plus émouvante des déclarations. En plus, venant de toi, elle l’est encore plus, parce qu’elle ne date pas d’aujourd’hui, ni d’hier, ni d’avant-hier ni du mercredi de nos retrouvailles devant le parc Borély ; mais de cet été 1997 inoubliable, où chaque mot banal que tu me disais, chaque regard bienveillant que tu posais sur moi, faisait vibrer mon cœur de gamine. » Nouvelle pause, nouveau sanglot contenu : « Tu m’as fait la plus belles des propositions que l’on ne m’ait jamais faite, et tout ce que j’ai trouvé à te répondre, c’est de t’envoyer à la figure cet horrible cauchemar qui t’a tant secoué. » Nouvelle pause, nouvelle déglutition de source lacrymale : « Comme je me déteste, comme je me hais, comme je me dégoûte, comme je me fais horreur. Elle est tombée bien bas ta sauterelle, et tu mérites mieux que la c… et la s… – passe-moi ces qualificatifs, mais je n’en trouve pas d’autre – qu’elle est devenue, a-t-elle poursuivi, dans un déferlement de larmes, le visage caché derrière ses mains. »

Je me suis levé, je l’ai entourée de mes bras et, toute en la couvrant de baisers :

« Ne dis pas ça, Roxane. Tu es loin d’être ce que tu dis, tu…

— Si, si, m’a-t-elle interrompu en s’agrippant à moi. Tu comprends, je t’aime tellement, tellement, que je n’arrive plus à me contrôler. Chaque pore de ma peau est imprégné de toi et…

— Tu crois que les miens sont vides ? Ils sont tout aussi gorgés de toi. Je t’aime. Je t’aime et je te le répéterai autant de fois qu’il le faudra.

— Non ! Je ne veux pas t’infliger cela. Que deviendrait mon auteur préféré si toutes les cinq minutes il devait ressasser à son idiote de femme, qu’il l’aime. »

J’ai souri :

« Admettons… Mais tu es obligée de partir si vite ? N’oublie pas, en plus, que tu as dit à Jo et Margaux de passer samedi. »

Elle s’est tapé le front avec la main :

« Tu as raison. J’avais oublié… Pourvu que tout se passe bien d’ici là, a-t-elle ajouté, d’un ton inquiet.

— J’y veillerai, mon amour ; et à la moindre incartade, je vous botterai le cul, ma ravissante institutrice.

— Oh oui ! Au sang !

— Je n’irai pas jusque-là. Je l’aime trop.

— Et à part lui, qu’est-ce que tu aimes de moi ?

— Tes cheveux, ton front, tes yeux, ton nez, tes lèvres, ta bouche, tes oreilles, ta fossette sur le menton, ton cou, tes seins, ton ventre, ton sexe, tes cuisses tes jambes tes pieds, tes mains…

— Ah non ! Pas mes mains ! Elles sont boudinées. »

Nous sommes partis d’un fou rire, puis nous nous sommes embrassés et, à la fin du baiser, elle m’a fait remarquer que la moussaka avait refroidi.

Après le repas nous avons fait l’amour et nous sommes partis nous promener sur la rive droite du Var et, comme dans mon cauchemar, nous sommes descendus jusqu’au bord. Nous nous sommes assis sur un rocher regardant le fleuve couler… ‘’Mais pas nos amours’’, je lui ai fait remarquer. Elle s’est serrée encore plus fort contre moi : ‘’Non, pas nos amours. Elles sont immortelles’’ Elle m’a rétorqué.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là dans cette extase totale. Tantôt nous embrassant, tantôt laissant notre regard s’évader vers le paysage. Elle m’a parlé de randonnées à faire lorsque Jo et Margaux seraient là.

« Elle n’est pas un peu trop jeune pour faire de la marche ? »

Elle m’a pincé le nez :

« Détrompe toi, marmotte de mon cœur, avec des parents et une marraine passionnés de marche, elle n’a pas d’autre choix que de l’apprécier elle aussi. Je peux te garantir, qu’elle n’est pas la première à rechigner. »

Avant de rentrer, nous nous sommes arrêtés chez Théo pour boire un verre. Nous nous sommes assis, elle m’a dit tout bas :

« On dirait qu’un monsieur te regarde. »

Je lui ai demandé sur le même ton :

« Il est comment ?

— Un peu grassouillet, avec des cheveux noirs et bouclés. Il porte des lunettes à fine monture. Il est avec un enfant qui boit un jus d’abricot.

— C’est Rufin. »

Je me suis retourné et lui ai fait signe d’approcher.

« Salut vieille branche. Ça fait un bail qu’on ne se voyait plus. »

Je lui ai fait l’accolade. Je lui ai présenté Roxane. Elle s’est levée et lui a tendu sa joue. Il lui a tendu sa main. Il n’avait pas la bise facile.

« Tu fais toujours du vélo ?

— Moins, m’a-t-il répondu d’un ton dépité. Avec le boulot, le petit, les horaires de dingues de Sabrina, et la belle doche au-dessous qui a toujours un truc qui ne va pas dans sa baraque, c’est difficile.

— Elle va bien ?

— Qui, ma belle-mère ?

— Non, Sabrina.

— Oui. On va peut-être partir en Afrique du Sud au mois de mai. »

J’ai acquiescé. J’ai regardé David :

« Il a grandi. »

Il lui a fait signe de venir :

« Viens dire bonjour à Anicet. »

Il s’est approché, je lui fais la bise. Il est allé vers Roxane et lui a demandé de le prendre sur ses genoux.

« N’embête pas madame.

— J’ai l’habitude des enfants. Je suis institutrice. »

Il m’a demandé combien de temps nous restions. Nous nous sommes regardés Roxane et moi. J’ai répondu :

« Jusqu’à la fin de la semaine sûrement. Après… »

J’ai laissé la phrase en suspens.

« On aurait pu se prévoir un dîner à la maison. Mais ce weekend on part chez ses parents à Marseille. » Puis il a regardé sa montre : « Il va falloir qu’on y aille. Si vous restez un peu plus, appelle-moi. On se prévoit quelque chose. Allez, tu viens bonhomme ? »

David est descendu des genoux de Roxane, non sans lui avoir réclamé deux bises en plus.

« Comme il a l’air affectueux ce petit, m’a fait remarquer ma sauterelle.

— Je dirais qu’il a bon goût. Tu es la seule personne vers laquelle il est allé spon-tanément. La femme de Théo, le patron, elle l’adore, eh bien, si elle ne lui demande pas de venir sur ses genoux, il ne le fera pas. »

Nous sommes rentrés nous aussi après avoir vidé nos verres, et tout s’est très bien passé au point qu’elle s’est demandé quelle mouche l’avait piquée pour qu’elle décide de partir. ‘’Je mourrais, si j’étais loin de toi.’’.

C’est après le dîner que tout s’est gâté. D’abord, elle m’a reproché la façon dont je l’ai présentée à Rufin (‘’Une amie d’enfance. Qu’est-ce que tu voulais que je dise d’autre : ma maîtresse ? Ma fiancée ?... Tu ne l’es pas encore, mais quand le jour arrivera, je le clamerai sur tous les toits et tu porteras à ton doigt, la plus belle bague de fiançailles de tout l’univers. Je te le jure.’’) Elle était émue. Elle m’a embrassé, elle m’a demandé pardon. Je pensais que ça s’arrêtait là. Non. Moins de cinq minutes après, elle m’a demandé assez brusquement, pourquoi j’avais tenu à ce que Rufin fasse la bise à Sabrina de ma part. (‘’Rien qu’une marque d’affection. Je la connais bien. — Bien comment ? Quel numéro portait le moulage de son sein ? — Je ne l’ai jamais eu. — Parce qu’elle n’a pas voulu te le donner ? Ou parce que tu n’as pas osé le lui demander ? — Ni l’un ni l’autre. Sabrina est la femme de Rufin. Je suis allé dîner chez eux, ils sont venus dîner chez moi, ça s’arrête là.’’) Elle a fait semblant de me croire, mais elle n’en pensait pas moins. C’était à se demander si quelqu’un (Qui ?) lui avait soufflé que nous avions eu une brève liaison (Prescrite désormais). Et nous sommes montés nous coucher, en nous faisant la tête.

Le lendemain, à côté de mon bol et du paquet de croissants, j’ai trouvé la lettre qu’à, force de lire et de relire, je connais par cœur.

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