Chapitre 38

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 Nouveau réveil brutal, nouveau cauchemar. Rien ne s’était gravé dans mon conscient. Roxane auprès de moi, dormait paisiblement. Le drap ne recouvrait plus qu’une infime partie de sa splendide nudité. Son corps sentait l’amour que nous avions fait et refait. Il sentait également l’huile d’amande douce.

Moi je puais la transpiration aigre et musquée. C’était une infection. Mes joues étaient humides et mon cœur battait à tout rompre. Il m’était impossible de revoir la moindre image de ce mauvais rêve, mais il y avait fort à parier qu’encore une fois, ma sauterelle avait été victime d’un chauffard. (Aurélie, elle, mourait toujours dans des accidents de voiture, de train, ou d’avion et, la plupart des fois, j’étais avec elle, et je m’en sortais indemne !!)

Sans faire le moindre bruit, je me suis levé et j’ai filé sous la douche que j’ai ouverte en grand afin que le bruit de l’eau couvrît mes hurlements et mes pleurs. Pour la première fois, j’ai souhaité que si Bon Dieu il y avait, il « les » chassât du purgatoire et en fît don à Lucifer. Des êtres aussi abominables, ne méritaient pas la clémence Divine.

Sans doute avais-je dû crier un peu trop fort, car la porte s’est ouverte et Roxane est entrée. Elle avait les bras croisés et me scrutait d’un œil inquisiteur.

« Cette fois-ci, il faut que tu m’expliques, Anicet ! » (Comme Maïa, elle m’avait appelé par mon prénom, signe que le mot ‘’amour’’ n’aurait plus cours tant qu’elle demeurerait dans l’ignorance de mon état).

J’ai fermé le robinet, j’ai saisi le peignoir, je me suis avancé pour l’embrasser, elle a détourné la tête et j’ai baissé la mienne.

« D’accord, Roxane. D’accord. » Nous sommes sortis de la salle de bain, je l’ai faite asseoir sur le lit et je l’ai imitée. Comme elle était belle, ses cheveux défaits sa peau chaude toute imprégnée d’amour, ses seins encore durs aux mamelons saillants que j’avais envie de prendre dans ma bouche. J’ai approché ma main de son visage elle l’a écartée.

« La vérité d’abord, Anicet. »

J’ai replacé mon bras gauche, sur ma jambe gauche :

« Je t’ai menti pour ma tante. Son ami n’est pas malade. Elle est partie à cause de moi… »

Elle a écarquillé les yeux :

« A cause de toi ? Qu’est-ce que tu lui as fait ?

— Rien. Rien du tout. S’il y a quelqu’un à qui l’on a fait quelque chose, c’est à moi. »

Avec un fond d’inquiétude dans la voix, elle m’a demandé :

« Quelqu’un t’a fait du mal ? » J’ai acquiescé : « Qui ? »

Je lui ai pris les mains. Elle a failli les retirer mais, elle m’a laissé les porter à mes lèvres pour que je les embrasse, puis j’ai laissé passer une procession d’anges avant de lui raconter :

« J’ai longtemps cru, pendant mon enfance, que mes parents m’avaient abandon-né. Qu’ils avaient préféré partir seuls plutôt que de rentrer à Nice pour être avec moi. Maman avait dû participer pendant une semaine, à un congrès d’architectes qui avait lieu à Madrid. A la fin de celui-ci, elle était épuisée. Papa, qui avait eu également une semaine très chargée à sa banque, lui avait proposé d’y passer trois jours avant de filer à Rome, pour qu’il fasse la connaissance de la famille Italienne – celle chez qui j’étais lorsque Joséphine a remis ton cadeau à ma voisine. Ce que j’ignorais, et que ma tante m’a raconté par la suite, c’est qu’elle et moi, nous devions les rejoindre. Ils avaient calé les horaires des deux vols : eux depuis Madrid ; nous, depuis Nice. A quelques minutes près, ils coïncidaient et, de toute façon, en cas de retard, les premiers arrivés attendraient les autres. Or, j’ai été pris d’une fièvre soudaine – petit rhume de rien du tout – qui nous a empêché de les rejoindre, vu que je devais rester deux ou trois jours au chaud. Il n’y avait pas de portable en 83 ; donc, elle les préviendrait dès leur descente à Fiumicino. Elle avait déjà téléphoné à l’aéroport pour qu’on prévienne monsieur et madame Lepervier en provenance de Barajas, de se rendre à l’accueil… » J’ai laissé passer un long moment. Des larmes ont coulé de mes yeux : « Malheureusement… »

Elle ne m’a pas laissé finir. Elle m’a pris dans ses bras et couvert de baisers :

« Mon amour, mon trésor »

Nous nous sommes mis à pleurer tous les deux, puis, d’une voix douce :

« Alors, ce sont tes cauchemars ? Toutes les nuits tu rêves de leur accident ?... Mon trésor ! Mon trésor ! Amour de ma vie, comme ce doit être horrible pour toi. Maintenant je te comprends. Désormais je m’endormirai serrée contre toi. Dès que tu remueras, ne serait-ce que le petit doigt, je te couvrirai de caresses et de baisers. Je suis sûr que l’amour que j’ai pour toi, te fera faire de plus beaux rêves. »

Et elle continuait à m’embrasser, elle a même pris ma main et l’a promenée tout le long de sons corps avec un long arrêt sur ses seins et son sexe ; puis elle s’est allongée, m’entraînant avec elle :

« Faisons l’amour ! Faisons l’amour ! »

J’aurais pu m’en tenir à cette version. Oui. Lui faire croire ce qu’elle croyait elle-même. Toutes les nuits la tragédie de mes parents repassait en boucle dans mon sub-conscient. Mais c’eût été de ma part, une grande couardise de ne pas lui révéler les véritables scénarii de mes cauchemars, et leurs désastreuses conséquences sur ma vie sentimentale. Encore plus lâche que si je ne lui racontais rien du tout.

« Non. »

Elle s’est redressée :

« Quoi, non ?

— Ce ne sont pas les cauchemars que je fais. Même si je ne pourrai jamais me guérir de cette tragédie, j’ai quand même réussi à la surmonter à l’accepter, à m’en faire une raison.

— M… Mais alors, c’est quoi ? »

Je l’ai serrée très fort contre moi, et laissé passer un cortège d’anges, puis :

« Toutes les nuits je rêve que tu meurs renversée par une voiture ou un camion. Tu traverses la rue sans faire attention et tu es happée. Moi je ne peux que constater le drame et m’agenouiller près de ton corps ensanglanté pour pleurer et hurler ton nom. »

Elle s’est écartée de moi, a reculé jusqu’à l’autre bout du lit. Ses yeux étaient ré-vulsés et je n’avais nul besoin qu’elle me traduise ce qu’ils étaient en train de m’expri-mer : mélange d’horreur et d’incompréhension ; de dégoût et d’incrédulité. Elle a bafouillé :

« Mais c’est affreux ! Tu me fais mourir dans tes rêves ?

— Ce n’est pas moi Roxane. Je ne suis pas leur maître. Je n’ai aucun pouvoir sur eux. Tu sais bien que nous n’avons jamais la mainmise. »

Elle a élevé le ton :

« Si tu fais de tels cauchemars c’est que quelque part tu le souhaites. »

Je l’ai prise par les bras et l’ai secouée :

« Souhaiter ta mort ? Tu peux penser une chose pareille ? » J’ai pointé mon doigt vers le plafond : « C’est eux, Roxane. C’est eux qui me les envoient ! Parce qu’ils me refusent le droit d’être heureux.

— Qui : eux ?

— Mes parents ! » Elle a pris un air abasourdi. Sa bouche et ses yeux se sont ar-rondis et, avant qu’elle ne place un mot : « Il faut que tu me croies. Je t’en prie. Ma tante est partie à cause de cela (Jamais je ne lui avouerais, qu’elle n’avait aucune envie de connaître Roxane, à cause de moi…). Elle pense que c’est moi qui invente toute cette histoire. Que je m’auto punis parce qu’inconsciemment, je trouve injuste d’être heureux alors qu’eux n’ont pas eu le temps de l’être jusqu’au bout. Quoi qu’il en soit, il y a mes cauchemars. Et tu n’es pas la seule à subir ce sort tragique. » Elle allait répliquer, j’ai posé mon doigt devant ses lèvres : « Ecoute moi jusqu’au bout, je t’en prie. Je t’en prie. » Elle a hoché la tête de haut en bas. Alors, calmement je lui ai parlé de ma relation avec Aurélie, et de la réaction de Maïa après la rupture, puis : « Tu as cru qu’Alex Cantié avait enterré Anicet ? Ce n’est pas vrai. Sauf, qu’il n’avait plus le droit d’aimer ; alors son alter ego l’a conduit vers des plaisirs plus futiles, de ceux qui ne laissent aucune trace, ni dans le cœur, ni dans la tête. » Je l’ai regardé droit dans les yeux : « Maintenant, je t’ai, toi ma sauterelle, toi que j’aime depuis cet âge où te le déclarer m’aurait valu d’être maudit par ta sœur, par tes parents, et d’être chassé de chez toi pour toujours. Je te garderai, jusqu’à la fin des temps. Ils ne pourront plus rien cette fois ci. Mais j’ai besoin de toi, de ta force. » Je me suis rapproché d’elle, j’ai enfoui ma tête entre ses cuisses. Son sexe était humide et chaud : « Aide-moi ! Aide-moi ! Ne m’abandonne pas ! »

J’ai senti sa main sur mon crâne qui massait doucement mes cheveux en bataille.

« Qu’est-ce que je peux faire, mon amour ? »

J’ai secoué la tête de droite et de gauche :

« Rien. Il n’y a que moi qui puisse les affronter.

— Mais… Mais, tu n’as pas essayé de voir des psys ? »

J’ai haussé les épaules :

« Des psys ? Qu’est-ce qu’ils m’auraient dit, les psys ? Exactement ce que je viens de te dire. ‘’Affrontez vos peurs, jeune homme. Combattez-les. Personne ne pourra jamais le faire à votre place.’’ Voilà ce qu’ils m’auraient dit, non sans d’abord m’avoir trouvé plein d’autres problèmes dont j’aurais ignoré l’existence et qu’ils n’auraient pas pu résoudre à ma place. Quant à prendre des sédatifs, quelle horreur ! Phagocyter mon cerveau avec des poisons chimiques, le rendre inutilisable à la longue, pour finir comme un gâteux qui traîne les pieds en marchant courbé les mains derrière le dos.

— Mais, si je ne peux rien faire pour toi, à quoi je te sers ?

— A leur montrer que cette fois ci, ils ne m’auront pas. Que notre amour est plus fort que leur haine, que nous formons un couple solide. Tu comprends ? »

Elle a froncé les sourcils, pris un air pincé et m’a lancé d’un ton assez distant :

« Un couple solide ?... Encore faut-il que je divorce. »

Oui, c’est vrai. Je l’avais oublié celui-là. Son mari. Son bouclier, son rempart contre ses peines de cœur. On couche avec celui qui te drague le mieux et, le lendemain, on le laisse tomber. ‘’Désolée, j’ai oublié que j’étais mariée. Ça m’arrive de temps en temps. En ce moment, par exemple. J’ai retrouvé un garçon qui était fou de moi, lorsque j’avais douze ans. Dix-huit ans qu’il attendait de pouvoir me dire qu’il m’aimait et qu’il avait envie de coucher avec moi. Ça mérite une belle récompense. Par exemple, que j’oublie pendant quinze jours que je suis madame Santelli, pour redevenir mademoiselle Rammero. Sauf qu’au bout de trois jours, il me raconte une histoire impossible d’esprits malfaisants (ceux de ses parents) qui le persécutent, qui l’empêchent d’être heureux en amour, et il voudrait que je reste à côté de lui pour leur faire la nique. En un mot, que je lui serve de paratonnerre. Non merci. Je ne joue plus à ce jeu-là. Ouf, heureusement que j’ai toujours mon alliance… Même si elle n’est pas à mon annulaire, elle est dans ma tête et dans le serment que j’ai fait devant monsieur le curé et les témoins.’’

Oui, encore fallait-il qu’elle divorçât.

Je me suis levé et d’un ton laconique, sans émotion :

« Je vais préparer le petit déjeuner. »

Je suis descendu. J’ai sorti les bols, les cuillères les couteaux les serviettes, les confitures, le beurre les tranches de pains les…

Elle a bondi sur moi et m’a serré de toutes ses forces :

« Pardon ! Pardon mon amour. Je t’aime plus fort que l’univers. Parfois je suis conne à me donner des baffes. »

Elle pleurait…

Elle était nue…

Elle sentait l’amour…

Et nous l’avons refait.

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