Chapitre 34

9 minutes de lecture

 Elle était désolée. Elle avait loupé de cinq minutes le train de 13 heures et devait attendre celui de 14 heures.

« Si j’étais venu te chercher… »

Elle m’a interrompu :

« Non. Pour une fois c’est à moi de me magner le popotin.

— Bon. Je vais pouvoir dormir une heure de plus, lui ai-je lancé avec beaucoup d’humour.

— Tu en auras le courage ? Moi je serai excitée comme une puce à l’idée de sauter dans tes bras.

— Oui, mais moi, je suis une marmotte.

— C’est vrai. » Puis, après un court instant (même pas le temps de faire passer un ange qui aurait mis le turbo) : « Et si je te parlais au téléphone durant tout le voyage ?

— Ca me serait plus agréable que de faire semblant de dormir.

— Je ne te raconte pas mon oreille, une fois arrivée à Nice.

— Eh oui, il faudra te la couper.

— Ah non, quelle horreur ! Un Van Gogh féminin.

— Tu me plairas tout autant, sauterelle. » Mais j’avais envie de lui dire : « Je t’aimerai tout autant… »

Nous avons continué à parler, jusqu’à ce que son train fût annoncé et, à presque 17 heures ce samedi-là, c’est sur un véritable quai de gare que nous nous sommes retrou-vés et, c’est à toute vitesse que nous nous sommes pris dans les bras, que nos lèvres se sont unies, que nos langues se sont chamaillées. Puis, j’ai pris sa valise et nous sommes sortis. Mon idée première était de prendre le tram et d’être chez moi le plus vite possible, mais Roxane préférait marcher, parcourir ces trois kilomètres le long des boulevards du nord de la ville, agrippée à mon bras ou le sentant autour de sa taille et pouvoir nous arrêter tous les vingt mètres pour un baiser furtif sur les lèvres, comme de longs préludes à l’amour que nous ferions, une fois franchi le seuil de mon appartement.

« Si tant est que le tram est bondé, nous resterons debout tels des sacs à viande, à nous farcir les conversations téléphoniques des uns et des autres, respirer des odeurs corporelles, pour la plupart, néfastes à nos narines ; enfin, pour ne pas être la proie des voyeurs, nous oserions tout juste, nous tenir pudiquement par la main, nous lancer des sourires discrets. Par contre, dans la rue, les gens passent sans se soucier des autres. On peut s’embrasser sans attirer les curieux. Tout juste un œil furtif se posera sur nous, avec ce simple commentaire : ‘’Ah, les amoureux !’’ » Elle m’a souri : « Vous ne trouvez pas que j’ai raison, monsieur l’écrivain ?

— Oui.

— Alors, prends ma taille et serre-la, le plus que tu pourras. Je veux me sentir tienne. » Puis elle m’a regardé dans les yeux. « Dans le train j’ai pensé très fort à toi et un seul mot est venu à mes lèvres.

— Lequel ? »

Elle a rapproché sa bouche de mon oreille et y a glissé :

« Je te le dirai à la maison. »

Ma Vénus de fleuriste était occupée avec une cliente. A notre passage elle a levé son bras pour nous saluer.

« C’est une de tes amoureuses ?

— C’est ma fleuriste. Elle s’appelle Roxane elle aussi. Au début, j’ai cru que c’était elle qui m’avait offert le cadeau.

— Ah ! » Petit ange passager : « Tu en connais d’autre, des Roxane ?

— Mon prof d’histoire géo en première et terminale. Roxane Debussy.

— Elle aussi aurait pu te l’offrir ?

— Si elle a mis des implants mammaires. Quant à la troisième Roxane, la femme d’un collègue, elle ce serait plutôt des missels, des rosaires ou des images pieuses. Enfin la quatrième…

— Encore une ? »

Je l’ai prise contre moi et je l’ai embrassée :

« C’est toi.

— Et la cinquième ? »

L’image de Roxane Littré gémissant pendant que mon sexe s’apprêtait à la faire jouir, m’est apparue.

Nous nous sommes croisés devant l’hôtel de ville, le lundi après ma longue discus-sion avec Joséphine. Elle traînait une lourde valise et portait un gros sac à dos. Elle avait rompu avec Georgina

« Je ne supportais plus ses airs de ‘’Madame-je-sais-tout-parce que-je-suis-prof-de-fac’’. Et puis ces clopes dégueulasses qu’elle ne cessait de fumer et lui donnaient une haleine de chacal. Vous parlez comme c’était agréable quand nous nous embrassions. Et la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la scène qu’elle m’a faite le soir, après que vous êtes passé. Elle m’a reproché d’avoir trop regardé votre amie, son ancienne élève.

— Fabienne.

— Oui. » Elle a pouffé : « En plus, elle est miro. » Elle a planté ses yeux gris dans les miens : « C’est vous que je regardais, Alex. »

Et, avant que je ne réalise ce qui m’arrivait, j’ai senti ses bras autour de mon cou et sa bouche est venue se coller à la mienne.

Nous étions arrivés en bas de son studio. Elle avait quatre étages à monter sur un escalier assez étroit et, de surcroît, en colimaçon. J’ai monté sa valise, elle m’a proposé un café. Lorsqu’elle est venue avec les deux tasses, elle était nue. Elle s’est assise sur mes genoux :

« J’ai une terrible envie de faire l’amour avec vous Alex. Vous êtes le seul homme qui me fasse regretter de ne plus être hétéro. »

Elle a pris ma main et l’a posé sur son sexe humide tandis que sa langue s’aventu-rait dans ma bouche.

Nous sommes restés au lit jusqu’à l’heure où elle m’a dit qu’elle devait aller cher-cher Chloé sa nouvelle amie qui travaillait dans une banque de l’avenue Jean Médecin, pour aller au cinéma puis, dormir chez elle.

Elle m’a quitté en me promettant de ne plus se jeter sur moi comme une femelle en chaleur, et qu’elle était prête à recommencer, seulement après un signe de ma part.

Deux jours après ma sauterelle m’a conduit dans son lit et nous avons fait l’amour. Rien n’a été aussi fort, aussi puissant, aussi vibrant, aussi sublime aussi apaisant et régénérant que l’orgasme que nous avons eu ensemble, au même moment. Elle avait dépassé d’un nombre incalculable d’années-lumière toutes les autres femmes que j’avais rencontrées. Même Fabienne. Même Aurélie.

« La cinquième ? Tu devrais dire les 164 autres, toutes abonnées à ma page Facebook.

— Et tu as compulsé tous leurs profils ?

— J’ai écarté celles qui avaient dépassé la trentaine, celles qui ne l’avaient pas encore atteinte, celles qui n’avaient pas publié de photos d’elles et j’en passe. Ça devait faire un bon tiers. Ensuite j’ai éliminé toutes celles à cheveux blonds, roux ou châtain, celles qui avaient les yeux marron, bleus, gris ou pers, enfin celles qui n’avait pas de diastème entre les deux incisives supérieures. Il ne m’est plus resté que le dernier tiers mais aucune ne correspondait. »

Nous étions devant la porte de l’immeuble, qu’Henri, en train d’en sortir, nous a ouverte. Nous nous sommes serrés la main :

« Je te présente Roxane… avec un seul ‘’N’’ »

Il lui a fait la bise, et nous a souhaité une bonne soirée.

« Pourquoi avec un seul ‘’N’’ ?

— L’autre jour, il m’a présenté sa copine qui s’appelait Roxanne, avec deux ‘’N’’. » J’ai levé les bras au ciel : « Pendant dix-huit ans je ne connaissais qu’une Roxane et depuis ton cadeau, je n’arrête pas d’entendre ce prénom. »

Elle m’a fait un clin d’œil :

« C’est le plus beau prénom du monde. »

Je l’ai embrassée :

« Tu me l’as ôté de la bouche. » Une fois entrés dans l’appartement : « Et main-tenant, je vais faire l’amour avec la plus belle d’entre elles.

— C’est vrai ce mensonge ? M’a-t-elle demandé en se pendant à mon cou.

— Plus vrai que lui, ce n’est pas possible. »

Il était vingt heures passé lorsqu’elle m’a avoué qu’elle avait une faim de loup. Je lui ai rétorqué d’un ton désolé, que mon frigo était aux trois quarts vide, et que le quart qu’il contenait ne devait plus être comestible.

« On verra ça. »

Nous avons filé dans la cuisine, elle l’a ouvert et l’a inspecté :

« Ton carpaccio est bon à jeter, marmotte de mon cœur... » Je me suis exécuté : « L’œuf qui reste ça peut aller mais pas suffisant. » Elle a ouvert le congélateur : « Pas assez de poisson non plus.

— Je peux t’offrir le restaurant. »

Elle s’est tournée et s’est blottie contre moi :

« Non, j’ai envie que nous dînions en tête à tête, nus. Et puis, je ne veux pas d’oreilles indiscrètes pour ce que j’ai à te dire. »

Elle a passé sa main sur mon sexe et collé sa bouche à la mienne, puis :

« Il y a une supérette dans le quartier ?

— En face de la rue. Je viens avec toi. »

Elle m’a embrassé le nez.

« Non, monsieur l’écrivain. Vous m’attendez bien gentiment et je m’occupe de tout. »

Elle s’est rhabillée en un éclair :

« Petite, moyenne ou grosse faim ?

— Grosse. »

Elle m’a envoyé un baiser :

« A tout de suite. »

Une demi-heure après, je me suis demandé si elle n’était pas en train de dévaliser le magasin pour remplir mon frigidaire : « J’espère qu’elle m’appellera pour l’aider à porter les paquets. ». A neuf heures, heure de la fermeture, je ne tenais plus en place, je me suis rhabillé et j’ai commencé à tourner en rond dans l’appartement, cherchant un prétexte plausible pour justifier ce retard. Je l’avais vu agir à Marseille. Elle n’était pas le genre de femme à traîner dans un supermarché. Avant même qu’elle n’y entre, qu’elle ne se saisisse d’un chariot ou d’un panier, elle savait déjà ce qu’elle devait y acheter, le prix des articles, les rayons où ils étaient exposés et le trajet à parcourir de l’un à l’autre afin de réduire au maximum le temps qu’elle avait à y passer. Sa tête bien faite était également admirablement bien structurée. « Calme toi, Anicet elle est là. Dans quinze secondes elle va sonner à l’interphone. » Et je me suis mis à compter… A neuf heures vingt, mon cœur s’est mis à battre très fort. Ce retard entrait dans le domaine de l’incompréhensible. Je devais prendre une décision : l’appeler, ou descendre voir ce qui n’allait pas. Mais la voix me calmait encore : « Pourquoi tu te fais tant de soucis ? Que veux-tu qu’il y soit arrivé ? » Un malaise… « N’importe quoi ! Elle est forte, elle est en bonne santé ! » Un fou armé d’une kalachnikov et d’une grenade qui veut tout faire sauter… « Dans ce cas, tu entendrais des dizaines de sirènes et le survol d’autant d’hélicoptères. Va à la terrasse… » Non, ce n’était pas ça. « Tu vois ?... A mon avis, elle est au téléphone avec sa mère, ou son père, ou Déborah. » On peut téléphoner en marchant. « Alors elle a rencontré quelqu’un. Joséphine, par exemple. » Elle ne passait jamais dans ce quartier. « En tout cas, si tu l’appelles pour lui demander ce qu’elle fait, pourquoi met-elle tant de temps pour faire quelques misérables courses, elle va se sentir, fliquée, espionnée. Elle pensera que tu es jaloux, soupçonneux, possessif. Tout l’’inverse de ce que tu es. A la rigueur, il vaut mieux que tu l’attendes en bas. »

Je suis sorti à toute vitesse, oubliant de prendre mes clés. Quelle importance. Savoir ce qu’était devenue Roxane, était ma priorité. Je dérangerais Francine.

Une sirène de pompiers se rapprochait à toute allure. Je n’ai pas saisi tout de suite. Pourtant, il en passait rarement dans le coin. C’est après avoir descendu la volée de marches jusqu’à la rue Péguy, quand j’ai vu l’attroupement, que mes jambes se sont mises à flageoler, mon cœur à battre de plus en plus vite, que la centrifugeuse s’est mise en marche et commençait à me broyer tout l’intérieur. « Que tu es pessimiste, me disait la voix. Elle est peut-être parmi les badauds témoins de l’accident. » Mais quelque chose me disait que non. Que la stridence de ce ‘’Si-La’’ qui me perçait les tympans, que la luminosité de ce gyrophare qui m’aveuglait autant que mille soleils, que cette masse de curieux de plus en plus dense, de plus en plus compacte, c’était pour elle, pour ma sauterelle. Et quand les commentaires ont commencé à me parvenir : « Si ce n’est pas malheureux, ces automobilistes qui ne pensent qu’à appuyer sur le champignon, comme s’ils étaient sur un circuit de course. Pauvre petite, il ne lui a laissé aucune chance. Et puis chargée comme elle l’était. » Mon cœur a failli exploser, la centrifugeuse s’est mise à tourner encore plus vite, mes intestins à se comprimer, ma gorge à se serrer. J’ai rassemblé toutes les forces qui me restaient pour écarter la foule, pour me frayer un passage jusqu’à la scène macabre. Le jeune pompier n’avait pas relevé tout à fait la fermeture éclair du linceul jaune et j’ai pu apercevoir son visage, déjà blanchi par la mort. J’ai hurlé :

« C’est Roxane ! C’est Roxane !

— Vous la connaissez, monsieur ? C’est votre femme ? »

Je me suis agenouillé près du corps :

« C’est Roxane ! C’est Roxane. »

Et je me suis mis à pleurer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Georges Floquet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0