Chapitre 20

10 minutes de lecture

 Après ma discussion avec Rosy. J’ai actualisé ma page Facebook, en inscrivant les dates, les villes et les noms des 15 librairies qui m’invitaient à parler de mon roman et à le dédicacer. Périple de vingt jours qui débutait à Nice, librairie ‘’Le Cube’’ dans le Vieux. Je me suis pris à imaginer que je ferais enfin, la connaissance de Roxane. Qu’enfin elle se montrerait à moi, qu’elle se dévoilerait. Elle m’écouterait bien sagement, ses yeux verts dans les miens, et les miens glissant peu à peu vers sa florescence généreuse, épanouie, savoureuse. Puis, à la fin, après avoir dédicacé le livre du dernier participant, je lui proposerais d’aller boire un verre. J’insisterais, elle me devrait une explication. Pourquoi ce cadeau ? Pourquoi cet anonymat ? Pourquoi s’être fait passer pour ma cousine ?

Je me suis levé, et l’ai pris entre mes mains et, tel Hamlet avec le crâne de Yorick, je me suis mis à lui parler :

« Te verrai je un jour, ou ne te verrai-je jamais ? Telle est la question. Combien de points d’interrogation devront poindre dans ma tête avant qu’ils se transforment en point d’exclamation ? Toi seule a le pouvoir de mettre fin à mes doutes. Tu me connais, alors que j’ignore tout de toi. Je ne t’ai jamais vue. La description qu’on m’a faite de toi ne remue rien en moi. Même ton prénom ne me dit rien ! Et tu n’es même pas une abonnée de ma page Facebook ! Je te le répète je ne connais que trois femmes qui s’appellent comme toi, aucune ne te ressemble, ni en âge, ni en physique description, ni en tour de poitrine. Pourquoi tu apparais dans mes rêves ? (Jeudi matin ce n’était un aussi, n’est-ce-pas ? Cette soi-disant présence dans mon bureau, ce parfum d’huile d’amande douce, cette sensation de caresser ton véritable sein, ce murmure incompréhensible qui tu as émis, lorsque je sortais de la pièce…) Pourquoi ton visage m’apparaît flouté, quand ce n’est pas le rêve qui s’interrompt, avant même que j’aie pu apercevoir tes traits (Sauf ta fossette au menton. Que m’apporte-t-elle de plus ?). Tu sais, je ne suis pas medium. J’ai beau caresser ce moulage de ton sein, je ne devine rien. Tout juste je peux imaginer ce que tu as fait. Tu as téléphoné un sculpteur ou une sculptrice, tu as demandé quelle était le prix pour le moulage d’un sein, tu as pris rendez-vous, on t’a fait asseoir, tu as déboutonné ton chemisier écru, dégrafé ton soutien-gorge et libéré celui dont l’empreinte viendrait orner mon étagère. Pendant qu’on appliquait l’argile dessus, pendant que l’artiste fignolait son travail, tu devais penser à moi, à la tête que je ferais en ouvrant ton paquet cadeau. Tu me sais amateur de seins, les tiens étant très beaux, tu savais d’avance que j’apprécierais, ô combien, ton don. Une fois le travail fini, tu es rentrée chez toi, tu as confectionné un beau paquet cadeau et tu as filé avenue de Maupassant. Question : est-ce-que tu as d’abord sonné chez moi puis, sans réponse, tu as sonné chez ma voisine, ou bien tu as pressé directement le bouton de sa porte ? Dans ce cas, comment savais tu que je n’étais pas là ? Roxane, Roxane, toutes ces questions sans réponse qui encombrent mon esprit me pèsent, me phagocytent, m’embrouillent. Tu sais je pourrais briser ton empreinte, tant pis pour le cadeau. Je retrouverais ma sérénité, ma quiétude d’avant. A part m’apprendre que tu as de beaux seins, il ne me sert à rien. Ce n’est pas en la caressant que je trouverai l’inspiration. Dans ce cas, je pourrais me servir des moulages que Géraldine a faits de ses maîtresses, qu’elle m’a offerts par la suite et dont les plus beaux sont rangés en bas de ma bibliothèque. Terre durcie en forme de sein, sans vie, sans âme, sans chaleur, sans cœur. Peut-être que pour elle, ils repré-sentaient beaucoup. Elle les avait vu palpiter sous ses doigts, elle les avait embrassés, goûtes. Quelque part, ils s’étaient inscrits dans sa mémoire et faisaient partie d’elle, comme ont fait partie de moi les dix-huit moulages réduits en poussière. »

J’ai étendu mon bras, bandé ses muscles, prêt à balancer le moulage de toutes mes forces contre le mur afin qu’il se pulvérise et que j’en finisse avec cette persécution. Je m’en voulais terriblement d’avoir prononcé – fût-ce dans mon sommeil – le prénom de Roxane, alors que Fabienne dormait auprès de moi. Même si elle m’avait rassuré quant à sa non jalousie, cela l’avait quelque peu affectée, au point de me charrier en me pro-posant la plus belle chambre de son hôtel à Pointe à Pitre, même si j’y fus venu avec Roxane.

Au moment de le lancer, j’ai été saisi de scrupules. Il était trop beau et, s’il avait survécu au massacre il devait y avoir une raison que j’ignorais encore, d’où peut-être son : « In hoc sinus vinces ». Alors, je suis allé le ranger à côté des autres moulages, reste des cadeaux oubliés que Géraldine m’avait faits, sans me douter un seul instant que moins de quarante-huit heures après, je mettrai fin à sa relégation, pour lui restituer la place qui lui était due.

« Loin des yeux, loin du cœur, c’est mieux ainsi. » Me suis-je dit, en refermant la porte coulissante.

Il était trois heures passé, lorsque je me suis recouché. Julien m’avait donné rendez-vous à midi sur la place principale de Saint Jeannet. Il me fallait une petite heure pour m’y rendre, plus une pour me préparer. Par précaution j’avais mis le réveil à huit heures et envoyé un message à Maïa (toujours très matinale) de m’appeler à sept heures et demie.

J’étais arrivé pile à l’heure, et Maïa, précise comme une montre Suisse, était étonnée de m’appeler si tôt. Son voyage se passait, elle me raconterait tout à son retour, toujours prévu pour le lundi. Après nous être embrassés comme il se doit, nous avons raccroché et j’ai filé du lit à la salle de bains.

Julien m’attendait sur la place du village. Saint Jeannet était en fête, et les stands qui s’alignaient le long de la rue principale, proposaient sans exception des produits bio, ou issus du commerce équitable.

« Norma et Tatiana, sont en séance câlins, m’a-t-il prévenu en me faisant la bise. C’est-à-dire qu’elle la prend dans ses bras, s’allonge sur le canapé et, pendant qu’elle lui chante des chansons, la petite lui gazouille dans l’oreille. Elle va m’envoyer un sms quand ce sera fini. En attendant on peut flâner. »

Il m’a conduit devant la petite buvette où Francis, qui semblait tout droit sorti d’un village Gaulois d’Armorique, était fier de nous montrer sa production artisanale de bières, brassées en famille, à Nice, dans le quartier de la Libération.

« Vous êtes de Puget-Théniers, n’est-ce-pas ? M’a-t-il dit en me voyant. Je vous vois souvent chez Théo… »

Son visage m’est revenu aussitôt qu’il a prononcé le nom du village. Je le revoyais assis dans son coin, devant son pastis ; tantôt taciturne, tantôt lançant des vannes à la cantonade.

« Théo c’est mon cousin, a-t-il poursuivi » Puis la main en paravent au coin de sa bouche, il m’a glissé près de l’oreille : « C’est pas tellement pour lui que je viens ; mais pour Noémie. Superbe femme ! »

Je ne pouvais pas lui donner tort. Surtout quand elle venait me servir mon Campari, qu’elle se penchait sur moi, son chemisier largement échancré, et ses seins si peu couverts par les bonnets de son soutien-gorge, et cette odeur de femme qui émanait d’elle, et semblait me dire : « Rendez-vous ce soir 19 heures au petit bosquet sur la route de La Croix. »

Mais Théo était très jaloux et très sanguin, malgré son côté débonnaire. Sa Noémie, il la tenait à l’œil à défaut d’autre endroit, selon les mauvaises langues. Alors, je restais aveugle à ses signes, hélas ; et une fois vidé mon verre, je rentrais me débonder dans mes toilettes.

« A quoi tu penses ? »

Julien m’avait fait revenir sur terre. La séance câlins était finie.

‘’Seins au formol’’ avait été le sujet principal du déjeuner. Après la dédicace, explication de texte. Julien m’avait parlé de sa dernière BD en cours d’écriture. Norma m’avait montré ses nouvelles créations (elle était styliste free-lance)

« Et toi, nouveau roman en vue ?

— Julien, il vient à peine d’en écrire un, je pense qu’il a envie de se vider la tête.

— Tu as raison, Norma. Ce succès imprévu commence à me peser. Radios par-ci, télés par-là, librairies qui me sollicitent, personnes qui commencent à me reconnaître dans la rue. Alors, pour le moment, même avec la plus grande volonté du monde, il ne sortirait rien de ma pauvre tête.

— Je te comprends. »

Et nous sommes passés à table…

Après le repas (Grosse salade, poulet fermier, tarte aux pommes maison, café, le tout arrosé d’un gris du Languedoc), Norma a voulu s’offrir une nouvelle séance câlins avec sa fille qui était restée bien sage dans son transat pendant tout le déjeuner.

« Allez vous promener, je vous rejoins. »

La place était remplie de silhouettes et de corpulences qui se mouvaient dans tous les sens : mains dans les poches, derrière le dos, poussant des poussettes, tenant des enfants dans les bras. Toutes tailles, tous gabarits. Nous nous faufilions à coups de « Pardon ! Excusez-nous ! » vers la tour où, un couple suspendu par une corde, dansait au-dessus de nous ; puis montaient et redescendaient la façade, comme s’ils avaient eu des ventouses aux talons, au rythme de la symphonie de Jupiter de Mozart. Devant nous, sur une corde tendue à un quart de centimètre du sol, une jeune femme enseignait à des bambins à marcher dessus, en s’aidant de leurs bras pour maintenir l’équilibre. Elle sentait bon, et mes yeux s’étaient faufilés à travers l’ouverture de son chemisier rose. Les seins qu’ils y ont perçus étaient frais, bien bombés, et leur mamelons hautement érectiles. Elle sentait que je la regardais, mais ne semblait pas troublée. J’ai décidé de rappeler mes yeux, et de les pointer ailleurs, jusqu’à ce que la petite fille, dont elle s’occupait fût arrivée au terme de sa trajectoire.

Julien, qui avait deviné où traînaient mes pupilles, m’a donné un léger coup de coude, et m’a signalé, bas à l’oreille, qu’il y en avait une – pas mal – qui me regardait a-vec insistance. J’ai reconnu Camille, la sœur de Patrick, l’un de mes collaborateurs du service du patrimoine. Le moulage de son sein était le numéro dix de ma collection. Elle ne m’avait inspiré aucun titre, par contre son empreinte, m’avait aidé à écrire ‘’Les neuf vies de Sylvie’’, ‘’Les ténèbres d’Aurore’’ et ‘’Martine à coups portant’’

Elle vivait dans la maison familiale près de l’Observatoire. Elle peignait trois jours par semaine, et servait dans un restaurant de Saint-Roch les quatre autres.

Six mois d’une liaison torride et débridée, endiablée et dévorante. Elle m’avait dans la peau, autant que je l’avais dans la mienne. Elle était jalouse, possessive, soup-çonneuse et tyrannique (Célia était une débutante à côté d’elle…) tout autant que je l’étais. Tantôt elle voulait que nous vivions ensemble, et je refusais ; tantôt c’était moi, et elle m’envoyait bouler. Certaines fois notre relation tournait au sado-maso. Ma pauvre Maïa ne me reconnaissait plus. Moi qui, par respect éteignais toujours mon téléphone lorsque j’étais avec elle, je ne cessais de le consulter à tout bout de champ, en attendant un SMS de sa part, auquel je répondais tout aussi érotiquement – et même pornographiquement. Plus d’une fois, j’ai senti ma sculptrice préférée contrariée et énervée, au point même qu’une fois où nous nous promenions sur la Cap de Nice, après un copieux déjeuner au restaurant du Club Nautique, elle a failli faire demi-tour et rentrer chez elle.

En 180 jours, nous nous étions tout dit, nous nous étions disputé sur tout, nous avions fait l’amour, plus que ne le ferait un couple d’obsédés en cinquante ans de ma-riage, et toute notre passion s’était éteinte.

Un matin nous nous sommes réveillés, j’ai eu envie d’elle mais elle m’a repous-sé :

« Désolée, mon chou, mais je ne mouille pas ! »

Une heure plus tard, elle s’est allongée sur le lit, elle a écarté les jambes et m’a supplié de la pénétrer :

« Désolé, trésor, mais je ne bande pas. »

Et c’était vrai le pire !

J’ai repris les quelques affaires que j’avais chez elle, elle a remporté les quelques frusques qu’elle avait chez moi.

Nous sommes fait la bise, avons ressassé quelques souvenirs du passé (Les plus soft), elle m’a présenté son fils Maxime, sept ans, et Mélanie, sa sœur jumelle. Elle avait été mariée, elle avait divorcé et était enceinte de son nouveau compagnon, qu’elle ne trouvait plus parmi la foule

Elle n’avait pas changé, toujours aussi belle, aussi sauvage, aussi désirable… Mais mon sexe n’a pas bougé.

Nous nous sommes refait la bise, j’ai fait une caresse aux enfants, nous nous som-mes dit : « A la prochaine. » Et elle est partie se perdre dans la foule.

La belle brune au chemisier rose avait cédé sa place à un blond dégingandé, qui expliquait la technique du funambulisme à une autre fillette un peu plus grassouillette et timorée que la précédente.

Elle était assise sur un pouf, et serrait contre son cœur un garçon de quatre ou cinq ans qu’elle couvrait de baisers, tout en me lançant des regards qui m’ont fait comprendre qu’elle était déjà prise.

Julien m’a donné un coup de coude :

« Tiens, mes princesses sont là. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Georges Floquet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0