Chapitre 18

9 minutes de lecture

 D’instinct, je me suis levé et m’étant servi encore une fois de la lampe torche de mon téléphone, j’ai inspecté une à une, toutes les pièces de l’appartement, vides de toute autre présence que la mienne. Il ne restait plus que mon bureau, fermé à double tour. Qui aurait pu s’y introduire sans qu’il ne fût passé d’abord par le salon, trouvé la clé de la porte, la faire tourner deux fois dans la serrure, et tout cela sans faire le moindre bruit ?

J’ai haussé les épaules. Après tout qu’avais-je d’autre à faire ? L’orage grondait toujours, le ciel ne s’était pas éclairci et le courant toujours pas rétabli. Alors je suis entré et mon cœur a fait un bond. Ce n’était plus une vague impression, mais la certitude que quelqu’un se trouvait à l’intérieur. Un parfum d’huile d’amande douce a envahi mes narines, un souffle tiède a effleuré mon cou et, une sorte de murmure a pénétré mes oreilles. J’ai promené le rai lumineux partout dans la pièce, et partout il n’éclairait que les objets qui la meublaient. Le guéridon où étaient posées les photos auxquelles je tenais le plus, ma mini-chaîne flanquée de son étagère à CD, mon bureau surmonté de mon ordinateur et des innombrables coupures de presse et autres feuilles remplies de ma main ; au fond, ma grande et haute bibliothèque et les 348 livres qu’elle supportait (il y avait encore la place pour une centaine d’autres) et, enfin ma petite armoire désormais occupée par la seule empreinte en argile du sein de Roxane. C’est en m’approchant d’elle que cette présence s’est faite plus prégnante, plus tangible. Le parfum était plus intense, le souffle plus chaud, quant au murmure, il semblait me dire quelque chose, que je n’arrivais pas à déchiffrer. Enfin mes yeux ont perçu une vague silhouette féminine, sorte de fantôme à la Brassens qui, loin de m’effrayer, de me faire hurler de peur, me rassurait :

« C’est toi Roxane ? »

Je n’ai pas eu de réponse, mais j’aurais juré mes Grands Dieux, que quelqu’un m’avait demandé de prendre le moulage ; alors je l’ai saisi et j’ai eu la douce sensation de tenir, non pas l’objet en terre cuite froid et sans âme qu’elle m’avait offert, mais son sein palpitant, chaud et parfumé. Cette impression a été si vive, que j’ai failli le faire tomber. Alors, je l’ai posé sur mon bureau et me suis mis à le caresser :

« Je rêve, n’est-ce-pas ? S’il fait si noir c’est que le soleil ne s’est pas encore levé. Il doit être, quoi ! Deux-trois heures du matin ? Fabienne dort à côté de moi, et c’est son sein que je suis en train de caresser, même si la forme et la taille n’est pas identique au tien, Roxane. »

Puis la lumière est revenue et j’ai appuyé sur l’interrupteur afin d’éclairer mon bureau. Quand j’ai posé ma main sur le sein, il était redevenu, froid et distant et, pour la deuxième fois, j’ai failli le faire tomber. Je l’ai reposé sur l’’étagère, je suis sorti de la pièce, éteint la lumière et refermé la porte à double tour. Dehors la pluie tombait toujours, mais sa violence s’était atténuée et le ciel n’était plus recouvert que par des nuages gris clair.

Fabienne m’a appelé :

« Tu as vu cet orage ?

— Impressionnant, oui. Le courant a sauté chez toi aussi ?

— Oui. » Elle a émis un petite rire : « Au fait, je voulais te dire… Ça m’a complète-ment échappé lorsqu’on a bu notre café… Hier soir pendant ton sommeil, tu as répété ‘’Roxane’’ trois fois. Comme ça : ‘’Roxane… Roooxane… Roooxaaane !’’ Heureusement que je ne suis pas jalouse. Tu appelais qui, la chanteuse d’avant-hier ? »

Je suis resté bouche bée… Non, sûrement pas la protégée de Georgina… Ma mystérieuse cousine, plus probablement.

J’ai balbutié un :

« Ah bon. Je… »

Elle a ri encore plus fort :

« Ne te justifie pas, mon chou. Je t’ai dit que je ne suis pas jalouse. Tu as le droit de rêver à qui tu veux. »

Le pire c’est que je n’arrivais pas à me souvenir d’avoir rêvé d’elle.

« Tu as toujours envie de me voir, ce soir ?

— Plus que jamais, Fabienne.

— Alors c’est très bien, mon chou. Vers 19 heures ?

— D’accord. »

Après nous être embrassés, et avoir raccroché, j’ai filé à nouveau dans mon bureau où j’ai saisi le moulage :

« Tu sais que tu m’obsèdes, ma chérie ? J’ai même prononcé ton prénom durant mon sommeil. C’est donc que tu es venue le peupler. Et tout à l’heure, lorsque j’ai cru caresser ton véritable sein, quand j’ai senti un parfum qui semble être le tien ? Est-ce que j’ai rêvé, ou tu t’es manifestée pour de vrai ? Qui es-tu, Roxane ? Qui es-tu ? Qui es-tu ? »

Et tout à coup, comme dans un éclair, j’ai revu le rêve de la nuit.

Je me tenais assis derrière mon bureau. A droite, un long rideau tenait lieu d’isoloir. Fabienne, debout devant la porte, attendait l’ordre de faire entrer la prochaine Roxane. (J’en avais déjà vu une sacrée kyrielle. Des grosses, des maigres, des grandes, des petites, qui avaient la peau mate, ou bien les yeux bridés, qui portaient des piercings, qui étaient tatouées…). A mon signal elle lançait : « Entrez madame. ». (En mon for intérieur, je me disais selon : « Pourvu que ce soit toi. » si elle était jolie. Mais dans le cas contraire, j’implorais Cupidon que ce ne fût pas elle). Elle lui tendait l’empreinte, indiquait la cabine : « Allez donc, l’essayer, mais n’insistez pas trop. ». De là, me par-venaient des « Hi !… » Des « Hon !... » Des « Zut !... » Toute une litanie de râles d’impuissance. Lors jetant un coup d’œil par derrière l’abri, Fabienne, leur disait : « N’insistez pas madame, ce sein n’est pas le vôtre. ». Et la pauvre sortait, dépitée, malheureuse. « Combien en reste-il ? » Demandais je fébrile. « Une bonne centaine. » Me répondait-on. « Mais il en vient encore, encore, comme si la terre n’était plus peuplée que de Roxane. » Et le manège continuait de plus belle, et le moule toujours n’avait pas de preneuse. Je chauffais d’impatience et trépignais sur place, à deux doigts d’envoyer tout balader d’un coup, quand Fabienne m’a dit : « Voilà, c’est la dernière ! » Alors elle est entrée, et elle a pris l’empreinte, est allée se cacher derrière le rideau ; puis elle en est sortie toute fière en disant : « C’est mon sein ! C’est mon sein ! » Et elle avait raison, mais ma belle des îles, m’a réveillé avant que je n’eusse pu voir le dessin de ses traits, les courbes de son corps. Seul un petit détail m’était resté en tête : elle avait au menton une jolie fossette.

« Une jolie fossette. Tu te rends compte, Mordicus ? Tu crois que ta maman l’aura remarquée ?... Non, pas ta maman. Elle ne l’a pas vue. C’est sa fille qui l’a vue … Au fait, comment tu la considères ?... Comme ta sœur ?... Comme une maman bis ?... Peut-être que tu ne la considères pas du tout… Oui, je sais que tu t’en fiches de ce que je peux bien te raconter. Tu as faim, tu veux ta pâtée... Sois patient ! Laisse-moi ouvrir la boîte… Ça y est, maintenant, je la verse dans ta gamelle… Voilà ! Le repas de monsieur est prêt… Je vais pouvoir nettoyer ta caisse… »

Et je suis revenu dans la cuisine, avec dans la main, un sac poubelle rempli des granulés minéraux, souillés de ses déjections.

« Mon vieux Mordicus, ta litière est toute propre et toute parfumée. »

Il n’a pas fait cas de ma remarque. Trop concentré à se nourrir.

« Tu te languis de ta maman ? »

Monsieur n’était pas très loquace ; alors je l’ai caressé (dans la sens du poil) et j’ai quitté l’appartement de ma voisine ; puis je suis descendu jusqu’au local des poubelles où je me suis empressé de jeter celui que je tenais dans ma main, qui avait laissé sur moi, son empreinte malodorante.

En rejoignant l’ascenseur, j’ai croisé Henry mon voisin du dessus. Un jeune loup de la finance, promis à un bel avenir à Bercy mais qui, en attendant, était chef de service au centre des impôts de Cadeï. Nous avions à peu près le même âge, et la passion com-mune des femmes sauf que, contrairement à moi, il les faisait venir chez lui ; alors que j’étais plutôt du genre à habiter chez mes maîtresses. Peut-être son appartement n’avait rien à cacher, et ses conquêtes pouvaient y circuler sans qu’il eût à craindre, lorsqu’il n’était pas là, d’une quelconque intrusion malsaine, dans une pièce secrète. (Si j’avais proposé à Célia un weekend à l’île de Porquerolles ou tout autre endroit romantique à l’ouest de Cannes, c’est moi qui serais allé dormir chez elle le vendredi, et ma collection n’aurait pas subi le sort funeste auquel je devais m’habituer désormais).

Il sortait de l’immeuble au bras d’une charmante blonde vénitien aux yeux gris, elle devait avoir une dizaine d’années de moins et ses seins, qui n’avaient pas échappé aux rayons « X » de mes yeux (Eh oui, madame la journaliste, vous aviez raison, la première chose que je remarque chez une femme c’est sa divine florescence…), étaient de belles poires fermes et haut placées.

Comme c’était un grand hygiéniste, bactéri-microbio-phobe, je me suis excusé de ne pas pouvoir lui serrer la main puisque je venais de déposer aux ordures, un sac rempli de déjections félines :

« Je te présente Roxanne… Roxanne, je te présente Anicet, mon voisin du dessous, plus connu sous le pseudonyme d’Alex Cantié » Puis, après un rapide clin d’œil à mon attention : « Elle aime beaucoup tes romans. »

D’admiration, elle a ouvert ses yeux, puis m’a tendu ses joues sur lesquelles j’ai déposé deux bises pudiques :

« Henry a raison. J’aime beaucoup vos livres et je vous suis sur Facebook… » Peut-être était-elle l’une des 164 ainsi prénommées, dont les photos ne représentaient que des chats, des fleurs, ou des paysages ; mais lorsqu’elle m’a précisé que son prénom s’écrivait avec deux « N », et qu’elle m’a donné son nom de famille, j’ai pensé que j’irais faire un tour sur son profil. « … Auriez-vous la bonté de me dédicacer les deux tomes de ‘’Seins au formol’’ ? » J’ai acquiescé : « Je ne les ai pas amenés, mais demain, je les aurai sans faute. »

Elle a regardé Henry, comme pour lui demander comment s’arranger.

« On s’appelle demain. M’a-t-il fait.

— D’accord. »

Il m’a donné une tape sur l’épaule :

« Bonne soirée.

— A vous aussi. »

Et Roxanne, m’a tendu à nouveau ses joues.

Maïa m’a appelé lorsque je descendais de l’ascenseur. Elle était à Berlin pour son exposition. (Un succès qu’elle m’avait communiqué par messagerie interposée, à laquelle j’ai répondu sms, avec une foultitude de pouces levées et de cœurs, promettant de la rappeler très vite) Andréas, son ténébreux Catalan, lui avait concocté pour le reste de la semaine un petit voyage en amoureux, à travers le pays.

« Ça se passe bien, marraine de mon cœur ?

— Pour l’instant, ça va, mon amour. Et toi, avec Fabienne ?

— A merveille. Encore plus sublime qu’il y a dix-sept ans.

— Le contraire m’aurait étonnée, mon trésor. Elle repart quand ?

— Demain, vendredi.

— Moi, je reviens lundi. Je t’enverrai l’heure d’arrivée et le numéro du vol.

— Très bien, sculptrice de mon âme. »

Puis nous nous sommes embrassés partout, et nous avons raccroché.

En lui faisant la proposition de venir dormir à Maupassant, je voulais vérifier si ma tante adorée serait elle aussi victime de ce micro climat qui sévissait dans mon lit et empêchait les femmes de se donner à moi – même si entre nous, le terme le plus appro-prié eût été : nous faire du bien, sans franchir la ligne jaune.

J’ai haussé les sourcils, et jeté un coup d’œil à la montre de mon téléphone. J’avais une bonne heure et demie pour me laver, me changer et filer à Saint Laurent du Var rejoindre ma maîtresse par excellence à qui j’avais promis – et réciproquement – une longue nuit de luxure et d’orgasmes débridés, à nous faire oublier le précédente si sagement chaste.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Georges Floquet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0