Route des Alpes et chauffeur galant

7 minutes de lecture

 Des milliers de crissements d'insectes s'élèvent autour de moi. Le sac pèse douloureusement sur mon épaule, le soleil écrase la petite route des Alpes déserte et se permet au passage de taper sur mes bras nus. Evidemment, j'ai oublié mes lunettes de soleil, mais mon chapeau compense un peu et protège ma nuque. Le ciel dégagé, d'un bleu dense, étincelant comme seul peut l'être le ciel des Alpes me fait augurer d'une journée entière à l'avenant. Voilà déjà deux heures que je marche et selon mes renseignements, il m'en reste autant. Le dénivelé s'accentue et le chemin serpente. Mais je ne regrette rien. La vue est fantastique. J'aime cette nature enjouée, rude et superbe, qui m'entoure et les derniers arbres qui m'ombragent.

 Tiens, ce son-là n'est ni un oiseau, ni un insecte. Il s'approche et amplifie. On dirait un moteur. Je me range sur le bas-côté. Il me vient brièvement à l'esprit qu'à cet instant, je dois parfaitement ressembler à la peintre de Kiki la petite sorcière. Un sourire m'échappe et je reprends ma marche. Un vieux tacot poussiéreux me dépasse et s'arrête dans un grincement de métal.

  • Vous allez où ?

 Je me tourne. Le conducteur me regarde, toutes vitres ouvertes, un bras sur le dossier de son siège. Il doit avoir la vingtaine et il est mignon, le galant ! Il a dû voir que je peinais avec mon sac. A l'idée de faire encore deux heures de route sous ce soleil, le courage me manque.

  • Jusqu'à l'alpage.

 Il sourit. Bon sang, qu'il est craquant !

  • Montez.

 Je le remercie, ouvre la portière et obéit. Un long soupir de soulagement m'échappe lorsque mes jambes sont enfin soulagées du poids de mon corps. Il redémarre et je me permets d'examiner davantage mon hôte. Il conduit avec assurance. Ses cheveux bruns, taillés courts, presque trop courts, dessinent une ligne de nuque délicate. Son visage plein de rondeurs garde un aspect légèrement enfantin, compensé par une barbe récente délicieusement virile et l'angle plus rude de sa mâchoire. J'ai du mal à capter la nuance de son regard à cause des ombres changeantes des feuillages. Mais surtout, la courbe qui relie son oeil et sa joue me fascine. Je passe un temps qui me semble immense à observer cette minuscule portion de son corps, comme si tous les secrets de l'univers s'y trouvaient.

 Mon regard glisse vers le bas au mépris de toute bienséance. L'échancrure déboutonnée de sa chemise laisse voir une portion de son torse qui suffit à attiser mes appétits, garnie d'une toison sombre clairsemée. J'aime les torses un peu velus...

 La silhouette de son corps dessinée sous la chemise est simplement parfaite. Je déteste les hommes musclés, j'ai l'impression d'être face à un écorché des manuels d'anatomie. En revanche, j'aime les fortes carrures, les épaules larges, et celui-ci a tout pour me plaire. Les contours de son corps rivalisent en courbures généreuses avec les miens. J'aimerais les suivre de mes mains, les éveiller une par une avec douceur, les goûter... En essayant de retrouver mes esprits, je décale mon regard et tombe malencontreusement sur l'entrejambe. Ou alors c'était parfaitement volontaire...

 Je m'autorise sans vergogne à contempler longuement la forme que cache son short en toile. Il a des jambes longues et robustes, charnues, que j'imagine volontiers enserrer ma taille.

  • Tu montes à l'alpage pour quoi, si ce n'est pas indiscret ?

 Oups. J'espère qu'il ne m'a pas grillée.

  • Je vais voir une amie qui est bergère. Et toi ?
  • Je ravitaille un campament de chercheurs et de photographes installés là-haut.
  • Tu t'appelles comment ?
  • Jérémy. Et toi ?

 Sa voix, basse, chaude, me fait courir des frissons dans le dos, jusque dans les reins. Je ne crois pas qu'il en ait conscience.

  • Agathe.

 J'essaie de l'imaginer excité. Cette vision merveilleuse me fait frémir. Je vois ses mains puissantes qui tiennent le volant et je les imagine sur moi, audacieuses, sauvages. Je tourne le visage vers l'extérieur de la voiture, histoire de me rafraîchir métaphoriquement comme littéralement. Pourquoi ce mec me met dans cet état ? Peut-être que cela tient dans son sourire à demi malicieux. Mais rien ne peut m'empêcher de sentir son parfum de bois de cèdre, d'épices et de sève de pin qui lui va si bien et s'accorde à son odeur naturelle. Même les froissements de vêtements que j'entends quand il change de position me font déglutir.

  • Dis, je meurs de chaud, ça te dérange si on s'arrête ? Il y a un ruisseau qui court pas loin, on peut se rafraîchir avant de continuer.
  • Volontiers.

 La boîte de conserve dans laquelle nous sommes assis devient en effet une étuve. Peut-être même qu'il a senti ce qui m'arrivait ? Peut-être a-t-il une idée derrière la tête, pour s'arrêter ainsi seuls en pleine brousse ? Des vagues de chaleur me parcourent en envisageant cette possibilité.

 Jérémy arrête la voiture et se lève. J'admire la torsion de son corps lorsqu'il marche et m'empresse de la suivre.

 Il y a effectivement un cours d'eau clair et rapide qui chante à proximité. Je commence par m'asseoir sur une pierre pour retirer mes chaussures de marche. Lui s'est déjà avancé jusqu'à la rive et enlève sa chemise. Bon sang.

 Je me mords la lèvre et détaille le dos qu'il me présente. La peau pâle, qui n'a pas encore bronzé, révèle une texture délicieusement moelleuse. Avec ses épaules larges et arrondies et son bassin étroit, il est taillé en V comme un dieu grec. Je perds mon souffle une seconde. Il a des fesses magnifiques pour un homme; presque aussi rondes que celles d'une femme, avec cette merveilleuse fossette indiquant la tension des muscles sur l'extérieur. Il me vient l'envie de les saisir, de les sentir fermes sous mes doigts... Je visualise facilement les lignes de sa chair qui disparaissent sous le short et le caleçon dont j'aperçois le haut.

 Il s'asperge la tête et le torse d'eau fraîche. J'ose me lever et approcher. J'hésite à enlever aussi mon haut, juste pour le rendre fou et voir son regard s'allumer. Je ne sais même pas s'il est célibataire. Je me raisonne et me contente de nouer mon t-shirt à la hauteur de ma poitrine.

 Je jette un oeil sur le côté en me penchant pour trouver l'eau et le regrette aussitôt. Je vois la toison qui lui couvre le torse, mais qui ne cache rien de sa beauté globale. Cette peau doit être si douce au toucher... Et si j'essayais de le frôler, simplement ? Je caresse avec les yeux la forme de ses pectoraux qui ne gâche pas la douceur de son corps. Ses tétons roses brunis me mettent l'eau à la bouche tant ils sont bien dessinés. Je remarque même les tensions de sa chair se précipiter sous ses vêtements en un angle révélateur. Un coup de chaud supplémentaire m'envahit et l'eau du ruisseau montagnard devient salvatrice.

 Il recoiffe ses cheveux trempés. Je vois à présent clairement ses yeux, d'un brun chaud, profond, ensorcelant. Sa bouche entrouverte et les gouttes qui le parcourent le rendent plus sexy encore. Je sens mon bas-ventre fourmiller. Il va me faire perdre la tête, ce fou.

 Il ne se rhabille pas pour conduire. Argh. Est-ce que je vais subir la vision de son corps en action tout le reste du trajet ?

 On dirait que oui. Dans ma tête, j'assemble nos corps de toutes les manières, comme des pièces de puzzle. Le feu qui m'embrase ne cesse plus et je le dévore des yeux. Ses flancs qui accrochent la lumière se tendent et ondulent lorsqu'il tourne. Les ruisselets d'eau soulignent l'angle de sa mâchoire. Ses belles lèvres pleines luisent également de fraîcheur liquide tentatrice.

 Le pire reste de suivre les larmes de ruisseau qui glissent vers son bas-ventre en suivant l'étrécissement de ses hanches et plongeant sous l'ampleur de la toile. Si elles suivent la ligne, elle arriveront fatalement au même endroit que toutes mes pensées actuelles. Ma langue les suivrait volontiers pour les happer... La fermeté de ses cuisses, visible sans difficulté lors de ses mouvements, me fait augurer d'une fougue à l'avenant.

  • On arrive bientôt. Tu vas à l'alpage des Eygliers, je me trompe ?
  • Non, c'est là. Au deuxième lac.

 Je suis sûre que je rougis. J'ai eu une vision de son corps nu dans l'eau limpide du lac de montagne, tournoyant sous toutes ses coutures. Les formes de son torse sont aussi lisses que des galets polis. Il a cette sobre perfection qu'ont les sculptures de marbre de la Renaissance italienne, mais avec la chaleur et la carnation de la vie.

 Nous arrivons en vue de l'alpage, alors que je rêvais de mordre ses douces clavicules et de plaquer mon ventre contre le sien pour sentir son odeur de plus près.

  • Je vais à la cabane juste là, indiquai-je avec la main, sursautant presque.

 Il a à nouveau cet étrange sourire malicieux, coquin peut-être ? Il me fait monter des vagues d'étourdissement à la tête. A quoi pense-t-il ? Croit-il que je l'emmène dans un cabanon désert exprès ?... J'aurais aimé. Si je connaissais une combine pour faire disparaître Elise de chez elle une petite demi-heure, je m'en servirai maintenant.

  • Mademoiselle est arrivée, déclare-t-il en freinant devant l'auvent bricolé de l'abri de berger.

 A regrets, je me détourne de lui pour sortir de la voiture et il m'imite en prenant mon sac à l'arrière. Il remet sa chemise à mon grand désarroi, constatant que le soleil tape dur à présent que les arbres ne nous couvrent plus. Je n'ai que le temps de croquer du regard son torse toisonné avant qu'il ne disparaisse.

  • Merci, balbutiai-je.

 Mon amie Elise jaillit alors de sa cabane.

  • Agathe ! Tu es arrivée !

 Elle se jette sur moi pour m'enlacer.

  • Je vois qu'il est inutile de te présenter Jérémy, glousse-t-elle.

 Je m'apprêtais à réclamer des explications lorsque sous mes yeux ébahis, ayant visiblement décidé de me donner la plus belle douche froide de ma vie, elle l'embrasse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aramandra ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0