La mère pécheresse

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Essoufflée, trempée jusqu'aux os, elle parvint à retrouver son chemin. Elle ne savait pas par quels moyens mais elle frappa à la porte de son domaine. La domestique lui ouvrit et se précipita pour la prendre par les épaules.

-Madame ! Monsieur se fait un sang d'encre pour vous, où étiez-vous ?

-Olivia, bon Dieu, tu es en vie ! Te rends-tu compte à quel point tu m'as rendu inquiet ?

Il la prit dans ses bras et s'efforça de la réchauffer en l'amenant près de la cheminée. Toujours muette, la jeune femme se mordit les lèvres pour ne pas succomber à sa tristesse. Ce qu'elle venait de vivre était tellement effroyable que son mari ne pourrait jamais la comprendre. Elle venait d'accomplir un pêché.

-Qu'as-tu donc ? Demanda-t-il très bouleversé. Comment cela se fait-il que tu te retrouves dehors si tard ? Pourrais-je avoir une explication ?

-Je...Murmura Olivia.

Sa voix se cassa car les larmes affluèrent au bord de ses paupières. Elle tenta de les retenir mais une première larme roula doucement sur sa joue froide. Heureusement, il ne le vit pas.

-Je suis allée me promener et je me suis égarée en chemin.

Elle l'avait dit trop rapidement et en laissant échapper quelques sanglots. Son mari prit cela pour la peur du noir. Elle avait la phobie de demeurer trop tard à l'extérieur. Monsieur de la Crue l'allongea sur le sofa.

-Je vais demander une collation, tu es épuisée.

-Je n'ai besoin de rien Josselin. Tu peux aller te coucher.

-Comme tu voudras...

Son époux eut tout de même du mal à se détacher de sa femme. Il la sentait faible, anéantie par une chose qu'elle n'osait pas lui avouer. C'était un homme doux et compréhensif, il ne l'accuserait jamais de ne rien lui révéler. Ils avaient célébré leur mariage deux ans auparavant dans la petite église de Sainte Marigane le village où ils avaient bâti une vaste demeure. Heureux et soudé, le couple faisait l'unanimité des habitants. Mais depuis quelques mois, les gens remarquaient un changement notable chez Madame de la Crue. D'ordinaire discrète, elle ne sortait plus de chez elle et on disait d'elle que son comportement laissait à désirer. Les commerçants du coin aimaient à répandre des rumeurs : la rupture avec un amant, le mari ayant la main lourde... On n'osait pas de trop critiquer l'un des seuls notables du village.
Heureusement, Olivia avait pris soin d'entretenir une bonne image en continuant de fréquenter l'église et les petits chemins où elle aimait se balader.

Alors que Josselin était monté dans sa chambre, elle décida de monter dans la sienne. Ils faisaient chambre à part, ils affectionnaient chacun avoir leurs petits secrets. Elle entra dans la grande pièce aux odeurs fleuries. Chaque matin, la bonne apportait pour sa maîtresse des bouquets de fleurs fraîches. Olivia détestait l'hiver et ses pluies diluviennes, alors elle demandait à chaque fois qu'on lui apportât un peu de gaieté. Elle respira le bouquet de chèvre-feuilles puis ferma les yeux. Son chagrin sembla se volatiliser, s'envoler vers des contrées lointaines, ses larmes séchèrent comme sous l'effet d'un rayon de soleil, son cœur s'allégea. Si elle venait à mourir, elle le ferait dans un champ de plantes odorantes et les oiseaux joueront leur mélodie pour elle. Elle rouvrit les yeux, face à la terrible vérité qui dévorait son âme.


Olivia se dirigea vers son secrétaire. Elle en tira un petit godet d'encre coloré et une plume d'oie finement ouvragée. La longue plume blanche, douce et soyeuse au toucher puis la pointe bien aiguisée, fine, très agréable en main. Elle plaça une feuille de papier blanc devant elle, trempa la plume dans l'encre bleue et se mit à rédiger.

Mon amour...


Les mots lui échappèrent, sa main tremblait tellement que la plume lui échappa. La tête dans les mains, elle éclata en sanglots, envahissant le papier de son chagrin. Elle pleurait silencieusement, en reniflant en veillant à ce que son mari ne l'entende pas. Elle s'essuya avec un mouchoir en soie puis reprit sa plume. Enfin l'énergie dont elle rêvait pour coucher ses durs sentiments la transcendait.

Journal d'Olivia de la Crue

La mère pécheresse

Ce que je viens de faire est inhumain. Je ne sais si mon époux me le pardonnera un jour. Je viens d'assassiner un être, un enfant. Mais qui peut me comprendre en ce moment de détresse ? Je ne comprends point le comportement de Josselin. Mon petit Josselin, si gentil, si naïf, tu n'imagines pas un instant ce que je viens de vivre. J'ai abandonné notre enfant à la merci des animaux sauvages. À l'heure où je parle, les loups sont déjà en train de dévorer son petit corps. Cela m'arrache le cœur et les entrailles, je ne peux croire en cette douloureuse action. Tu ne te rends pas compte à quel point j'ai versé les larmes après et avant la naissance de notre enfant. J'ai pêché, et je le sais. Tu m'en voudras, je le sais. Je ne te connais que trop bien : tu es un homme sage lorsqu'il est question d'affaires importantes mais ceci est bien plus important que tu ne le pense. Il s'agit de la vie d'un enfant, du nôtre. Je regrette déjà de l'avoir laissé à son propre sort. Je n'avais tout simplement pas le choix. Un jour, tu comprendras ce que je veux te dire et tu ne m'en voudras pas. Mon petit Josselin, je ne souhaite pas revenir en arrière car notre fils ne me verrait plus comme avant. Je suis une mère meurtrière, une mère mal aimante.


N'ayant plus la force d'écrire, Olivia s'interrompit. La porte s'ouvrit sur son mari.

-Comment te sens-tu ?

-Bien, bien, S'efforça d'articuler Olivia. Ne t'en fais pas mon petit Josselin, je me sens bien.

Il hocha la tête et déclara aller se coucher.

Une fois dans ses draps, la jeune femme ne put fermer l'oeil de la nuit. Toujours la même scène qui tournait dans son esprit, se transformait en un véritable cauchemar. Elle revoyait ses grands yeux traversés par des éclairs, ses mains s'allonger de grandes griffes. Son fils lui arrachait la moitié du visage et lui dévorait son cœur empli de Mal.

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