Ani-quoi ?

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17h

Après le déjeuner tardif, Awa m'a laissé me reposer et est montée dans sa chambre jouer tranquillement. Du moins, c'est la version que je donnerai à Risu lorsqu'elle me demandera le programme de la journée. En réalité, elle a fait un vacarme d'enfer pendant deux heures en frappant avec son épée de bois contre le châlit métallique. Elle savait pertinemment que je voulais faire une petite sieste pour me remettre de la matinée éreintante, et faisait exprès ce boucan pour m'empêcher de dormir.

J'étais alors montée la voir, et avais constaté que tous ses jouets, essentiellement des licornes arc-en-ciel, gisaient au sol, décapitées et démembrées avec soin.

- Ta maman m'a dit que c'était un jour spécial, aujourd'hui, avais-je dit, optant pour la diplomatie.

- Hum ?

- Ton anniversaire.

- Mon ani-quoi ?

Elle me regarda, l'air perdu. Elle ne savait sincèrement pas ce qu'était un anniversaire ! Est-elle vraiment une enfant ?

- Rien, je me suis trompée.

J'étais redescendue, abasourdie par ce que je venais de voir et d'entendre.

Je sens que je ne vais pas tenir très longtemps avec elle. En dix ans de carrière de baby-sitter, c'est la première fois que je vois une petite fille aussi turbulente. Il faudra que j'en touche un mot à Risu lorsqu'elle reviendra. J'ai hâte de retourner chez moi, retrouver le calme de mon appartement de Hanashinju. J'achèterais bien une plante, je songe subitement. C'est silencieux, ça ne profère pas des menaces à longueur de journée, et ça ne se promène pas avec un hachoir à la main. Je devrais peut-être partir me mettre au vert, aussi. Je suis un peu crispée ces derniers temps, j'ai besoin de me relaxer. Je passe mon temps à le ronger les ongles, trouvant qu'Awa ne fait plus autant de boucan qu'avant. C'est mauvais signe, cela signifie probablement qu'elle mijote quelque chose, et je prendrai cher, j'en suis persuadée.

J'entends des pas dans l'escalier ; je sursaute, mon cœur bat à la chamade. Pitié, tout mais pas ça ! Pourquoi moi ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit sur moi que tombe le sort, incarné par Risu ?

Je lève les yeux vers Awa, m'attendant au pire. Je soupire de soulagement. Mon intuition féminine s'était trompée, elle ne vient pas me faire des misères. Elle semble même avoir trouvé un centre d'intérêt de son âge, la collection de petits objets. Elle tient une boîte en bois laqué, de belle facture et cerclée de métal doré.

Sans dire un mot, elle s'installe à côté de moi sur le canapé et me sourit.

- Tu veux me montrer tes beaux trésors ?

J'essaie de passer l'éponge sur ce qu'elle m'a fait subir plus tôt dans la journée, les enfants ont une excellente mémoire en ce qui concerne les disputes avec les adultes. Je n'ai pas envie de me la mettre à dos...

Elle me tend la boîte sans se départir de son sourire qui lui va si bien ; je l'ouvre.

- Ah... C'est, comment dire... Particulier. - j'ai du mal à trouver mes mots, je déglutis péniblement - C'est une passion très... - je n'arrive pas à croire je vais dire ça - Passionnante, justement.

Je hoche la tête vigoureusement, mais j'ai cessé d'espérer qu'elle serait dupe de mon enthousiasme forcé depuis bien longtemps. Comme je m'y attendais, elle me regarde de travers.

- Tu apprécies vraiment ?

Gloups.

- Oui, bien sûr, c'est fascinant !

Elle réfléchit un instant.

- Acceptes-tu de devenir membre de l'association que j'ai fondée ?

Question innocente, réponse facile.

- Oui, qu'est-ce que je dois faire ?

Sans crier gare, elle sort de sa manche une petite pince effilée et m'arrache un ongle ; j'avais commis l'erreur de baisser ma garde et de laisser trainer mes mains hors de mes poches. Grossière erreur. Je crie de douleur et tressaille ; je ne m'attendais vraiment pas à ce brusque revirement. J'enserre mon annulaire sanguinolent.

- Tu es maintenant membre bienfaiteur de l'association des donneurs d'ongles de Hanaryū ! déclare Awa d'un air triomphal en agitant sous mon nez le bout de kératine brillant.

Après s'être repue de mon expression d'horreur douloureuse, elle se penche sur son butin et l'examine d'un œil expert.

- Court, vernis en bleu électrique, souple... Une très belle pièce, conclut-elle.

- Et d'où te vient cette passion pour les ongles ?

Ce n'est qu'une enfant, je me répète silencieusement, elle n'a que cinq ans, et a encore le temps de grandir. Pourtant, cette affirmation sonne faux, et je ne parviens pas à m'en persuader malgré mes efforts.

- C'est Menbou-sensei qui nous a conseillé de garder un souvenir des prisonniers qu'on tue ici, répond-elle sans sourciller. Pourquoi tu es toute blanche, Yakari ?

Je me lève en vacillant.

- Je-Je ne me sens pas très bien.

Je claudique jusqu'à la porte d'entrée de la petite maison.

- J'ai besoin de prendre l'air.

- Ça va être difficile, il y en a beaucoup, tu ne pourras jamais tout attraper !

Je ne sais que répondre. Cette phrase dégouline de naïveté, c'en est presque écœurant, en comparaison avec ce qu'elle a pu me dire d'autre...

- Tiens, prends plutôt un bol d'air !

Awa prend un bol en porcelaine, fait un grand mouvement de bras et plaque sa main sur le dessus.

- Merci.

Je souris faiblement. Je ne sais plus que penser de cette petite fille. En est-ce vraiment une ? Elle est inclassable, tantôt sombre et violente, tantôt innocente. Lunatique et bipolaire, en fait.

- Il vaudrait mieux que je retourne chez moi, je lui explique d'une toute petite voix. Je suis malade.

Elle ne me répond pas ; cela n'augure rien de bon. Elle se contente de m'observer en silence.

Je ne prend même pas le temps de rassembler mes affaires, je prends la poudre d'escampette et file dans demander mon reste. Heureusement que personne n'est là pour m'arrêter ! Je prends le premier bus qui passe et part en direction du sud, vers Hanashinju.

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