Cinq corps autour de la table, cinq dépouilles en devenir. Il s’en frotte les mains.
Il règne un silence mortel autour de la table. Brisé par le tic-tac hypnotique d’une vieille pendule qui décompte le temps qu’il reste à chacun. Et tous se regardent d’un air apathique. Sur la table, le repas refroidi. Il aime la viande froide, ça ne le gêne pas.

« Eh bien chers convives ! Ne vous laissez pas abattre ! Tout du moins pas encore. Regardez-vous, pauvres hères. On dirait que vous avez vu un spectre ! »

L’un des cinq macchabées à venir se râcle la gorge.
Il faut dire que le discours précédant ce repas lui a un tantinet remué les entrailles. Ils sont condamnés, tous autant qu’ils sont. C’est assez difficile à avaler.

« Je n’avais pas imaginé passer ma dernière soirée ainsi, dit-il dépité.
— Je ne veux pas mourir, renchérit sa voisine, livide.
— Bah ! Faut bien qu’ça arrive un jour alors autant en profiter, nan ? »

Le voisin de la voisine a pris au mot leur hôte et se sert de grandes plâtrées de victuailles et les entame sans se faire prier. Cette réaction le fait sourire mais ses prunelles mornes se posait sur la récalcitrante. Son ton se fait glacial. Sa voix, nécrotique et gutturale sans pour autant être dénuée d’une certaine douceur somme toute morbide.

« Vous ne voulez pas et pourtant, c’est dans l’ordre des choses. Vous mourrez, tôt ou tard. Enfin plus tôt que tard. C’est ineffable. C’est indiscutable. Cela arrive demain et c’est comme ça. Alors profitez ! »

La femme se met à sangloter, recroquevillée sur sa chaise.
Une jeune demoiselle à ses côtés ne disait rien, bien trop occupée à écouter leur hôte d’une voix forte attentive en faisant abstraction des bruits de bouche du mangeur. Elle soutient le regard cadavérique de son vis-à-vis et maître des lieux. Ils sourient tous les deux.
Quant au dernier, ses pensées étaient déjà à demain, avec soulagement.
Tous les cinq venaient de prendre un repas avec la Fin, le Grand Néant, la Mort... tout simplement.