Chapitre 2 Compte et acompte

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Les trois enfants quittèrent les Docks en ruines d’un pas vif, la nuit approchait et les tripots et autres boutiques clandestines commençaient à ouvrir leurs portes. Une prostituée s’affairait à allumer une lanterne pour indiquer ses disponibilités de passe, un tavernier au visage creusé fumait sur le péron de sa boutique en fixant le vide devant lui. Quelques clients arrivaient passablement alcoolisées en chantant des chansons paillardes.

Ils se rapprochaient de l’épicentre du quartier pauvre de Shrem, certes les bâtisses n’étaient pas aussi délabrées que sur les docks abandonnés, mais la plupart des habitants aspiraient à quitter le quartier pour se rapprocher des zones plus aisés de la cité. Certains y arrivaient parfois, et leurs maisons étaient automatiquement réinvestis par d’autres personnes trop heureuses de trouver un toît, cette boucle se répétant sans fin, seuls les plus démunis passaient l’entièreté de leur vie dans ce cloaque.

Les bordels, et tavernes clandestines avaient laissés place à des commerces et activités plus classiques, les commerçants fermaient leurs étals à l’approche du crépuscule. On pouvait voir de la fumée s’élever des rares masures en pierres, la majorité des maisons ressemblant plus à un amas de bric et de brac, réparé avec le matériel qu’on avait sous la main.

Seul Bâtiment opulent du quartier, l’église trônait au coeur des bas-fonds, ses murs imposants blancs dénotant avec le reste de la zone, symbole d’opulence et de puissance. Son toît immense semblait se prolonger en une lance infini, désirant percer le ciel.

Ses vitraux représentaient divers saints et tourments, alternant des nuances de blancs et de rouges, comme pour rappeler qu’il existe toujours pire châtiment que la vie mené ici bas.

Une foule de gamin se précipitait à ses portes, surgissant des ruelles enfumés, sans un mot, sans un rire, ils formaient une queue compacte pénétrant dans l’église avec discipline. Les lourdes portes accueillait le flux d’enfant, la pointe d’une énorme épée de de marbre décorait le haut de l’imposante entrée.

“On est à l’heure chuchota Vins à Shaun tout en rejoignant la queue des marmots

-Oui répondit Shaun dans un murmure

-Reste plus qu’à espérer qu’il soit de bonne humeur”

Shaun ne répondit rien et se contenta de serrer le fruit de son larcin plus fort contre sa poitrine, le poids rassurant lui assura qu’il ne rentrait pas bredouille.

Une fois dans l’église, les portes furent verrouillés, par deux hommes de foi, leur faciès abîmé et constellé de cicatrice n’inspirait aucune bienveillance. Seul la robe indiquait qu’ils appartenaient au clergé, leur physique et leur manière avait plus trait au malandrin qu’au prêtre. Et une lourde masse d’arme pendait à leurs ceintures de chanvre. On avait autorisé les ecclésiastiques du quartier à porter les armes, mesure nécessaire selon les autorités afin de protéger ce lieu de culte des désespérés qui pourraient tenter de piller la demeure du seigneur. L’un des portiers avait même le visage recouvert de tatouage, et Shaun n’osait jamais croiser son regard.

Les enfant avaient formés une ligne dans l’allée, aucun n’était assis sur les bancs pourtant nombreux les entourant. Ils demeuraient silencieux, seul de légers clapotements de cire des cierges allumés troublaient le silence militaire.

Des bruits de pas résonnèrent tandis que le père principal se rapprocha de son pupitre pour son discours du soir. Il souria à l’assemblée, passa ses mains remplis de bagues diverses, pierres serties et autres chevalières d’or sur sa barbe noire impeccable. Il avait pour habitude de jauger l’assemblée de son regard glacial, ses yeux bleu semblaient transpercer chaque enfant, et il ne prenait la parole qu’après avoir longuement porté son regard sur son troupeau. Il remit sa mèche noire rebelle en place sur sa chevelure aussi noire que sa barbe et prit enfin la parole.

“Mes chères petits, louez le seigneur d’avoir vécu un nouveau jour dans ce monde merveilleux qu’il nous a légué. Les temps sont durs, vous le savez, et c’est dans son infinie miséricorde qu’il vous accueille, vous les délaissés, les sans-familles, en sa demeure.

Remerciez-le, car en perdant en votre famille vous avez rejoint la sienne, et nul n’est seul quand il marche au côté de notre sauveur.

Mais notre seigneur est joueur, et c’est donc chaque jour à vous de vous battre pour préserver la vie qu’il vous a accordé. Voler n’est point un péché quand il est commis au nom du seigneur, et qu’il bénéficie à son oeuvre, j’espère donc mes enfants que vous n’êtes pas revenu les mains vides. Que vous avez fait honneur à la vie qu’il vous accordé, n’éprouvez nul honte et amenez moi les offrandes que vous avez glané au cours de votre journée.”

Sur ces mots il se dirigea vers une table installé juste devant la scène de l’église, il s’asseya sur le tabouret et fît signe aux premiers enfants d’avancer. Il regardait d’un air à la fois détaché, et pourtant avec une concentration extrême chaque menu-larcin qui été déposé sur la table. D’un signe de tête il autorisait ceux dont il jugeait la pêche raisonnable à se rendre au réfectoire, ceux qui revenaient bredouilles ne pouvaient que baisser honteusement la tête avant de se décaler sur la gauche, dans l’attente de leur punition.

Le tour de Shaun et Vins arriva, ils déposèrent sur la table la bouteille de rouge qu’ils avaient chapardé.

“Huuuum c’est là tout ce que vous m’amenez après avoir fait vache-maigre tant de fois ? commenta-t-il

-Excusez nous mon père on fera mieux demain répondit Vins tout en déplaçant d’un pied sur l’autre, le visage rivé au sol

-Certes, mais je pense qu’une nuit sans repas pourrait bien vous pousser à poursuivre vos efforts ? “

Shaun sentit les larmes lui monter aux yeux, mais réussit à les contenir in-extremis. Il jeta un oeil à Vins qui continuait de fixer le sol, les mains croisées dans le dos, les jointures de ses phalanges étaient si serrées qu’elles viraient au blanc. C’est alors qu’Arthur quitta la file pour rejoindre la table sans attendre son tour, il déposa une petite pile de divers quincaillerie, montre, bracelets, et petits objets du quotidien.

“Mon père ne soyez pas trop dur avec eux je vous prie, je suis sûr qu’ils feront mieux demain, je m’assurerai qu’ils ramènent un butin à la hauteur des sacrifices que vous consentez à faire chaques jours…”

Le prêtre s’apprêtait à rabrouer Arthur, il avait croisé ses mains ce qui présageait une colère, mais soudain son regard se fît plus doux. Il saisit une bague au milieu de l’amoncellement de petit objet, elle était en argent et représentait une croix, il la saisit et la fit rouler entre ses doigts avant de la passer à son majeur, bien qu’une bague ornait déjà la base de ce doigt.

“Arhur, arthur, arthur… mon cher enfant, si ne te montrais pas aussi bon envers ton prochain, tu pourrais accomplir de grande chose, mais je suis obligé face à tant de dévotion de reconnaître ta ferveur.

Va pour cette fois, mais s’ils reviennent bredouilles demain, quel que soit ton butin tu sera toi aussi la cible de mon courroux, me suis-je bien fait comprendre ?

- C’est très clair mon père

-Va avant que je ne change d’avis”

Arthur donna une claque à l’épaule de Vins avant de se diriger au réfectoire, Shaun leur emboîta le pas trop content de s’en être tiré à si bon compte. Il accéléra en entendant le soupir exaspéré du Prêtre à la vue d’un autre contrôle journalier. Il ne fallait pas s’attarder ses humeurs étaient aussi variables que le vent.

Shaun pénétra dans le réfectoire hâtivement suivi par Vins, le réfectoire immense avait pour habitude de dresser les tables en U. Chaque orphelin rejoignant des places bien attribués, on s’asseyait par affinités, mais aussi par dortoir, cela permettait de dresser un constat efficace pour les hommes du père. Qui était rentré bredouille, qui n’avait pas droit à manger, et qui n’était pas rentré du tout, ils se chargeaient ensuite de noter sur des calepins les effectifs, afin d’équilibrer aux prochaines entrées les différents groupes. Shaun soupçonnait que les calepins servaient aussi à noter leurs efficacités, il avait remarqué que les meilleurs grapilleurs avait droit à un traitement de faveur, on fermait plus facilement les yeux sur leurs bêtises, et on avait tendance à les garder à l’oeil, les vaches à lait sont peu nombreuses.

Shaun s’apprêtait à s’asseoir en bout de table, et il fût surpris d’y retrouver Arthur qui l’attendait la mine grave. D’habitude les aînés comme lui se mettaient plus au centre, plus proche de la nourriture. Ils se regroupaient ainsi pour rire, et bavarder, mais aussi parler affaires. Et les placer ainsi stratégiquement, diminuait les tensions entre groupes, les aînés sont intouchables pour les jeunes. Ils forment les bleu et veillent sur eux, du moins un temps. Chacun des trois dortoirs possède une dizaine d'âges et chacun est libre ou non d’assumer le rôle d’aîné. Seul le père intervient et perturbe cette équilibre précaire, mais Shaun ne l’avait vu qu’une fois se mêler de la gestion de l’internat. Le premier dortoir avait recruté un nombre considérable d’aîné et menaçait d’absorber les autres, il avait remanié les effectifs, mit à la porte certains, et c’était assuré de mettre en concurrence les jeunes, faisant miroiter diverses récompenses.

Arthur faisait tourner un quignon de pain dans son râgout, totalement absorbé par ses pensées. Un petit tourbillon c’était formé entraînant des morceaux de saucisses et de carottes dans une spirale infernale.

Vins commença son plat sans lui adresser la parole le dévorant avec un bel appétit, tandis que Shaun ne pouvait s’empêcher de fixer Arthur et sa contemplation béate.

“Mange Shaun, je me suis mouillé pour vous, faudrait pas que tu te prives dit-il sans décoller son regard de la soupe.

-Oui… oui Shaun sortit de sa torpeur et commença à manger timidement mais sûrement le ragoût.

-Qu’est-ce tu nous veux Arthur ? demanda Vins

-Je vois que t’a capté que j’avais une idée derrière la tête, je vous ai pas sauvé la mise par bon coeur, j’ai besoin de vous, ce soir

-Ce soir? répéta Shaun surpris

-J’ai un truc sur le feu, et je pense que vous seriez parfait pour le job

-Pourquoi tu demandes pas aux autres aînés de t’accompagner, ils sont plus efficaces, et ils ont plus d’expérience que nous dit Vins

-Pour qu’ils me carottent la plupart des trucs intéressants, nan c’est pas la peine, je vous ai vu sur le marché, vous étiez rodés et efficaces, mais surtout solidaire, plus d’un aurait laissé Vins s’faire encastrer pour pouvoir chourave deux-trois trucs en plus. Et pendant que tu occupais la foule avec ton cirque, j’ai fais deux ou trois poches, du grand-art Vins.

-C’est pas faux dit Vins flatté

-Tu m’en dois une Vins pas sûr que l’Ned aurait été tendre avec toi si j’étais pas intervenu, et même sans ça je vous propose un truc réglo, on partage en trois et on étale. Si on se démerde bien on aura même quelques semaines d’avances, pour l’père.

-Mais c’est quoi ton filon ? demanda Shaun la bouche pleine

-Tu verras si tu viens”

Shaun jeta un oeil interrogateur à Vins, qui semblait lui aussi tout aussi méfiant. Un plan comme ça c’est trop beau pour être vrai songea-t-il, mais Arthur la leur a jamais fait à l’envers, et c’est aussi l’un des meilleur voleur de l’orphelinat. Après avoir eu l'acquiescement de Vins ils hocha la tête, ce qui fît sourire Arthur.

“A ce soir les mômes” dit-il dans un sourire avant de rejoindre les autres aînés à leur table.

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