J'avançais

2 minutes de lecture

J’avançais dans le tunnel à la force de ma propre énergie. Loin étaient la draisine avec son falot rouge accroché à ses basques, loin la voiture verte avec sa lumière jaune d’outre-monde, loin Chaperon qui, peut-être, n’était plus qu’une vague fable immergée au fin fond d’un temps sans aspérité ni contours, une simple fuite des choses dans un orient qui s’effondrait, ne parlait plus, n’indiquait plus nulle étoile guidant l’avancée des hommes. C’était pareil à une immersion dans un site muet, aphasique, sourd à toute plainte. Je ne pouvais que débattre avec moi-même dans une manière de destin autistique, une large schize scindant mon corps, des fêlures s’y inscrivant, des lézardes y naissant en un constant tellurisme. A vrai dire la terre de mon corps, je n’en reconnaissais plus la consistance d’argile, le ciel de mon esprit ne percevait plus que le fouet des éclairs et le grondement du feu céleste.

Puis, comme si elle était venue des confins de l’univers, ce fut l’apparition d’une lumière abyssale aux teintes verdâtres, une lumière à la consistance de poix, une lumière infiniment matérielle qui épousait la forme de mon corps à la manière d’une combinaison de plongeur. J’avais un peu de mal à me mouvoir et je sentais toutes ces masses confuses identiques à la consistance des rêves, peut-être aussi semblables à ces lointaines eaux amniotiques que je connus avant ma naissance et qui viennent, à intervalles réguliers, me rappeler le premier lieu de ma vie. Puis il y a eu un genre d’éclaircie qui m’a fait immédiatement penser à la clairière que nous avions visitée avec Chaperon. Tout autour du cercle de ma vision, quelques festons décolorés, diaphanes, quelques miroitements identiques à ceux qui détourent les astres lors de leurs éclipses. Petit à petit il me semblait reprendre possession d’un corps qui s’était détaché de moi, qui flottait entre deux eaux, qui ne connaissait plus de sa forme qu’une approximation, une idée sans réelle attache terrestre.

Entre mes doigts le corps de nacre de mon stylo. A l’extrémité de mon stylo une feuille blanche sur laquelle je trace les milliers de petits signes noirs que, Lecteur, Lectrice, vous lisez présentement, sans doute assis dans votre salon où coule une douce lumière. Devant ma table de travail, une large baie ouverte sur l’horizon. Sa surface parfois traversée par le long voyage des oiseaux de mer ou bien par une présence humaine dont je ne sais si elle est masculine ou féminine, une présence qui se confond avec la plaine d’eau, les flocons blancs de la brume. L’Hôtel du ‘Rivage et du Grand Large’ (son nom me fait penser aux étranges pouvoirs de l’imagination) dérive lentement sur les vagues de sable qui viennent lécher les assises de sa grande bâtisse. Je pose sur le papier encore quelques mots puis fais infuser une tasse de thé. Je crois que je vais laisser décanter mes pensées, m’accorder quelque repos avant de clore mon article sur le ‘Paul Delvaux Museum’. Bergeret sera content d’en lire le contenu, je le sais si attentif aux choses de l’art !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire jean-paul vialard ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0