Petit toi, qui fut moi

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Il faut vraiment avoir une bonne estime de soi, pour oser écrire une autobiographie. Ou bien avoir une image sacrément pitoyable de sa propre personne, dans un but pédagogique. C'est pourquoi je ne compte pas faire une autobiographie. Parce que je ne suis pas important, et que je n'ai rien à apprendre, si ce n'est que de temps en temps, fermer sa bouche est une bonne idée.

Cependant, je vais prendre ces quelques minutes pour te rappeller, à toi, dans quoi tu mettras les pieds si tu ne bouges pas un peu ta carcasse.

Oui, c'est bien à toi que je parle, petite chose fragile. Tu as sept ans, certes. Tu es jeune, certes, et tu n'as pas eu la chance de ton côté pendant quelques années. Aujourd'hui -enfin, ton aujourd'hui à toi, pas ce aujourd'hui de dix ans plus tard-, aujourd'hui, tu te dis probablement que ce qu'il s'est produit relève de ton fait. Il faut avoir commis quelque chose de mal pour être puni si durement par le bon Dieu, ou bien être damné de naissance.

Loin de moi l'idée de dire que tu es moche, gros, idiot ou bien fou. Au contraire, tu serais même l'exact opposé : tu es tout fin, les bras mous et le visage blanc. Une bonne tête ronde franchouillarde, bien remplie, déjà, pour ton âge. Une habileté à contredire tout le monde et n'importe qui, du moment que la personne à tort. En réalité, c'était bien là ton seul et unique tort, toi, qui me ressemble encore un peu, si peu.

Parce qu'on t'avait forcé toute ton enfance à remettre en cause ce que l'on t'apprenait, tu n'es jamais rentré dans ce carcan idéologique que t'imposaient les profs. Parce qu'on t'avait habitué, tout petit, à comprendre les idées et les sentiments derrière les notes d'une musique, tu n'as jamais pu integrer les compositions modernes. Parce que tu n'écoutais pas ce qu'ON écoutait, parce que tu ne suivais ni la mode ni le football, parce que tu passais tes récréations assis à révâsser et parce que tu pensais différemment des autres enfants, ON ne t'a pas donné la chance de trouver une place qui te convienne.

En ce sens, oui, c'est de ta faute. Tu aurais pu laisser tes idéaux, ton éducation de côté pour te conformer et te fondre dans le brouillard d'une société d'illusions. En coup de vent, cependant, tu passais, et dissipait la brume. Le gris n'était définitivement pas ta tasse de thé, et les fausses couleurs qu'on t'imposait ne valaient pas les milles nuances du tableau de ton âme.

Un peintre de génie avait peint ce tableau. Il trempait son pinceau dans les émotions qui te venaient, et les sons qui te parvenaint. Auréolé de tendresse, il cherchait à tâtons une ouverture sur son tableau. Un coin immaculé, où disperser encore quelques touches céruléennes. Mais les artistes ne sont jamais compris, en leur temps. C'est un adage bien connu, Hélas !

Alors oui, c'est de ta faute. Mais ton seul tort fut d'espérer conjuguer tes idéaux et ceux d'autrui. Autrui te piétinna, autrui te renversa, autrui te méprisa. Des années durant, Autrui -personnifions un peu cet infâme concept- s'amusa de te voir à terre, main tendue, ne demandant qu'une aide pour se relever. Mais quel enfant se relève de ça? Celui qui est à terre, s'il n'est pas aidé, n'aura plus la volonté de se relever. Tu as perdu cette volonté, non?

Il t'en arrivera encore, des malheurs, toi qui fut moi, pour les quelques années à venir. Pleurs, mépris, haine, coups, on te violentera, il me serait malhonnête de te le cacher. Tu t'en doutes, d'ailleurs, tant que cet enfer d'idiots continuera à t'entourer, tu t'écrouleras un peu plus sur toi même. Un chateau de cartes, qui s'effondre en larmes de desespoir, voilà quel est ton destin à court terme.

Mais patiente, petit moi, car si tu gardes espoir, il arrivera des jours où certains te verront briller. Ils ne te reconstruiront pas, non, car on ne rebâtit pas des années de destruction. Mais ils t'apporteront toute la bienveillance du monde et les mots les plus doux pour t'aider à supporter ces quelques temps de malheurs qui t'ont tué.

Tu es mort, pour moi. La partie de mon âme qu'ils m'ont arraché, c'est toi. Le retard qui a été pris sur le monde et les autres ne seras jamais rattrapé, et les larmes salées te brûleront les joues pour l'éternité. Je te cherche encore, inconsciemment, bien que je sache que tu n'es plus là. Ton sourire insouciant continuera de briller en moi comme un pâle écho d'un autre temps, ce triste petit personnage qui ne demandait rien de plus que de comprendre les autres. Ce simple petit toi, qui autrefois fut moi.

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