Chapitre 4 : On ne se dispute qu’avec les gens qu’on aime

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Tom se cala inconfortablement contre le dossier de la banquette et se racla la gorge, l’air perplexe. Les battements de son cœur s’accéléraient si fort qu’il le sentait prêt à rompre sa cage thoracique. Ses poumons s’étaient, quant à eux, vidés de toute trace d’oxygène. Bien qu’il s’était imaginé cette scène des centaines de fois, avec des scénarios différents, il n’était, pour l’heure, pas prêt à affronter la dure réalité. Il glissa sa main dans ses cheveux et les ébouriffa.

— Quoi ? Qu’est-ce qui a ?

Sans le vouloir, la voix d’Alexis avait atteint un ton grave, le trahissant presque. Le geste de Tom l’avait alerté, mais il s’efforça de ne rien montrer. Après tout, les réactions de ce dernier étaient parfois exagérées ou n’avaient aucun sens selon le contexte. De ses avant-bras, il prit appui sur la table et avança le haut de son corps, cherchant à captiver le regard de Tom qui détournait les yeux, trouvant le sol bien plus intéressant que le visage de son petit ami.

— Bah, raconte !

— Je…

Silence. Suspens. « Je » ? C’était tout ce qu’il avait à dire ? Alexis inspira profondément et mit de côté la colère excessive qui montait peu à peu en lui. Il avait juré de faire des efforts sur ce point et ce n’était peut-être pas la meilleure solution que d’agresser Tom pour qu’il passe aux aveux.

— Tom, s’te plait. Dis-moi c’qui va pas. J’aime pas t’voir comme ça.

— Alexis… t’emporte pas. C’est… c’est pas facile mais…

Les mots lui manquaient. Lui aussi avait promis de faire des efforts pour s’exprimer, mais il trouvait l’exercice beaucoup plus difficile que prévu. Tom se pinça alors les lèvres et s’avança à son tour, reprenant la main d’Alexis entre les siennes. Avec toute la peine du monde, il plongea ses yeux verts dans ceux de son petit ami qui semblait le sonder pour comprendre le fond de sa pensée. Si seulement c’était possible, il n’aurait pas à avouer cette phrase qui lui écorchait tant la gorge.

— Mais ?

— Il… il va falloir que… qu’on arrête... Toi, moi. Nous… Notre histoire. Tout…

Sa voix se brisa, son cœur se brisa, son monde se brisa. Tout autour de Tom se brisa, y compris le visage d’Alexis qui semblait ne pas suivre ses propos incohérents.

— Quoi …? Tu m’fais quoi là ?

Alexis retira sa main d’un mouvement sec. Ces mots eurent l’effet d’un pieu s’enfonçant lentement dans son cœur pour le percer, le crever, l’achever. Non, ce n’était pas possible, il avait sans doute mal compris ou Tom s’était mal exprimé. Il ne venait pas de dire que tout était fini entre eux, ce n’était pas vrai. Ça ne pouvait pas être ça.

Un lourd silence s’installa entre eux et il en profita pour le questionner du regard. La réponse de Tom fut sans appel. Alors, il avait bien entendu ?

— Putain, Tom !!!

Il avait crié si fort que certaines personnes s’étaient retournées dans leur direction mais il s’en contreficha royalement. Si ces personnes voulaient assister à une scène de ménage, grand bien leur fasse !

— Tu. Me. Fous. Quoi ?! Y a trente secondes encore, tu m’chauffais, tu m’embrassais et t’étais limite prêt à m’baiser sur cette foutue table et maintenant tu m’dis ça ?! Tu… tu t’fous de ma gueule ?

— Alexis, calme-toi… Je vais tout t’expliquer !

— Y a intérêt, ouais ! Et m’sors pas le traditionnel « c’est pas toi, c’est moi » parce que j’me passerai bien de c’genre d’excuses à la con !

Au diable la politesse, la paix intérieure et toutes ces foutaises ! Alexis fulminait, perdant tout contrôle sur ses manières mais au fond, il était surtout effondré. Sa mâchoire se crispa et ses poings se serrèrent si fort que la jointure de ses phalanges devenait blanche. Une saleté de nœud se forma dans sa gorge et son estomac, impossible à défaire. Les larmes lui montèrent aux yeux, prêtes à se déverser le long de ses joues qu’il contint malgré tout. Putain, non. Il était en train de craquer avant même d’entendre les explications de Tom.

Dans la tête de Tom, c’était la pagaille, un chaos sans nom. Il regrettait amèrement ses paroles, il voulait revenir en arrière, tout effacer et continuer son histoire d’amour avec Alexis comme si de rien n’était, le chauffer, l’embrasser, le baiser. Mais tout ceci était malheureusement impossible, il venait de lancer une bombe à retardement qui ravagerait tout sur son passage. Il secoua sa tête, se mordit furieusement la langue et tapota la table de son poing. Il cherchait ses mots, il voulait faire en sorte d’être le plus clair possible afin d’éviter tout malentendu. Alexis méritait de connaitre la vérité.

— C’est pas toi. Ni moi. C’est mon père…

Connaissant que trop bien Alexis et sa mauvaise habitude d’intervenir dès que quelque chose ne lui convenait pas, Tom le coupa aussitôt qu’il aperçut sa bouche s’entrouvrir.

— Ne dis rien, laisse-moi parler, s’il te plaît... Tu pourras t’exprimer juste après, OK ?

Il fut à la fois soulagé et surpris de voir Alexis acquiescer sans broncher. Il espérait juste qu’il tiendrait sa promesse muette jusqu’au bout.

— J’ai pas envie de rompre avec toi et jamais je ferai une telle chose de mon plein gré. Le problème c’est que mon père veut m’envoyer dans une école de cuisine, à l’autre bout du monde. Il en peut plus de mes échecs professionnels, il insiste pour que je suive une formation et obtienne un diplôme pour enfin faire quelque chose d’intelligent dans ma vie. Enfin, il m’y oblige, plutôt… D’après lui, ce sont les dernières volontés de mon grand-père, il aurait voulu que je puisse rejoindre l’académie culinaire qu’il a intégré quand il était jeune et suivre ses pas en tant que grand cuisinier pour reprendre son restaurant et perpétuer l’honneur de notre famille.

Une pause se marqua dans son monologue pour laisser le loisir à Alexis d’extérioriser le fond de ses pensées.

— Attends, et tu vas me dire que tu crois à ces conneries ?

— Peut-être, j’en sais trop rien…

Alexis se mit à ricaner. Ses bras se croisèrent sur son buste et il fit claquer sa langue.

— T’es incroyablement naïf mon pauvre Tom ! Ton putain de vieux homophobe n’a rien trouvé de mieux pour nous séparer que de t’envoyer à l’autre bout du monde pendant quoi, trois ans ? Sachant pertinemment que le temps et la distance auront certainement raison de nous ! Ça fait bientôt une année qu’il essaye de foirer notre couple et vu qu’il y arrivait pas, il a joué sa dernière putain de carte en prétendant que c’est ce qu’aurait voulu ton grand-père.

Tom baissa les yeux sur ses mains. Ses ongles étaient enfoncés dans la chair de sa paume, prêts à la faire saigner à tout moment.

— Toujours est-il qu’on a fait un deal : j’accepte de suivre cette formation et en contrepartie, à mon retour, il me laisse vivre ma vie comme je l’entends.

Un bruit sec le fit sursauter. Devant lui, les poings d’un Alexis furieux étaient plaqués contre la table.

— Donc c’est ça ? Tu laisses ton père gagner ? Tu laisses ce débile mental avoir ce qu’il a toujours voulu ? Et puis quoi après ? Il va te retourner le cerveau pour qu-

— Alexis ! Je suis encore sous sa responsabilité, je te rappelle ! Il me reste une année avant la majorité et pour le moment je peux rien faire d’autre. C’est comme ça que tu le veuilles ou non.

— Tss ! C’est vraiment…

— … ridicule, je sais ouais, mais j’ai pas le choix. C’est la seule solution possible. Mais quand je serai de retour, on pourr-

— On pourra quoi, Tom ?! Hein, dis-moi ! Parce que tu vas me dire que trois ans, sans se voir, sans se toucher, sans même être là l’un pour l’autre, on va pouvoir reprendre notre vie à deux comme si de rien n’était ? Tu crois que deux p’tits cons d’adolescents comme nous surmonteront ce genre d’obstacle ? Qui nous dit qu’à la première occasion, on ira pas baiser la première personne qui nous en donnera la possibilité ?

— Peut-être parce qu’on s’aime et qu’on tient l’un à l’autre ?!

— Et tu crois qu’on va réussir à continuer à s’aimer malgré tout ça ?

— T’es vraiment trop con !

— C’est moi qui suis con ? C’est ton père, le con dans toute cette histoire !

Tom se releva d’un bond, faisant face à Alexis qui était resté debout depuis tout à l’heure. La colère se lisait dans ses yeux, ce qui était rare. Alexis était borné ! Comment osait-il dire ce genre d’absurdités ? Il s’en fichait pas mal qu’il traite son père de con d’homophobe car c’en était un de toute façon, mais le fait qu’il dise que leur amour ne résisterait pas et que l’un ou l’autre finirait par succomber à la tentation d’aller voir ailleurs le dépassait.

— Tu sais quoi ? Va te faire foutre !

— J’aurais bien voulu, mais tu m’en as coupé l’envie.

Alexis dans toute sa splendeur ! Colérique, grossier et insensible. Il ne méritait même pas que Tom reste avec lui plus longtemps. Il lui tapait sur les nerfs comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Pourquoi ne cherchait-il pas à comprendre la situation ? Au lieu de ça, il la compliquait davantage ! En fin de compte, ça ne l’étonnait même pas : Alexis était majeur, il était dans une école d’art et il avait une famille qui l’acceptait tel qu’il était, il avait tout pour être heureux ! Tom n’avait pas cette chance, lui. Il vivait sous le même toit qu’un père homophobe et même parfois violent avec lui, le manipulant à sa guise comme un vulgaire pantin. Son frère jumeau ignorait complétement ce qu’il pouvait subir et sa mère ne pouvait malheureusement rien faire depuis les cieux.

Tom n’avait qu’Alexis et il venait de le perdre ! Hors de lui et incapable de gérer plus longtemps l'afflux d'émotions, il abandonna sans un regard celui qu'il considérait jusqu'alors comme son pilier.

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