Mutation

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[...]

"Chef, j'ai une idée, elle va révolutionner le cinéma. Ca va rebooster le marché !"

[...]

"Mais c'est incroyable ! Je n'en reviens pas. Qui a pu tenir le bouton si longtemps appuyé ?"

"Il y a vraiment des gens.. C'est incroyable"

[...]

"En fait, chef, c'est simple à réaliser techniquement : chaque spectateur a un bouton, discrètement placé juste sous l'accoudoir."

[...]

"D'un autre côté, c'était tellement insoutenable que ça donne à réfléchir sur l'horreur de l'esclavagisme."

"Il faut reconnaître dans ce plan la beauté qui se mélange à l'effroi. Mais il était interminable : je dois avouer que je ne comprends pas qui appuie si longtemps. Moi je n'ai pas pu supporter. J'ai lâché le bouton tout de suite.

[...]

"Comme ça, chef, les spectateurs ont juste à appuyer sur le bouton pour décider ce qui va se passer à l'écran, personne ne sait dans la salle si il appuie ou non. Seul l'ordinateur collecte anonymement l'information. La salle décide de la suite du film. En live. Chaque scéance devient unique !"

[...]

"Au fait, toi, tu as appuyé longtemps sur le bouton ?"

"Bien sûr que non, cette scène de fouet était insoutenable et inhumaine !"

[...]

"Et j'ai une idée pour tester, chef : un remake de "12 years of slave". Pendant la scène du fouet..."

[...]

"Un ami m'a dit que dans sa salle, c'est allé jusqu'à la mise à mort sous les coups de fouets. ll y a vraiment des barges qui appuient jusqu'au bout. Nous c'était plus raisonnable. Mais sévère quand même, le temps de s'imprégner de l'horreur de la condition d'esclave. Je n'aurais pas supporté de savoir que des gens demandent d'aller jusqu'à la mort dans la même salle que moi."

[...]

"Vous comprenez, chef ? Si un quota de gens dans la salle tiennent appuyé le bouton, la scène du fouet continue. Comme personne ne sait qui appuie, il n'y aura pas de gêne à le faire. Bon, il faudra une limite à la durée. Ici, chef, elle est simple. N'est ce pas ? "

[...]

"Et toi, tu connais quelqu'un qui a appuyé longtemps sur le bouton ?"

"Non. Bien sûr que non. tu te rends compte comme il faut être dégeulasse pour maintenir le bouton si longtemps. La scène est brutale, utile pour comprendre le problème de l'esclavagisme, mais il y a une limite à la décence. Si un ami faisait ça, ce ne serait plus mon ami !"

[...]

"L'intérêt social est évident, chef : Les spectateurs pourront ainsi maitriser la puissance des émotions qui les amèneront à la réflexion. Il a été montré que les émotions fortes amènent à la réflexion. Ce sera donc un outil très utile sociologiquement. Le spectateur est maître de ce qui se passe dans l'histoire. De ses émotions. De son plaisir. Qui l'amène à la réflexion."

[...]

Purain ? Qu'est-ce ? Que font ces porcs à mes côtés ? C'est bizarre, je ne sens pas l'odeur de ce purain. C'est même agréable de s'y vautrer. D'y fourrer mon groin. J'en couine de plaisir avec mon voisin. Quel plaisir ce cinéma interactif. Avant, on devait se justifier en disant de bonnes paroles polies pour dire "le metteur en scène était aller trop loin", "que c'était insoutenable", "que cela amenait à la réflexion", qu'on y allait pour "voir le phénomène social dénoncé", que dela "sublimait la violence par l'art". Aujourd'hui, dans l'ombre, "on" décide de son plaisir : "ce n'est pas moi qui décide", c'est "les autres". Néron en rêvait. Le XXI° siècle l'a fait...

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