Vertikal[6][7] { In Awe Of }

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<CL4> Mon frère pourrait vous décrire la scène bien mieux que moi. Qu’importe la situation, sa plume volait toujours répandant mots sur maux agrémentés d’un peu de spectaculaire. Il ne serait pas là, coincé entre les larmes sur la figure et le sang sur le sol, la bouche cousue par le silence qui retombe après l’hécatombe. Il m’aurait dit : « Hé bien Claire, t’es encore en train de pleurnicher ? Comme d’habitude. »

Il ne s’assiérait pas sur ses jambes rendues inutiles par la vue des morts répandus dans la salle. Il n’était pas comme ça mon frère, j’aurais aimé être plus comme lui, ou, encore mieux, j’aurais aimé qu’il soit là avec moi. A la place, il y a cette fillette à l’oeil violet, un morceau d’intestin sur l’épaule en guise d’écharpe, l’odeur des macchabées pour parfum et l’autour de sa bouche décorée par un rouge à lèvres couleur sang. Elle semble si légère, zigzaguant à travers les cadavres, sautant à pieds joints sur leurs figures, juste pour voir le crâne éclaté et la cervelle se répandre. Parfois, un petit rire joyeux sort de ses lèvres, fait osciller tout son corps, puis elle replonge dans le silence, ne laissant que le bruit de la chaîne pendue à son bras et celui, plus inquiétant, des gouttes de sang qui viennent éclater contre le sol.

Je pense un instant à me pincer le bras, histoire de m’assurer que tout ceci n’est qu’un cauchemar, mais la douleur est déjà là. Elle a investi le haut de ma tête il y a un moment, quand l’explosion m’a jetée par terre. Alors tout ceci est vrai et je suis maintenant en train de baigner dans ma propre pisse.

Trop occupée à penser à un millier de choses, des regrets principalement, je ne réalise pas que le petit objet cylindrique qui a atterri à quelques pas est une grenade aveuglante, que les mots gueulés par la voix de Hassane ressemblaient à : “Flashbang ! Plonge !”

Alors je me prends le flash dans la face.

Ce qui se passe après, c’est un amas de sensation plus ou moins douloureuses. Je suis relevée de force, poussé, tirée, ou carrément portée quand mes jambes lâchent sous moi pour la énième fois. Dans le lointain, j’entends vaguement des voix, des cris peut-être, mes oreilles encore engourdies me font mal. Je cligne des yeux à toute vitesse, les de la main qui n’est pas prise dans un étal de doigts. Le brouillard se dissipe un peu, je peux voir une bouillie de couleurs qui ressemble vaguement à un visage, il me parle, ou plutôt il me crie dessus. Puis m’envoie une baffe. Comme je réagis à peine, encore groggy, une deuxième arrive.

— Qu’est-ce que tu fous ?

— Je sais pas, elle capte rien, qu’est ce qu’on est censé faire ?

— Elle s’est pris une flashbang, laisse lui le temps. Tiens, écarte-toi.

La première forme s’éloigne suvit d'une pluie de jurons, me laissant à mes larmes. Ça doit être Édouard. Quand je vois le visage à demi-écorché de Hassane, le dégoût coupable et involontaire laisse place à un regard reconnaissant. Ma bouche tente vainement de bredouiller un merci, puis de faire un sourire quand je constate que ma gorge est obstruée par une peur encore bien ancrée. Mais, même ce simple sourire se change en rictus misérable.

— Cette salope de Nol ! Elle nous a trahis ! Elle nous a lâchés dans un putain de piège. Je l’avais dit qu’on n'aurait pas dû l’écouter.

La voix d’Édouard. Haineuse. Il n’a jamais fait confiance à Nol, ni à personne d’autre d’ailleurs, à part peut-être Medhi et Hassane. Celui-ci répond de sa voix calme et grave.

— Non, ça n’aurait aucun sens, elle n’a absolument rien à gagner à attaquer un groupe de miliciens comme le nôtre. Le gouvernement il …

— Est mort ! Et nous aussi, t’as vu l’autre nana ? Comment elle a découpé Medhi ? Le mec lui a vidé son chargeur sur la gueule tout en chialant comme une tafiole ! Ça lui a rien fait, que dalle. Merde ! Medhi, il… putain, je vais dire quoi à son paternel ?

Je vois des larmes braillées sur son visage, furtives, elles coulent sur sa grimace. Il n’a pas même pas réalisé, le dos contre la porte, les deux mains vissées sur son arme, il jette des coups d’œil terrifiés dans le couloir, le sang de Medhi en train de couler sur son treillis. Hassane reste un moment sans réponses, il cherche ses mots, puis finit par lâcher d’une voix saccadée, comme si chaque syllabe lui demandait un effort surhumain :

— Le gouvernement prépare un plan de reconquête. Ce plan implique toutes les milices et forces armées présentes dans la ville. Nol aussi. Ensemble, on va frapper fort, reprendre la défense, puis Paris tout entier. C’est pour ça qu’on est là. On intègre les Grognards, on rejoint les autres milices et les forces du gouvernement et on commence à récupérer notre chez nous.

Dans des circonstances normales, j’aurais été probablement ravi d’entendre ça. Mais là, étant donné qu’on allait mourir d’ici une dizaine de minutes, ça n’avait pas tant que ça d’importance. Une petite pilule d’espoir pour faire passer votre décès ? Une reconquête. Récupérer le nord de Paris, reprendre le contrôle. Se battre ensemble. Tant de jolis mots qui frappent pilent dans le coeur de guerrier d’Édouard. D’ici, mes yeux encore sonnés n’arrivent pas à voir son expression, cachée par les ombres, mais quand il continue, c’est d’une voix tremblante, indécise, vibrante d’un espoir retrouvé. Comme s’il n’y croyait pas.

— Comment… comment tu sais ça ?

— Émilie, elle me l’a dit.

Un demi-sourire apparaît sur ce qui lui reste de visage, ce qu’il devait être beau avant sa blessure ! Il a le regard pétillant, les dents encore blanches pour celles qui restent, mais aussi de la sueur le long de la sa tempe, le souffle irrégulier.

Il ment.

Le gouvernement n’existe plus. Il n’y a aucun plan de reconquête. Mon frère m’en a parlé dans sa dernière lettre. Il n’y a plus qu’un tas de cravaté retranché dans leur palais de verre à Versailles, protégés par une poignée de soldats croyant encore à l’honneur, au devoir et toutes ces choses qui les tueront rapidement. Il y aussi ceux qui espère que les choses iront mieux et qu’ils seront récompensés pour être restés fidèles, mais pour la plupart, c’était retour à la maison directe. Pourtant, ces cravatés, les Verreux, ils jouaient à prétendre. Comme des gamins réclamant une énième partie d’un jeu perdue d’avance.

Non, les seules qui restent, c’est les Grognards de Nol.

— Hass’, frère, il faut qu’on se tire.

Le regard de Hassanne passe de moi, à Édouard. Il hésite.

— Ouais, attends, la petite est encore dans les vapes. Claire, hé Claire !

— Qu’est-ce que tu t’emmerdes avec elle ? Un pour un, tu te souviens ?

— Enfin, c’est qu’une gosse ! On va pas la laisser !

— Non, s’il vous plaît, me laissez pas, s’il vous plaît !

Autant le “merci” ne veut pas sortir, mais quand il s’agit de sauver sa peau c’est tout de suite plus facile. C'est bas comme comportement, mais sur le moment, ça m’a paru tellement naturel. Pourtant mes bredouillements pitoyables n’ont attiré qu’un regard un peu triste de Hassane, et un mépris ennuyé d’Édouard suivit immédiatement par "Vos gueules !", puis, plus doucement : “La meuf. Dans le couloir.”

Hassane a mis sa main sur ma bouche, et s’est ramassé sur lui-même, j’ai fait de même. Sa main couverte de sang et de boue est chaude contre ma peau, pas très agréable aussi. Mais je n’ose pas faire le moindre mouvement. Alors je reste là, à faire dégouliner ma sueur, mes larmes et ma morve sur la main qui m'empêche bien inutilement de parler.

La chaîne grince sur le parquet. Elle avance dans le couloir,

En tendant l’oreille, je peux quasiment la voir frotter sa rouille contre le sol poussiéreux, laisser traîner derrière elle un miasme de terreur malsaine, serpenter ses écailles ferreuses, prêtes à mordre le moindre mouvement. Dans notre refuge, personne n’ose faire le moindre mouvement, ni même respirer. Je vois les lèvres de Hassanne bouger à toute vitesse, priez pour tous les Dieux qu’il connaît, Édouard à une expression figée sur son visage, mélange de peur, de colère et de défi, ses larmes n’ont pas encore séché.

Moi, le silence m’étouffe aussi sûrement que la main de Hassane, mais ce n’est rien par rapport à l’horreur qui tord l’estomac, nausée, fièvre, vertige, tous les symptômes possibles semblent se déclencher en même temps. Réaction stupide d’un corps qui ne sait plus quoi faire. La petite salle sordide commence à tourner, emporte avec elle les débris de stabilité qui me restait, puis tout s’éteint.

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