Vertikal[5][1] { Passing Through }

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<S4R> Quand je reprends connaissance, j’ai la tête dans un brouillard épais et poisseux. Le monde tangue autour de moi. De ma bouche sort un cri silencieux, misérable. Je n’ai plus la force de me débattre. Puis je sens la chaleur sous mes doigts. Douce malgré la pluie. Vivante. Je perçois une odeur familière parmi les relents de sang séché qui imprègnent mes vêtements et les senteurs mornes du sable. À travers mes paupières entrouvertes, j’aperçois un éclat rouge.


— Retori ?


Grognement proche. Devant moi, le dos de Retori. La pluie coule le long de son menton, dégouline sur sa chemise déjà trempée de mon sang. Combien de temps a-t-elle dû me porter ? Je me souviens de l’éther concentré qui circulait dans mes veines, qui me gorgeait d’une énergie si précieuse, et après ? Des flashes douloureux me reviennent : mes genoux qui heurtent brutalement le sol, la main sur ma blessure sanguinolente, mon vomi par terre. L’effet de l’éther avait disparu beaucoup trop tôt. La douleur s’était aussitôt jetée sur moi et avait arraché ce qui me restait de volonté. Je crois que j’ai crié à Retori de me couper les membres, ou de m’achever sur place, par pitié. Le moment d’après, j’étais sur son dos. Elle qui est à peine plus grande que moi. Je sens son corps trembler à chaque pas. Elle est en nage, et pas seulement à cause de la pluie qui fait tomber ses cheveux devant ses yeux. Ça ne peut pas durer. Ça ne doit pas durer. Elle est à bout. Elle ne tiendra pas.


— Laisse-moi, lui dis-je d’une voix enjouée.

— Non, je ne vais pas t’abandonner, réplique-t-elle hargneusement.

— Bah, je te rejoindrai plus tard, je rajoute en pointant mon pouce vers le haut.

— Je ne t’oublierai pas, je te le promets, fait-elle en s’éloignant, les larmes aux yeux.


C’est comme ça que ça aurait dû se passer. Mais aucun son ne sort. Je ne veux pas qu’elle me laisse. Je sais que je ne pourrais pas la suivre. Je ne veux pas qu’elle m’abandonne ici, toute seule.


— Laisse-moi.


Rien qu’un murmure, que je regrette aussitôt qu’il a franchi mes lèvres. Je l’imagine porter son index à sa bouche, et commencer à en mordiller la troisième phalange. Un tic nerveux. Elle pèsera le pour et le contre. Ses chances de survie avec et sans moi. La marche à suivre lui paraîtra évidente, triste peut-être, mais évidente. Je resserre plus fort mon étreinte, je me blottis un peu plus contre elle. Juste un peu plus, encore quelque mètres, et après, promis, je lui demande. Pour de vrai cette fois. Encore quelques mètres. J’ai froid. Mes paupières se ferment lentement. Je me raccroche à cette chaleur qui m’éclaire le bout des doigts.


— Laisse-moi.


Grognement.


— Laisse-moi !

— Dis pas de conneries. Dors.

— LAISSE-MOI !

Ksa ! Ferme là, tu sais bien que je ferais pas ça. Alors maintenant tu te tais et tu pionces.

— Laisse-moi. S’il te plaît.


Ma voix est redevenue un murmure. Elle ne va pas me laisser. Mes sentiments s’emmêlent, je ne sais plus s’il faut rire ou pleurer. Mes yeux ont décidé de pleurer, et je sens sur mon visage un sourire. Elle aurait pu vivre, mais elle veut mourir avec moi. Elle le fait pour elle, parce qu’elle est comme ça, qu’elle a décidé il y a longtemps qu’elle n’abandonnerait personne. Même pas moi.

Le bruit de ses pieds nus qui brisent les flaques d’eau rythme ses pas. De temps en temps, elle lâche un grognement ou deux, puis laisse le silence parler. Je me laisse bercer et regagne mon inconscience.


<R3T> Voilà qu’elle s’est enfin arrêtée de chialer.

Elle va me foutre la paix. Si elle croit que je vais lui laisser la chance de crever avant tout le monde ! Et surtout de me laisser dans ce beau merdier !

Je manque encore une fois de me casser la gueule. Foutues dalles qui glissent à cause de cette foutue pluie ! Sans compter que je me les gèle sans mes pompes ! Reprendre la cadence. Ignorer les plaies qui se sont rouvertes, se concentrer sur la trace. Retrouver Nihiline et se tirer d’ici. Ça fait combien d’heures que je marche dans ces tunnels ? Les gouttes d’eau tombent depuis les fissures et viennent rejoindre la flaque qui inonde un peu plus le passage. Sur les murs, un “sortie” accompagnée d’une flèche est à peine visible, plus qu’à espérer qu’il n’y est pas de cul-de-sac au bout.

 

Une explosion.

 

Un morceau de plâtre se détache du plafond. Ça vient d’en haut. Depuis tout à l’heure, les bruits des tirs se font plus fréquents, plus fort aussi. La bataille est toute proche, pendant un moment, je m’autorise à espérer que notre Kabuto n’y est pour rien, que Nihiline a eu le bon sens de se cacher, elle et le géant. Elle aura certainement senti que les gobelins étaient dangereux. Puis j’entends une corne de brume.


— Merde.

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