« What kind of mother
  Leaves her child in the traffic ? »,
  When I meet God, Marillion

 – Et journaliste, ça paie bien ?

 – Hum... À vrai dire, le principe c'était plutôt que nous posions les questions plutôt que l'inverse, mais bon... Oui ça va, on se débrouille. En moyenne on touche 10 000 mots le mois, pour vous répondre très franchement.

 – Je vois, je vois... Bon, eh ! bien, je vous en prie, posez-moi donc des questions !

 – Et Grammar Policier, ça paie bien ?

 – Haha, bien vu. On fait aller, même si les cotisations sociales ont un peu baissé. On gagne par la légère diminution des prix, que d'aucuns d'ailleurs associent à un supposé appauvrissement lexical, et de la langue française en général... Nous avons pas mal de débats en ce moment, à la Grammar Police... Cela dit, ce sont des débats qui essaiment partout sur l'île. J'y vois un signe de bonne santé de mon côté, bien que je déplore parfois des affirmations trop peu fondées. Par exemple, cette fameuse réforme de l'orthographe... Mais nous comptons d'ailleurs profiter de nos nouveaux locaux offerts par cette boîte d'architecte, Les Esquifs de Fabius [Il parle des Esquisses de Fabien, ndlr], pour organiser des cours tout public, notamment sur ce sujet. Et puis il va aussi y avoir les élections.

 – Ah ? quelles élections ?

 – Celles du prochain PFS, pardi !

 – PFS ?

 – Protecteur Général de la Langue Française sur Scribay, abrégé en Protecteur du Français sur Scribay. Clément a raison, la population est assez peu au courant... C'est d'ailleurs votre boulot à vous, les journalistes !

 – Vous me voyez confondu, j'ignorais ce fait. Pouvez-vous m'en dire plus ?

 Michel m'en expliqua donc les tenants et les aboutissants ; mais pour ne pas encombrer le récit, je passe cette partie certes enrichissante de la discussion, que j'emploierai pour la retranscription du débat du second tour (le premier est en effet déjà passé) pour cette élection. Il y eut ensuite un court temps de silence, de flottement pour ainsi dire, et j'en profitai, si vous me permettez ce détail, pour observer le paysage, la tête alourdie par tant d'informations appuyée contre le dossier de mon siège. Je remarquai des panneaux siglés GPS, indiquant : « Un trait, sécurité », « Deux traits, mauvais ». Justement, à cet instant, Michel klaxonna un véhicule qui ne respectait pas les codes typographiques. Il lut ensuite la plaque d'identifiant et le pseudonyme indiqué, au cas où il l'y reprendrait trop de fois. Puis, nous eûmes affaire à un feu sur l'autoroute même, indiquant "point" en rouge, et Michel s'arrêta scrupuleusement collé contre. J'étais surpris par cette nouveauté, et le manifestai au conducteur :

 – Un feu sur l'autoroute ?

 – Ah oui, une décision récente, en raison de problèmes de trafic. Tenez, en parlant de trafic, figurez-vous, vous pouvez noter sur votre carnet parce que c'est important pour notre Brigade en ce moment, euh...oui, voyons, comment introduire... Vous avez certainement entendu parler du gang des voleurs à chapeau mexicain ?

 – Bien entendu !

 – Eh ! bien, on ignore encore s'ils ont partie commune, mais un autre groupe de criminels, de moindre importance sans doute mais qui gagne de l'importance, sévit actuellement sur l'île : une bande de faux-monnayeurs, qui font du trafic de mots !

 – Oui, j'en ai entendu parler. Ceux qu'on surnomme les Franglais ?

 – Oui, l'emploi d'anglicismes est une de leurs caractéristiques principales. Si par exemple on vous dit "ASAP", méfiez-vous ! Et si je devais vous donner un autre conseil, privilégiez autant que possible le paiement par caractères.

 – Je retiendrai, merci, et je partagerai le conseil à mes lecteurs [le passage a même été surligné, comme vous l'aurez constaté, ndlr].

 – Je vous en p... Ah, je reçois un message GPS.

 – GPS, d'ailleurs, qu...

 – Chht, attendez un peu.

 – ...un carambalage sur la voie 7. Appel aux unités les plus proches. Je répète...

 – J'y vais. — Désolé, on va retarder un peu notre arrivée à la Station. Euh...vous disiez ?

 – Oui... Je m'interrogeais quant à ce sigle...

 – Ah, oui, en fait, on nous connaissait déjà sous le nom Grammar Police, et ce S est un ajout récent, tout simplement en raison de l'installation récente de locaux spécialement dédiés - et non plus loués ! C'est S pour Station.

 – Ah ! je vois. Et sinon, je ne m'attendais pas à ce que vous vous occupassiez réellement de la circulation au sens le plus littéral !

 – Oh ! joli, un imparfait du subjonctif, voilà qui est rare de nos jours, hélas... De la... Ah ! mais c'est surtout qu'il est question d'un carambalage, vous avez entendu comme moi. Une faute de frappe, un dérapage, on le rattache aux accidents de circulation.

 Il n'est pas utile de vous raconter le détail du reste de la conduite jusqu'au lieu de l'incident, aussi en fais-je l'ellipse. Nous arrivâmes donc sur place et trouvâmes une souris sur le bas-côté, dont le conducteur, un individu en chemise verte qui me rappelait quelqu'un, un certain Rêveur pensais-je, et il s'agissait effectivement de lui, était descendu sur le sol. La souris était peu endommagée, et l'autre n'avait rien à première vue. Une autre unité était également arrivée, et un agent, un certain Jacques, discutait avec Rêveur. Apparemment, Rêveur était également un Grammar Policier. Michel interpela ses collègues, Jacques et les autres qui restaient dans la souris :

 – Pourquoi n'avez-vous pas envoyé un message pour prévenir que vous vous en chargiez ? Vous êtes bien assez de trois !

 – Mais nous l'avons fait ! ...Peut-être un problème de connexion...

 – Bon, tant pis. Tout de même, je suis venu pour rien, et ce n'est pas un court détour. Bon courage !

 Il fit un geste de la main et repartit sur la route.