Prologue

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C’est une image que j’ai toujours aimée avoir au réveil, cette image diaphane de toi au petit matin. Tu t’assois en tailleur et tu te perds dans tes pensées devant ta toile, ton corps toujours nu de notre nuit, cette nuit que nous avons volée, encore, aux lois de notre cité. Entre les quatre murs de l’atelier protecteur, éclairé par le premier des soleils de notre ciel, je t’ai toujours trouvé magnifique à réfléchir, dans ce langage qui m’est étranger. Et pourtant, la dame céleste des arts sait combien de fois tu as tenté de dresser mon regard cartésien à la lecture des couleurs de tes toiles. Ce sont toujours d’immenses formats, du quatre mètres sur quatre, parfois étendus sur le parquet protégé par de vieux draps ou cloués sur le mur aveugle de l’atelier pour pouvoir peindre tout en prenant du recul. C’est ce que tu me répètes encore et encore. Ce que tu viens me chuchoter quand je prends ma moue de chouette déconfite et que ma tête se penche d’un côté, puis de l’autre dans une incompréhension la plus totale. « Prends du recul, Ger. » ou « Parfois, j’aimerai prendre un petit astronef ou un ascenseur céleste, poser ma toile au sol et m’élever au plus haut du plus haut pour encore mieux la voir. ». À ton ton rêveur, j’oppose souvent le mien ,pragmatique, et une réponse sur le coût faramineux et la gêne occasionnée par une telle extravagance artistique. En général, c’est à ce moment là où tu feules tel un fauve de film et où tu essaies de renverser un pot de peinture bleu paon sur moi. Pour ça, nous avons sûrement les disputes amoureuses les plus originales que cette morne cité ait connues. Sans jamais le savoir.

Revenons sur cette image de toi, celle qui hante, translucide, les plus doux de mes rêves. Pour ça, je veux bien payer de ma vie, me noyer dans l’alcool et rester dans la clandestinité jusqu’à la fin de mes jours. Voir les rayons caresser ta peau bronzée et tes cheveux décolorés ou non, selon l’envie du moment plus que par mode. Chercher sur cette toile maintenant bleuie de toutes parts la touche finale de cyan à ajouter afin de parfaire ton œuvre et délivrer ton message à notre monde. Ou encore mieux, y cacher tous nos petits secrets, tout ce que ton imagination t’amène lorsque je viens perdre mes cheveux bruns contre ton ventre pour m’y réfugier et oublier les obligations liées à ma caste. Cette image, elle n’est qu’à moi et seulement à moi, je suis égoïste et j’assume. Tu ne fais de toute façon rien pour m’en dissuader. Dans un sens, je crois que sentir ta personne si particulière à mes yeux te plait. Tu n’es plus une individualité parmi tant d’autre dans la basse caste.

Notre amour est anarchie, je l’ai entendu encore répéter hier soir dans le transistor tandis que nous nous partagions une conserve de fruits au sirop pour le dessert. J’ai vu ton regard sombre s’inquiéter, ton corps se transir de peur. J’aurais tellement aimé, mon amour, t’étreindre, te serrer fort tout contre moi et te jurer sur toutes les divinités qui peuvent peupler notre panthéon que jamais il ne nous arriverait rien, au grand jamais on ne nous reprocherait notre proximité. Aujourd’hui je crois que j’ai bien fait de ne pas te promettre, j’aurai été parjure devant ton épitaphe et ton âme défunte. Parce que maintenant, c’est sûr. C’est ça. De toi, on m’a tout pris. On nous a punis. On m’a puni. Je n’ai pas été assez fort pour te protéger, te préserver. De toi, il ne me reste plus qu’une photographie qui jaunit, s’efface et se gondole au fil du temps et des larmes. Mais il me reste encore plus précieux. Ce tableau tout en bleu que tu as finalement nommé l’Esperance, ce tableau bleu dont tu disais qu’il était le plus parlant, le plus aboutie. Ce tableau bleu que je préférais parmi toutes tes œuvres. Tu me l’avais donné, juste avant. Maintenant, je le sais soigneusement rangé dans son tube de liège, posé à côté de moi.

Il me reste encore une chose que nos ennemis avaient sûrement sous-estimée. Ma rancœur. Ma vengeance. Je ne les aimais déjà pas avant, notre gouvernement en carton-pâte. Je les dénigrais déjà devant toi, ce qui te faisait froncer les sourcils. Maintenant, je les exècre au plus profond de mon âme. Je hais ce gouvernement. Je hais ma foutue caste de dominant. J’ai déjà tenté de les faire disparaître une fois. Je recommencerai autant de fois que nécessaire jusqu’à leur annihilation la plus totale. Ou bien jusqu’à ma propre mort.

B******, où est-ce que cet abruti de Siarl a planqué ma bouteille.

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