Chapitre 8

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Qu’est-ce qu’il va faire ?

Il est là devant moi, la tête entre les bras et il rigole tout bas. Le genre de rire qui ressemble à celui qui devient fou. Je le croyais prêt mais... c’était trop, beaucoup trop pour lui. Comment ai-je pu être aussi bête ! Il est fragile et je suis bien placé pour le savoir ! Quel con !

Son rire se transforme peu à peu en sanglot. Je l’entends murmurer des “pourquoi?” en boucle. Je souffre. Peut-être pas autant que lui mais sa douleur me transperce. Mon corps ne m’obéit plus. Je jette au loin mon mégot et m’approche. Je me place dans son dos et pose une main sur son ventre. Doucement, je l’attire contre moi et l’éloigne du vide.

Son corps épouse parfaitement le mien. Sa main recherche la mienne et sa tête se place dans le creux de mon épaule. Ses cheveux me chatouillent et recouvrent une partie de son visage. Machinalement, je replace une mèche derrière son oreille : peine perdue avec ce vent. Ses mains se rejoignent sur son ventre et il les recouvre de ses doigts fins. Il sanglote toujours, son corps est pris de soubresauts. Comme s’il se retenait. Je le retourne et plonge mon œil dans les siens.

  • Lâche tout. Explose. Je suis là.

Ses yeux s’arrondissent et là je vois. Je vois la barrière céder. De grosses larmes débordent et il hurle. Il hurle à me fendre l’âme. Ses petits poings me frappent la poitrine avec la force du désespoir. Il se débat, manquant de nous faire tomber tous les deux. Pourquoi est le seul mot que je comprenne. Il marmonne des choses inintelligibles mais qui le font souffrir. Je le serre contre moi : j’ai mal, mal de le voir ainsi. J’essaie de ne pas pleurer, je dois être fort pour lui. Être le roc sur lequel il peut s’appuyer.

Il se déchaîne ainsi peut-être dix minutes avant de simplement pleurer. Il hoquette. Nous avons fini au sol, sa tête dans le creux de mon épaule, mes bras toujours autour de son corps frêle. Il est comme une poupée de chiffon contre moi. Tristan s’est enfin calmé. Je ne perçois plus que des petits hoquets et quelques murmures. Cette “libération”, si on peut appeler ça ainsi, lui aura pris ses dernières forces.

Il s’est endormi, le cœur gros. J’essuie les dernières traces de larmes sur son visage fatigué. Je m’autorise enfin à libérer les miennes. Je pleure silencieusement dans ses cheveux, me laissant aller à lui poser un baiser au sommet du crâne. Un vent glacial se met à souffler et je frissonne. Lui aussi a froid car il se blottit un peu plus contre moi, mettant mon corps et mon cœur à rude épreuve. À croire que lorsque le sommeil reprend ses droits, son corps, lui, retrouve ses réflexes.

Ses mains se rejoignent dans mon dos et s'accrochent. Sa tête se déplace sensiblement vers ma poitrine où il frotte son nez avant d’inspirer profondément.

  • Menthe, cigarette… il manque… l’huile… murmure-t-il, tout bas.

Menthe, cigarette, huile ?

Ça y est… Je comprends enfin la signification de ces mots.

Ce sont ceux qui décrivent mon odeur. Si je ne sens plus l’huile, c’est parce que ma moto a dormi un bon moment… Je ne l’ai pas réparée et mon huile moteur sent assez fort. Je rigole doucement. J’ai les jambes à moitié ankylosées. J’avise l’endroit où mon petit lion a posé le drap : je me lève tout en le gardant près de moi - pourquoi ne pas en profiter ? - et me dirige vers le camp improvisé. Je le dépose doucement au sol et pose sa tête sur l’oreiller avant de m’allonger sur le dos, les mains sous ma nuque, afin d’observer le ciel nocturne.

Et là… Magie…

Sa main tâtonne près de moi, comme s’il cherchait quelque chose. Je suis un peu étonné mais me rapproche quand même. Ses doigts effleurent mes abdos, qui se contractent instantanément à leurs contacts, et glissent jusqu’à l’autre côté. Sa tête vient se poser au creux de mon bras puis dans mon cou. Je sens son souffle chaud contre ma peau. Comme un automatisme, mon bras se referme sur lui tandis que sa jambe passe au-dessus des miennes.

Dort-il vraiment ? Ou alors…

Non. Il est vraiment endormi. J’ai perçu son léger ronflement, ronflement qu’il a toujours eu lorsqu’il était dans son sommeil profond. Je ne me pose plus de questions et profite simplement de l’instant présent.

Apprécier chaque moment.

Cette phrase prend tout son sens actuellement. Je savoure mon bonheur de l’avoir à nouveau dans mes bras. Comme avant. Je ferme les yeux et…


Aïe… Où suis-je ?

Je ressens une sensation de bien-être… Une douce chaleur me réchauffe tant le corps que l’esprit. Pourtant… J’ai les membres engourdis et le dos en compote. Je prends une grande inspiration afin d’essayer de détendre mes muscles. Une odeur de bonbons sucrés m’emplit les narines et je me surprends à sourire. J’ouvre lentement les yeux… Juste sous mon nez se trouve… plein de cheveux blonds.

Ah…oui… Je me souviens…

Quelle agréable sensation… Mon petit lion est placé dos à moi, dans le cocon de mes bras, ma main posée sur sa poitrine et sa tête contre mon épaule. Je me déplace légèrement. Le ciel se teinte peu à peu de rose : le soleil ne va pas tarder à se lever. Une dernière fois, je pose mon nez dans ses cheveux et sniffe ma dose de drogue, une dose que j’espère suffisante jusqu’à ma prochaine prise.

Je me dégage lentement pour ne pas le réveiller : gage réussi. Tristan me semble plus reposé : ses cernes sont moins marquées. Je ne peux m’empêcher de lui caresser le visage.

  • Si tu savais comme je t’aime… murmurai-je, bien malgré moi.

Au fond de moi, j’espère qu’il se réveille et qu’il m’entende mais cela ne se passe que dans les films non ? Je me lève et m’étire : passer la nuit sur du béton n’est pas la meilleure chose à faire. Même si j’ai dormi comme un loir… la présence de mon petit lion y est sans doute pour quelque chose. Je regarde mon téléphone : 5h45.

  • Rey ? Rey Renaud ? Vous êtes là ?

Quelqu’un m’appelle. Où alors est-ce mon imagination ? Je me lève et me dirige prudemment vers la porte en fer. Un homme en uniforme de vigile se tient à l’embrasure… et j’ai presque l’impression qu’il se demande ce qu’il fait là.

  • Il y a quelqu’un ? Ah… Qu’est-ce que je ne ferais pas pour les beaux yeux verts de Mélissandre… Rey ?

Mélissandre ? Ah… Sûrement l’infirmière…

  • Je suis là ! Euh…
  • Ah ouf… J’ai eu peur qu’elle ne se soit fichu de moi ! Vous êtes bien deux, non ? Où est le jeune Tristan ?
  • Euh… Pas très loin…

Je reste un peu perplexe devant cette apparition matinale. Il me sourit d’un air penaud. Il se frotte l’arrière du crâne et…

  • Bon, je t’expliquerai plus tard ! Va chercher Tristan, il faut que vous soyez dans sa chambre avant le premier tour de garde dans… dix minutes ! Vite ! Magne-toi !

Je ne sais pas pourquoi mais je lui obéis. Ne voulant réveiller mon petit lion, je le prends délicatement dans mes bras, tant pis pour les draps et les couvertures. Le vigile arrive derrière moi, nous avise Trist et moi, sourit avant de ramasser notre camp improvisé. Il ne dit rien mais son regard en dit long. Et… Je m’en fiche.

Oui, je l’aime et alors ?

Il nous guide jusqu’à la chambre de Tristan où Mélissandre nous attend. Elle refait le lit de Tristan avec des draps propres et sourit quand elle nous voit entrer.

Ouf… Vous voilà… Je savais que c’était vous que j’avais aperçu sur le toit après avoir raccompagné Mme Renaud à sa voiture. Il faut dire qu’elle m’a retenue autant qu’elle pouvait ! Et… euh… Dit-moi, Rey… C’est Tristan que j’ai entendu hurler ?

  • Mmmh… Oui… lui répondis-je. Il avait… euh… quelques démons à exorciser…

Elle paraît surprise mais son visage s’attendrit quand elle voit comment je dépose mon petit lion sur le lit : avec toute la délicatesse dont je suis capable. Je rabats les couvertures et Tristan sourit dans son sommeil avant de se recroqueviller. Je me place sur le fauteuil, tout près de son lit, prend sa main dans la mienne et attend son réveil.

Mélisandre et le vigile sont sur le point de sortir. Je me lève et avance vers la porte.

  • Euh… Mélissandre ?... Mmhh… Merci.

Elle se retourne, un petit air ahuri sur le visage avant de me sourire.

  • De rien, mon petit Rey.

Je les regarde s’avancer dans le couloir. Le vigile semble complètement épris de l’infirmière. Il la couve d’un regard doux.

  • Dit Mel… ces deux-là…
  • Oui… Rey est amoureux de Tristan, ça crève les yeux ! Oh ! Hugo ! Ne fais pas cette tête ! Ce que tu peux être vieux jeu ! fait-elle, en lui tapant l’épaule affectueusement.

Hugo rigole doucement avant de prendre sa main et de la lui embrasser. Mélissandre rougit violemment. Elle bégaie quelque chose que je ne comprends pas avant de s’enfuir par une porte latérale. Hugo regarde ladite porte un instant avant de secouer la tête en souriant.

Comme quoi, je ne suis pas le dernier en matière de sentiments…

Tristan s’est réveillé plus de deux heures plus tard. Je m’étais moi-même assoupi dans le fauteuil lorsque j’ai senti une main sur ma joue.

  • Qui es-tu pour moi Rey ? murmura-t-il.

Je n’ai pas osé ouvrir les yeux. Sa voix tremblait… comme si quelque chose de fragile naissait… J’entends la porte s’ouvrir.

  • Bonjour, mon Tristan.
  • Chut, Ma… murmure-t-il, ses doigts effleurant encore mon visage.
  • Oh… Excuse-moi… Il est trop adorable quand il dort.
  • N’est-ce pas ?

Mon cœur a failli sortir de ma poitrine. Il cogne si fort que je me demande comment ils font pour ne pas l’entendre.

  • Comment vas-tu ? questionne Ma.
  • Tu veux dire… malgré le fait qu’on ait dormi tous les deux sur le toit ?
  • PARDON ?

Je ne peux m’empêcher de rire. Mon petit lion me regarde, une nouvelle lueur dans les yeux. Ou… pas ?

  • Je croyais que tu dormais toi ? D’ailleurs… Comment diable sommes-nous rentrés ?

Je lui raconte ma petite mésaventure de ce matin avec Hugo et Mélissandre. Tristan semble s’être aussi aperçu de l’idylle entre eux. Ma s’étonne : pourquoi sur le toit ?

  • Je… Je ne supporte plus cette chambre. Elle est froide, stérile. J’en ai marre.
  • Dans ce cas, j’ai peut-être une bonne nouvelle : tu as visite médicale aujourd’hui ! Si tes analyses sont bonnes… tu pourras rentrer à la maison dès demain. Voire même aujourd’hui…

Tristan la regarde comme un enfant regarderait son cadeau de Noël : des étoiles plein les yeux. Le médecin vient le chercher et nous demande de rentrer au motel : les examens vont durer un peu plus d’une heure et nous n’aurons les résultats qu’en début d’après-midi. Il ne reste plus qu’à attendre.

J’ai l’impression que cette heure dure une éternité. Ma m’a raccompagné dans la chambre afin que je puisse au moins prendre une douche. Comme elle a remarqué que je tournais en rond comme un lion en cage, elle m’a proposé d’aller acheter de quoi préparer une surprise pour Trist.

  • Il adore les pancakes ! me fait-elle avec un clin d'œil.

Une fois tous les ingrédients achetés, Ma demande à ce que l’on puisse utiliser la cuisine du motel : il faut dire qu'une demie plaque chauffante n’est pas l’idéal pour préparer des pancakes !

Je sais bien qu’elle tente par tous les moyens de me détourner de mes inquiétudes et elle y parvient presque. Nous passons un joyeux moment dans cette cuisine : moi essayant de ne pas cramer toute la préparation et Ma me montrant patiemment comment faire.

Ai-je déjà dit que j’adorais cette femme ?

12h00. Le téléphone sonne enfin. J’ai bien cru devenir fou. Malgré le fait que nous ayons passé plus de deux heures pour la préparation et la cuisson des pancakes, l’hôpital ne nous avait pas encore appelé. Cette fameuse heure d’examens a duré plus de trois… Ma a du faire des pieds et des mains pour que je n’aille pas à la salle de sport, prétextant que je vais transpirer et que quand l’hôpital nous contactera, je vais prendre un temps infini pour me préparer.

Si elle savait… Bref. Nous allons enfin avoir une réponse.

  • Enfin ! Vous voilà !

Nous sommes accueillis par un gargouilli monumental venant du ventre de mon petit lion. Nous échangeons un regard incrédule avec Ma avant de partir dans un fou rire monumental, vite rejoint par Trist.

  • Par pitié… Je meurs de faim… se lamente-t-il.

Je réalise que je n’ai pas mangé non plus depuis hier soir. Ma déballe le copieux déjeuner qu’elle nous a acheté : vu l’heure tardive, nous avons décidé que nous garderons les pancakes pour le goûter. Trist ne demande pas mieux et se lèche les babines.

Seigneur… Cette langue…

Je passe une main sur mon visage… Trist me regarde et… me fait un clin d’oeil ?!

  • Bon, je ne savais pas ce que tu voulais manger… alors… je te laisse le choix. Euh… Ça va les garçons ?
  • Bien sûr Ma, répond Trist (je crois que j’ai perdu ma capacité de parler), pourquoi cette question ?
  • Mmh… Je ne sais pas trop… fait-elle, un brin malicieuse.

Mon petit lion pose une main sur sa poitrine et secoue la tête exagérément, l’air de dire “mais qu’est-ce qu’on a fait ?”, les yeux grands ouverts. Toute cette mise en scène n’a que le bénéfice de nous replonger dans le fou rire que nous venions à peine de quitter.

Nous mangeons dans une ambiance bonne enfant jusqu’à l’entrée du médecin.

  • Madame, Messieurs, j’ai enfin les résultats de vos analyses, M. Valère. Et… J’ai des bonnes mais surtout une mauvaise nouvelle.

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