Chapitre 5

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Nous nous sommes quittés vers trois heures du matin, après avoir tout fait pour retourner dans sa chambre sans se faire prendre. De vrais gamins ! Rentré au motel, je me suis endormi comme un bébé et ne me suis pas réveillé avant 13h00.

Ma n’a pas voulu briser mon sommeil : cela faisait longtemps que je n’avais pas dormi autant ! Je me lève, quelque peu courbaturé de ma séance d’hier, mais reposé et plutôt serein. Ma soirée - nuit ? - avec Tristan m’a fait énormément de bien.

Bien sûr, de nombreuses questions restent en suspens mais pour le moment, je ne veux pas y penser. Je tiens à savourer nos instants de retrouvailles. Je sais que la suite risque d’être difficile.

Apprécier chaque moment.

Je sors de ma chambre et voit Arnold préparer son sac. Devant mon air étonné, il me rassure :

  • Je dois rentrer à la maison, les gars à la caserne ont besoin de moi. L’été arrive et avec lui l’augmentation des risques d’incendies. Je dois briefer mon équipe au plus vite.
  • Oh… Je comprends.

Je ressens comme un sentiment… d'abandon. Étrange, non ? Arnold pose son sac et s’approche. Nous n’avons jamais été vraiment proches lui et moi : bien sûr, il m’a soutenu, m’a tiré vers le haut lorsque je m’étais perdu dans ma spirale de violence mais… Il reste un homme… Il a longtemps incarné pour moi l’image parallèle d’Albi alors qu’il est complètement différent.

  • Tout va bien se passer, mon fils. Tristan est plus solide qu’il en a l’air… malgré le fait qu’il pourrait désormais s’envoler au moindre coup de vent !

Je ne peux m’empêcher de sourire. Malgré sa maladresse, Arnold est un bon père, attentif. Je sais que je peux compter sur lui, sur son soutien infaillible. Je ne le remercierai jamais assez pour ça. Pris d’un élan d’affection pour cet homme, je le serre dans mes bras. Surpris, il ne me rend pas mon étreinte de suite mais finit par le faire.

  • Merci… Paps.

Je le sens sursauter dans mes bras et ne peux m’empêcher de rire.

  • À moins que tu ne préfères que je t’appelle… le vioc ?

Il éclate de rire, brisant ce moment de gêne avant de reculer et de poser son sac sur son épaule massive.

  • Essaie juste pour voir, morveux. On verra qui est le vioc. Mina est avec Tristan, elle devrait revenir dans quelques heures. Dès qu’elle sera là, tu pourras y aller à ton tour. À plus, fils.
  • À plus, Paps.

Fier de sa nouvelle dénomination - impossible de ne pas le remarquer - Arnold ferme la porte en souriant bêtement. Je réalise à quel point je peux être stupide en matière de sentiments.

Je n’ai jamais remarqué l’amour que me portait Lydia, alors qu’elle semble amoureuse depuis pratiquement notre première rencontre, il y cinq ans. Je n’ai pas compris à temps la détresse d’Andy, la faute la plus grave que je n’ai jamais commise. J’ai rejeté Arnold pendant plus de trois ans avant de “tolérer” sa présence, alors qu’il ne faisait que m’aider pendant tout ce temps.

Et dernièrement, j’ai nié mes propres sentiments… et je ne trouve aucune raison valable pour le justifier. À part que je suis un parfait crétin. Aujourd’hui, je dois me battre pour tenter de rallumer la flamme, le brasier qu’il y avait entre nous. Si jamais cet amour n’existe plus…

DDDRRRIIINNNGGGG !!

  • Allô ?
  • Salut Bibou ! Alors les nouvelles ? Raconte-moi !

Lydia semble plus excitée que jamais. C’est elle qui m’a fait vraiment réaliser la nature de mes sentiments pour Trist, malgré son amour pour moi. Elle m’a même raconté leur petit pari : à savoir qui gagnerait mon cœur le premier. Bonne joueuse, elle s’est inclinée et a tout fait pour m’aider lors de la disparition de mon petit lion.

  • Salut Liliou… Tristan s’est réveillé hier mais… hésitai-je.
  • Mais… ?
  • Il est amnésique.

Silence au bout du fil. Elle a l’air estomaquée par la nouvelle.

  • Amnésique ? Il ne se souvient de… rien du tout ?
  • Rien. Exactement.
  • Aïe, Bibou… Et toi ? Ça va ? Comment tu le vis ?

Du Lidya tout craché. Elle ne connaît pas toute la vérité sur Tristan et moi. Elle ne sait rien de nos baisers, de nos caresses, des nuits passées ensemble à se câliner. La seule chose dont elle est sûre, du moins c’était le cas il y a encore six mois, c’est que nos sentiments étaient partagés.

  • À vrai dire… Je ne sais pas. Je suis heureux qu’il soit de retour en même temps je suis terrifié. C’est une sensation… bizarre, dérangeante.
  • Tu m’étonnes… Je ne sais pas si je dois espérer qu’il retrouve la mémoire ou non…
  • Lydia ! la réprimendai-je.
  • Je plaisante, Bibou… Promis… N’hésites pas à me tenir au courant s’il te plaît ! Et embrasse-le de ma part, même s’il ne se souvient pas de moi ! À plus !

Elle raccroche. Difficile de savoir si elle m’a dit la vérité… Enfin bref… Il est presque 15h00. Je ne sais absolument pas quoi faire. Aller à la salle de sport ? Je crois que mon corps va me le faire regretter…

TOC. TOC.

Tiens ? Qui est-ce ?

J’ouvre et tombe sur l’inspecteur Hérault. Il semble exténué, engoncé dans sa veste presque trop petite pour lui. Devant son air fatigué et son visage transpirant, je l’invite à entrer dans la chambre climatisée.

  • Merci. Je n’en peux plus, m’avoua-t-il. Votre histoire est… épuisante bien que stimulante.
  • Notre… histoire ?
  • Je n’aime pas le mot enquête.
  • Oohh…

Je prends une bouteille d’eau fraîche dans le mini-frigo et la lui lance. Il l’attrape au vol.

Il a encore de bons réflexes.

  • J’ai cru comprendre que ton père était rentré ? - je hoche la tête et ne peux m’empêcher de sourire au terme “père” - Ok… Et je suppose que ta mère est avec Tristan…

J'acquiesce de nouveau. Il semble déçu. Et pour cause… Il a des suppositions sur le chemin accompli par Tristan et sa mère durant les deux mois précédant sa découverte et voulait nous en faire part.

  • Racontez-moi.

Mon ton est un peu impérieux. Il est vrai que lorsqu’il s’agit de Tristan, je deviens vite incontrôlable.

  • ... S’il vous plaît…

Il s'assoit et me sourit d’un air entendu. La mère de Tristan s’est échappée de l’asile quelques jours seulement avant sa disparition. Hérault est abasourdi par le fait que les enquêteurs n’aient pas fait le rapprochement. Je ne le suis pas moins…

Ils ont crapahuté à pied un bon moment, jusqu’à ce qu’elle vole une voiture dans le parking d’un café de bord de route. On les voit sur la vidéosurveillance mais à ce moment-là impossible de les identifier clairement. La police n’a pas réussi à retrouver leurs traces.

Pas étonnant. Il semblerait que la mère de Tristan ait eu une réelle fascination pour le feu. La voiture a été retrouvée quelques jours plus tard, incendiée, près d’un champ de tournesols.

Ils sont restés quelques jours dans une cabane, une sorte de remise. Comment le savons-nous ? Cette fameuse cabane se trouve à quelques centaines de mètres à la limite du champ, dans une zone boisée privée. Le propriétaire était venu récupérer son arme pour tuer les sangliers qui piétinaient ses jeunes pousses.

L’arme n’était plus là mais il a trouvé un flacon orange. Vide et dont l’étiquette avait été décollée. Aucune trace. Aucun nom. La seule chose identifiable était le médicament : un anti anxiolitique assez puissant mais qui reste générique.

Et un début d’incendie. Un feu avait été allumé sur le vieux matelas qu’il stockait là.

À partir de là, on perd leur trace mais ils ne se trouvent qu’à quelques kilomètres seulement de la maison où elle a fini par mourir. Et elle possédait une arme.

Étant donné sa fascination pour le feu, Hérault a recherché les débuts d’incendies déclarés, dans un rayon de deux cents kilomètres. Il y en a plus de trente ! En suivant la trajectoire entre nos deux villes, une dizaine de sinistres a été enregistrée. Sur quatre d’entre eux, les pompiers ont retrouvé soit une boîte de pilules vides, soit des cachets éparpillés. Parfois quelques gouttes de sang, inexploitables à cause de la chaleur.

Dans les décombres de la dernière maison, des liens de serrage métalliques ont été retrouvés, à côté de ce qui devait être une chaise en fer forgé. Le corps de la mère de Tristan a été retrouvé quelques mètres plus loin, allongé sur le dos, les mains croisées sur la poitrine. Lors de l’autopsie, le médecin a trouvé des traces de fumée dans ses poumons, signe qu’elle était encore vivante lorsque le feu s’est déclaré et propagé.

  • Pour être honnête, j’ai tout d’abord cru que Tristan l’avait tuée.

Je sursaute et fixe l’inspecteur. Je n’arrive pas à croire qu’il ait pu ne serait-ce qu’émettre cette hypothèse.

  • Ne me regarde pas avec ses yeux de tueur ! rigole-t-il. J’ai vite abandonné l’idée.

Il m’explique : le médecin lui a assuré que le corps de Tristan était saturé de médicaments. Il a été étonné qu’il ait pu se lever et marcher tellement la dose était élevée. De plus, il semblerait qu’il en ait ingéré quotidiennement des quantités improbables. Selon lui, le but était de maintenir Tristan dans un état catatonique. De plus, ses vêtements étaient imbibés d’essence…

  • Je crois bien que le but de sa mère était de le tuer depuis le début, d’où les différents débuts d’incendie. Seulement… elle a à chaque fois été interrompue. Tristan a certainement voulu se débattre ou se sauver à un moment, donc elle l’a drogué. Avec ses propres médicaments.

Je reste abasourdi. Il termine en me disant qu’il a cherché à obtenir des infos sur le passé médical de la mère : la seule information qu’il ait pu obtenir est le fait qu’elle a perdu pied lors de la mort de son mari et que c’est allé crescendo, jusqu’à la tentative de meurtre sur son propre fils, presque quatre ans plus tard.

  • Voilà. Tu sais tout, conclue-t-il. L’affaire Tristan Valère est bouclée et aucune charge n’a été retenue contre lui. J’ai tout fait pour. Je te laisse passer le message à tes parents, le jeune. J’espère qu’on ne se reverra plus !

Sur ces paroles, il s’en va. Je crois que finalement je vais avoir besoin d’une séance de sport.


Vers 18h00, je sors de la douche et en même temps Ma franchit la porte d’entrée. Elle semble fatiguée. Fatiguée mais heureuse.

  • Ma ? Tout va bien ?
  • Rey ! Tu as encore été faire du sport ?

Je ris doucement : elle s’inquiète beaucoup trop, faire du sport n’a jamais fait de mal à personne. Elle sourit avant de me prendre dans ses bras. J’aime ses marques d’affection : elles sont devenues plus récurrentes depuis la disparition de Tristan.

  • Comment va-t-il ? demandai-je, un peu anxieux.
  • Il ne se souvient de rien, toujours… J’ai essayé de lui raconter quelques moments que nous avons passés ensemble, comme le médecin me l’a suggéré, mais aucun effet…
  • Je vois…

Je dois admettre que je suis un peu déçu. Je sais bien que cela risque de prendre du temps mais… je ne suis pas patient. Loin de là.

  • L’hôpital souhaite libérer la chambre au plus vite. Ils espèrent que l’enquête sur Tristan va vite se terminer pour le faire sortir.
  • Si ce n’est que ça… Nous devrions rentrer d’ici demain alors…

Devant l’expression mi-inquiète, mi-surprise de Ma, je lui raconte la visite de l’inspecteur. Elle peine à masquer sa colère et je la comprends. Si la police avait correctement fait son travail au lieu de clore le dossier sous prétexte qu’il se serait suicidé à cause de son état dépressif, nous aurions pu être réunis bien avant.

Mais ça ne sert à rien de ressasser le passé.

  • Vas-y. Je crois qu’il t’attend.

Il m’attend…

Cette simple phrase a le don de me remonter le moral.


J’arrive à l’hôpital aux environs de 18h30. Le soleil est partiellement couché et les tons chauds du ciel me rappellent un certain couché de soleil dans une certaine grotte… Je prends l’ascenseur et me retrouve devant cette petite chambre, le cœur à nouveau battant la chamade.

Il va vraiment falloir que je m’habitue à son retour ! C’était comme ça pour lui aussi ? À chaque fois ?

J’entre. Il est allongé sur le lit, dos à moi.

Il dort ?

Je l’observe et voit que sa poitrine est prise de soubresauts… comme s’il… pleurait… Je contourne le meuble pour me retrouver face à lui. Lorsqu’il s’aperçoit de ma présence, il s’assoit sur le bord du lit et cherche à masquer sa tristesse par un sourire forcé puis essuie ses larmes d’un revers de main.

Ma propre poitrine se déchire. Voir toutes ces questions sans réponses dans ses yeux, toutes ces incertitudes, tous ces pourquoi… me fendent le cœur. Je lève la main pour essuyer une larme qui coule et la pose sur sa joue.

La magie opère de nouveau. Je ne sais pas si elle n’opère que de mon côté mais je sens mon corps se recouvrir de fourmillement, comme s’il avait un besoin vital de serrer le sien contre lui. Ses yeux dans le mien, je ne peux m’empêcher de l’attirer contre moi.

S’il a été un instant surpris, cet instant n’a pas duré. Ses jambes sont de part et d’autre des miennes. Son visage s’est logé presque automatiquement dans mon cou et ses mains se sont rejointes dans mon dos, sous ma veste de cuir. Mon nez dans ses cheveux, je respire à grande goulée mon parfum favori.

Cette odeur de bonbon sucré…

Je constate qu’il en fait de même, avant de se remettre à pleurer. Je ne peux m’empêcher de verser des larmes aussi : sa détresse est si vivace ! Je lui caresse les cheveux, espérant le calmer. Je pourrai rester ainsi des heures, sa tristesse en moins.

  • Ça va aller, mon petit lion…

Il s’est raidi contre moi. Je ne suis même pas sûr d’avoir prononcé les trois derniers mots à voix haute et je m’en fiche à vrai dire. Ce qui compte pour moi en cet instant, c’est de réussir à lui redonner le sourire. J’ai une envie folle de déposer un baiser dans ses cheveux mais je me retiens de justesse.

Il se laisse aller comme ça encore quelques minutes. Sa tête s’est posée sur mon torse et j’essaie en vain de réprimer la chair de poule que cela me procure. Je n’ai absolument pas envie de briser notre étreinte mais il finit par relâcher ses mains et me repousse gentiment.

Il lève alors son joli visage vers moi et tente de me sourire, aussi maladroitement que cela est possible. Je crois que j’ai dû virer au rouge pivoine. Je passe une main sur son visage et y essuie les dernières traces de larmes tout en m'éloignant de la chaleur de son corps.

Nous nous regardons, ne sachant pas trop quoi se dire après cette promiscuité soudaine. Je me tourne vers la fenêtre et me passe la main dans les cheveux pour tenter de calmer ma frustration.

  • Je… Merci… Rey…

Définitivement, je ne souhaite qu’une chose : entendre mon surnom à nouveau sur ses lèvres… Je me retourne pour lui répondre.

Putain…

Il est là, assis, semblant fragile mais tout en étant un peu plus fort… J’oscille entre le désir de le laisser tranquille ou celui de le pousser sur ce lit pour l’embrasser fougueusement…

  • Bof… Il n’y a pas de quoi tu sais. Je n’aurai pas pu te laisser comme ça.
  • C’est un peu idiot mais…

Il se tait, les yeux perdus dans le vague. Trist repousse une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Mes yeux s’attardent sur son cou pour remonter jusqu’à ses lèvres, qu’il humecte en se passant une langue dessus. Mon corps, déjà légèrement émoustillé par l’étreinte de tout à l’heure, réagit promptement à ce simple geste.

Je me retourne vivement pour qu’il ne remarque pas l’effet qu’il me fait, dans cette petite pièce à présent plongée dans une semi obscurité.

  • On va faire un tour ? me propose-t-il.

J'acquiesce mais il me prévient : plus question de jouer à cache-cache, ce soir ! Ma lui aurait passé un savon cet après-midi, dès qu’elle a su pour leur petit manège de la veille. Lorsque je lui dis que personnellement, je n’ai eu aucune remontrance, il fait mine de bouder, en insinuant qu’il a des préférences dans l’air… Nous nous sourions avant de partir dans un éclat de rire.

Après avoir prévenu le bureau des infirmières, nous sortons dans le “jardin”. Jardin est un bien grand mot pour cette petite étendue de pelouse jaunie et les trois arbres dégarnis qui le composent. Quelques bancs plus ou moins en bon état sont éparpillés ici et là, occupés par des personnes âgées en quête d’air frais ou de jeunes aux membres cassés. Nous ne pouvons pas rester longtemps ensemble. Tristan a rendez-vous avec le psychologue vers vingt heures.

Nous nous dirigeons vers le seul banc libre, un peu à l’écart sous un vieux chêne aux feuilles tarabiscotées. Je m’assois sur la moitié de dossier encore entière tandis que Trist, bien élevé, se place sur l’assise du banc de pierre. Tristan me regarde, l’air de vouloir me demander quelque chose : il ouvre la bouche plusieurs fois mais se ravise presque instantanément.

Je le laisse faire : si il a une question à me poser, je veux que ça vienne de lui. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai comme l’impression qu’elle est très… personnelle. Je fouille ma poche intérieure pour en sortir mes cigarettes et mon petit lion ne me lâche pas du regard.

Je vais finir par devenir dingue à cause de ses prunelles qui me dévorent…

Je prends une cigarette que j’allume patiemment… Ses yeux se voilent. Il se met à trembler presque inconsciemment avant de détourner le regard.

  • Je crois que je n’aime pas le feu, murmure-t-il, plus pour lui que pour moi.
  • Tu m’étonnes…

Je me frapperai. Ces mots sont sortis tout seul.

Quel crétin !

Il semblerait que Tristan n’ait pas entendu ma gaffe ou alors il ne la relève pas. Ses yeux se sont à nouveau perdus dans le vague. J’ai comme l'impression qu’il est dans son monde et que… Je n’en fais pas parti.

Pas encore.

Je me perds moi-même dans la contemplation de son visage. Ses pommettes sont trop saillantes suite à sa perte de poids excessive de ces derniers mois. Son nez est légèrement retroussé et j’aime les quelques tâches de rousseur qu’il a juste au-dessous de ses yeux noisettes. Sa peau est toujours aussi blanche et je rêve de pouvoir à nouveau l’embrasser, surtout le carré de chair tendre sur sa clavicule…

  • Rey ?

Je reviens à la réalité. Sa voix est douce et a un je-ne-sais quoi de… de gêné dans le timbre.

  • Mmmh ? Quoi ? hasardai-je.
  • Je… c’est con comme question mais… - il marque une pause - non, en fait, laisse tomber.

Il a baissé les yeux, l’air contrit. Je ne compte pas laisser passer ça. Je me lève l’air de rien et m’approche doucement de lui. Je jette mon mégot par terre.

  • Pose-la, ta question.
  • Non… Je… Laisse tomber, c’est bête je te dis…
  • Tristan ? fais-je, en accentuant la dernière syllabe exprès.

Il lève son visage à la mention de son nom et semble… contrarié ? Ses yeux ne me lanceraient-ils pas des éclairs par hasard ?

Je n’aime quand tu m’appelles par mon prénom. J’ai l’impression d’avoir fait une connerie.

Ces phrases me reviennent en mémoire comme un coup de fouet. Je souris. Je ne sais pas pourquoi mais je souris. Tristan me regarde et lève les mains en signe de reddition avant de sourire lui aussi.

  • Quoi ? le questionnai-je. Je n’ai rien fait…
  • Non… Mais ton sourire… Ce sourire en particulier… Rey … ?
  • Tu vas me la poser ta question, tu vas voir !
  • Rey !

Je ne laisse pas finir sa phrase et lui saute dessus. Nous tombons à la renverse dans l’herbe jaune et je l’attaque à coup de chatouilles. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Il se débat tout en riant mais - et ça, ça n’a pas changé - il est beaucoup plus faible que moi. Nous roulons ainsi dans l’herbe.

C’est un instant magique pour moi : avoir son corps si près du mien, pouvoir le toucher sans que cela ne paraisse équivoque. J’adore. Je finis même par le serrer contre moi, son dos collé à mon torse, tout en continuant mes chatouilles.

  • C’est bon… Tu as gagné… Je capitule… crie-t-il, entre deux éclats de rire. C’est bon… Rey… continue-t-il dans un soupir.

Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine. J’ai extrapolé ses derniers mots dans un contexte totalement différent et comme je sais que ce ne sera pas possible maintenant (ou plus jamais possible…), une chape de plomb m’est tombée sur les épaules. J’en ai perdu ma bonne humeur.

Je m’éloigne de ce corps que je désire ardemment, m’allongeant tout de même pas très loin. Je pose un bras sur mon visage et soupire. Je ne veux pas montrer ma propre détresse et me force à sourire pendant qu’il reprend son souffle à côté de moi.

  • Alors, cette question ? lui demandai-je, d’une voix un peu trop rauque à mon goût.

Il lève la main et me fait signe d’attendre, en respirant par à coup. Puis il se tourne vers moi et appuie sa tête sur sa main, plongeant ses iris brunes dans ma prunelle dorée.

  • Tu es bien sûr de toi ? me fait-il, taquin.

Je lève les yeux au ciel, en faisant mine d’avoir l’air exaspéré. Il rit avant de s’allonger sur le dos, comme moi. Nos mains ne sont qu’à quelques centimètres l’une de l’autre. Il pose son avant bras sur ses yeux avant de soupirer.

  • Tout à l’heure… Dans la chambre… Tu m’as dit… “ça va aller”...

Je déglutis.

Merde… Je ne sais même pas si j’ai prononcé ces trois petits mots à voix haute…

Je décide de ne rien dire pour voir si lui me demande. Le silence s’installe. J’ai comme l’impression qu’il n’ose pas.

  • Et ? hasardai-je, peu confiant.
  • Et… hésite-t-il. Je… Je crois… Non, je suis presque certain que tu n’as pas fini ta phrase. Voilà. C’est dit.

Je n’ai pas fini ma phrase. C’est une façon mignonne de le dire.

Je me place sur le côté, ma tête posée dans le creux de mon coude. Il ne me regarde pas, ses yeux sont toujours cachés par son bras. Je n’aperçois que sa bouche : il se mordille la lèvre inférieure.

  • Et tu veux savoir comment elle se termine ? murmurai-je, peut-être un peu trop bas.
  • Il… Il y a donc bien une fin alors… Tu veux me la dire ou pas ?
  • Et toi ? Tu veux l’entendre ?

Il se tourne à demi vers moi, libérant mes prunelles noisette. Son regard… est troublant… Il se fixe dans ma dualité. Sa réponse n’est qu’un murmure…

  • Oui…
  • Ça va aller… mon petit lion… soufflai-je.
  • Mon… petit… lion… ?

Ses yeux expriment une surprise sincère, comme s’il se demandait s'il n’ y avait pas une autre connotation à ce surnom. Bon, il est vrai qu’au début je ne l’employais que pour l’embêter : je voyais bien qu’il ne l'affectionnait pas spécialement mais… Il est devenu pour moi quelque chose de précieux. Quelque chose d’unique entre lui et moi.

Je n’aime pas que tu m’appelles par mon prénom.

Voir à présent cette incertitude dans son regard me blesse énormément.

  • C’était… C’est mon surnom ?
  • Uniquement avec moi.

J’ai peut-être répondu un peu sèchement mais je sais que je ne supporterai pas que quelqu’un d’autre l’appelle ainsi. Non. Tristan est mon petit lion à moi. Il semble réfléchir. À quoi ? À sa réponse ?

Il s’allonge sur le dos et regarde les premières étoiles qui s’allument dans le ciel nocturne. J’en fais de même, le cœur lourd. Je me demande comment il a pu supporter ma propre incertitude aussi longtemps… c’est insoutenable ! Il est vraiment beaucoup plus fort que moi.

À taton, sa main cherche la mienne dans cette semi obscurité. Je la rapproche sensiblement et il l’attrappe. Sans entrelacer nos doigts. Il ne fait que la tenir mais ce contact… ce contact me fait un bien fou. Comme s'il avait le pouvoir de tout guérir. Il représente tellement d’espoir pour moi…

  • J’aime beaucoup ce surnom… Et je me dis que de toute façon… personne d’autre que toi ne pourrait… non… n’aurait le droit de m’appeler ainsi. C’est aussi peut-être pour ça que je n’aimais pas entendre mon prénom dans ta bouche. Parce que tu ne m'appelais jamais ainsi… Pas vrai ?
  • C’est exact… répondis-je, après avoir dégluti et tenté de faire en sorte que mon cœur ne s’enfuit pas hors de mon corps.
  • Et moi ? Comment je t’appelais ?

Dois-je sauter sur l’occasion ? Je ne sais pas… Mon démon angélique… Ce surnom me parait tellement plus… personnel… Mais je rêve de l’entendre à nouveau sur ses lèvres… alors…

  • Non… Ne me le dit pas. Je sais que je vais m’en rappeler.
  • Fais gaffe… Si tu ne t’en rappelles pas vite… Je ne sais pas de quoi je serai capable…

J’opte pour la carte de la provocation afin qu’il ne s’aperçoive pas de ma légère déception, tout en bougeant les doigts de ma main libre pour lui faire comprendre que je risque à nouveau de le chatouiller. Il rit.

  • Pas besoin de sortir ton sourire démono-carnassier !
  • Mon… quoi ? lui répondis-je, étonné.
  • Ton sourire démono-carnassier… Ça m’est venu naturellement tout à l’heure, juste avant que tu me chatouilles. Ton sourire… bien que superbe était… démono-carnassier !

Il éclate de rire. Si seulement il savait ce que ses paroles ont comme effet sur moi.

  • Je crois que quand il s’agit de toi… Mes souvenirs reviennent plus vite… mes sensations aussi…

Ses… sensations ?

Lorsqu’il prononce ses paroles, ses doigts s’entremêlent aux miens.

  • Oui… c’est comme ça qu’ils doivent être, murmure-t-il, pensif. Pas autrement.

Putain… Comprends-tu ce que cela signifie au moins ?

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