LA JULIETTE

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À la mort de son père, Juliette avait repris la ferme familiale. Elle travaillait dur pour s'en sortir et ne rechignait ni à la tâche ni aux travaux les plus ingrats. Sa mère, malgré son âge avancé, essayait de l'aider de son mieux.

Une ferme de huit hectares d'un seul tenant. Cette propriété se situait en bordure de Garonne et comptait parmi les terres les plus fertiles et alluvionnaires de la région. Les récoltes étaient abondantes. Pour sûr, elle faisait des envieux la ferme de la Juliette. Un troupeau de quelques têtes de vaches, un cheval, volaille et cochons contribuaient à occuper ses journées, déjà bien remplies.

Alors vous pensez ! Elle en avait des galants la Juliette.

La Juliette, comme on disait ici, c'était une belle fille de dix-neuf ans, aux cheveux blonds, une taille de guêpe, le mollet ferme, un joli minois que complétaient deux beaux yeux noisette. Beaucoup de jeunes hommes auraient bien aimé conter fleurette à cette jeune fille et la marier, c'était un bon parti.

Alors vous pensez ! Elle en avait des galants la Juliette.

Faut dire qu'elle ne s'économisait pas au labeur. Toujours la première levée pour s'occuper de ses vaches, toute la journée elle s'agitait dans tous les sens, et le soir, c'était toujours elle la dernière couchée. Elle savait aussi bien mener la charrue conduite par Bijou, un cheval percheron qui lui rendait fier service, que tirer l'aiguille pour repriser robes, chemises ou chaussettes.

Alors vous savez ! Elle en avait des galants la Juliette.

Dans la contrée, tout le monde connaissait la ferme de Mascarel. Les deux femmes étaient aimées et appréciées, on ne rechignait pas à aller leur donner la main au moment des foins ou des moissons. Et puis pour la Juliette, qu'aurait-on pas fait !

Ah oui ! Elle en avait des galants la Juliette.

Il y avait Marcel, un ouvrier agricole d'environ vingt-deux ans, placé par ses parents, dans une ferme du village. Il aurait bien aimé la marier, ainsi il aurait eu sa propre ferme et serait devenu patron lui-même. Il y avait Jean, son voisin tout proche, lui aussi venait souvent lui donner la main quand elle avait des travaux trop durs à effectuer. Leurs terres étaient mitoyennes. Il aurait bien aimé Jean posséder huit hectares de plus pour agrandir sa propriété, ainsi que le cheptel de la ferme Mascarel. Sur les terres de Juliette, il cultiverait du tabac, ça paye bien. C'est sûr, un mariage arrangerait la situation, pour lui, cette terre elle était la bienvenue. Jean, c'était un bon choix pour Juliette, fils unique, ses parents travaillaient encore dur sur l'exploitation, pour la faire prospérer. Ils auraient bien vu leur fils épouser la Juliette. Puis, il y avait Raymond, un gars de la ville qui faisait des études pour devenir instituteur. Souvent le dimanche, quand il se promenait en bordure de Garonne, ses pas l'amenaient régulièrement jusqu'à la ferme Mascarel pour saluer Juliette et sa mère. Raymond leur parlait de ses études, de la carrière qu'il pouvait envisager en tant qu'instituteur, il leur donnait aussi des nouvelles de la ville, mais ces histoires-là n'intéressaient pas la Juliette.

Voyez-vous ! elle en avait des galants la Juliette.

Le dimanche parfois, elle allait danser dans les bals des villages alentours. Ce qu'elle préférait c'était la valse, mais pas n'importe laquelle, la véritable valse musette, celle qui se tourne à l'envers. Des bons danseurs il y en avait peu, mis à part Raoul, c'était un champion ! Elle l'aimait bien Raoul, c'était pas un fanfaron, c'était un bon gars, travailleur et sérieux. Elle l'aurait bien aimé pour mari Raoul, mais son coeur était déjà pris par Lucie, Juliette n'insistait pas, valser lui suffisait. Quant aux autres cavaliers, ils tournaient comme des petits-pois carrés !

La bagatelle et les mots d'amour, c'était pas pour la Juliette, quand Marcel essayait d'effleurer ses doigts, elle les retiraient aussitôt en lui disant qu'elle s'était promise à Jean et qu'elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Quand elle gardait ses vaches, Jean venait lui rendre visite, histoire de passer un moment avec elle, il lui parlait d'avenir, qu'un jour son père lui passerait les commandes de la ferme, qu'il aimerait qu'elle soit à ses côtés durant le restant de sa vie ; enfin les mots que les garçons croient que les filles aiment entendre. Mais la Juliette lui répondait aussitôt que son coeur allait vers le Raymond, car il avait de l'instruction et de bonnes manières.

Chacun la pressait de choisir mais, elle se jouait d'eux, de leurs sentiments envers elle. Ce jeu l'amusait follement. Elle aimait trop sa liberté pour s'encombrer d'un homme.

Oh que oui ! elle en avait des galants la Juliette.

Puis le temps fit son chemin, la neige se mit à tomber sur les cheveux de Juliette, sa taille s'arrondie, des rides apparurent, son charmant minois devint ingrat. Las de l'attendre, Jean épousa une infirmière qui venait quotidiennement prodiguer des soins à sa mère. Aujourd'hui il est heureux auprès de Françoise qui lui a donné deux fils. Marcel a épousé une fille du village, selon son désir il est devenu patron de sa ferme et lui aussi est comblé par la présence d'une petite Isabelle dans son foyer. Quant à Raymond il a arrêté ses études, il est rentré dans les ordres. Personne aujourd'hui ne peut dire si c'est par vocation ou dépit amoureux.

Ah ! elle en avait des galants la Juliette.

Sa mère s'en est allée au grand jardin l'hiver dernier. Maintenant elle est seule dans sa ferme, seule le soir ainsi que toutes les heures et tous les jours que Dieu fait. Oh ! après le décès de sa mère elle a bien essayé de trouver un galant, ne serait-ce que pour la soulager dans le travail de la ferme, mais il était trop tard. Personne n'a voulu de la Juliette, tu parles, une vieille fille !

Alors le soir, devant son assiette, en manque d'appétit, elle pleure la Juliette, elle pleure sur sa vie qu'elle a perdue, sur les avances qu'elle a repoussées et elle se rappelle d'un temps où elle en avait des galants..... la Juliette.

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