20. Frustrations

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Armand se laissa tomber sur son lit en soupirant. Ce n’était pas la première fois qu’il veillait toute la nuit, mais ses rondes étaient rarement d’une telle intensité. Il ne rêvait que d’une chose : fermer les yeux et reposer ce corps fourbu. C’est ce qu’il aurait fait si son esprit n’avait pas décidé du contraire. Des millions d’émotions affluaient de toute part et une revenait inlassablement : l’amertume. Il avait réussi une prouesse : tuer un vampire et capturer son compagnon. Malgré ça, il ne ressentait aucun triomphe. Le visage d’Orion le remerciant d’une voix chaude et envoûtante tournait en boucle dans la tête. Avait-il fait ce qu’il fallait ? Angelina n’avait pipé durant tout le chemin du retour, il ne l’avait pas traitée de la façon la plus smart qu’il soit. Elle avait toutes les raisons de lui en vouloir. Trop aveuglé par sa vengeance, venait-il de briser cette amitié ?

Il poussa un soupir mélancolique. La suite, non plus, ne s’était pas passée comme il le pensait. Personne ne l’avait accueilli comme un héros. Les ruelles de la cité étaient vides et endormies lorsqu’il les traversa. L’accueil de l’Ordre fut encore plus glacial. L’homme qui le reçut ne prit même pas soin de le féliciter. Il s’empara de la fiole dans laquelle Armand avait rassemblé quelques cendres de la vampire et lui ordonna d’aller enfermer son prisonnier aux Havres Gris. En temps ordinaire, ce genre de prise ne quittait pas la Tour de l’Ordre. L’albinos avait raison quand il pressentait une chute imminente de ce quartier. Orion passerait le peu d’instants qui lui restait à vivre cloitré dans une petite maison délabrée. Il n’avait même pas pris soin de le marquer comme on le faisait des déviants dangereux. À quoi bon ?

Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsqu’on vint brutalement frapper à la porte de sa chambre. Qui pouvait bien avoir l’indécence de déranger son repos ? Il blêmit quand il découvrit un page de l’Ordre. Le Haut Conseil voulait le voir dans l’heure. Il repoussa alors toutes ses idées sombres, envahies par une étrange excitation. Son exploit avait dû se propager dans toute la Tour et les dirigeants avaient dû être impressionnés pour le convoquer aussi rapidement. Et si on lui proposait de faire table rase du passé et de reprendre son entrainement de chasseur ? Il accepterait sans se poser la moindre question.

Il s’habilla à la hâte et se précipita à cet entretien. Le soleil se levait doucement à présent, inondant les ruelles d’une douce lumière mordorée. En temps ordinaire, il aimait à flâner à ce moment de la journée, s’émerveillant devant ces jeux d’ombres, mais aujourd’hui, il courut presque jusqu’à la grande Tour. Il patienta d’interminables minutes dans le vestibule avant que le Haut Conseil ne lui ordonne de les rejoindre.

Il y avait encore plus de Sages attablés que lors de son tout premier passage devant eux. Il prit ce signe pour un excellent présage. Il fut refroidi dès la première phrase :

  • Armand, commença le plus âgé d’entre eux. Tu viens de mettre hors d’état de nuire deux vampires majeurs placés tout en haut de la liste des déviants dangereux. Te rends-tu compte que cet acte éclabousse l’Ordre ? C’est à la fois déshonorant et irrespectueux. Tu as été banni des chasseurs. Tu n’as pas à utiliser les méthodes que nous t’avons apprises pour devenir mercenaire. La prime échue à celui qui purgera un monstre ne peut être délivrée à un non-initié. Pire que ça, manquer de respect à l’Ordre est passible d’emprisonnement. Cependant, dans notre grande mansuétude, nous acceptons de fermer les yeux sur ton crime si tu t’engages à ne pas ébruiter tes faits. Rentre chez toi et réfléchis aux conséquences de tes actes.

La lumière se coupa brusquement, laissant Armand totalement stupéfait par la remontrance qu’il venait de subir. Il se rendit alors à l’évidence : dans quelques jours, il ne serait plus rien.

***

Armand quitta la Tour hébété et frustré. Ce ne fut qu’une fois dehors qu’il prit réellement conscience de la vérité. Qu’avait-il cru ? Que l’Ordre l’accueillerait comme un héros ? Qu’on lui proposerait de redevenir chasseur ? Des centaines de recrues débarquaient tous les mois ici, ils recevaient bien assez de chairs à canon pour se soucier d’un pauvre hère comme lui. Le choc laissa peu à peu place à une colère froide et destructrice. Il avait été stupide de croire qu’il pourrait s’intégrer dans ce monde qui le rejetait ? Il n’était qu’un monstre, une horreur au teint pâle, un déchet aux mœurs décadentes. Quelque chose se brisa au fond de lui, qu’avait-il à perdre à assouvir ses vices ? Il serait arrêté, condamné ? Avait-il un autre avenir ? Armand tourna un regard déterminé vers les Havres Gris. Ce qu’il s’apprêtait à faire était immoral, mais la frustration de la matinée couplée au peu d’importance qu’une éventuelle sanction induirait le poussa à enfreindre ses propres règles. Il brûlait de ressentir une nouvelle fois ce sentiment de domination et aujourd’hui, plus rien ne le retenait de passer à l’acte. Il tressaillit lorsqu’il constata que ses pas l’avaient machinalement amené à la maison où était enfermée sa proie.

Empli d’un curieux mélange d’envie et d’angoisse, il avisa les alentours afin de s’assurer que personne ne rôdait dans les parages. Les Havres s’endormaient doucement ; les rues étaient silencieuses ; pas le moindre bruit suspect hormis le chant des oiseaux. Il sortit son passe-partout pour déverrouiller la porte, puis, une fois entré, il referma avec soin derrière lui. Les lieux étaient calmes, plongés dans les ténèbres. Il s’avança doucement, les sens aux aguets. Seul le claquement de ses bottes résonnait dans l’obscurité. Il s’arrêta au milieu de la pièce. Sa raison lui hurlait de faire demi-tour ; d’enfouir cette envie au fond de son cœur, mais Armand ne l’écouta pas. Le désir était trop ardent. Il jeta un coup d’œil vers la paillasse où sa proie devait dormir. Un doute l’envahit alors, elle était vide. Et si le chasseur devenait le chassé ? Il ne put refréner un tressaillement lorsque le vampire se glissa derrière lui, posant la main sur la crosse de son fusil. Armand retint sa respiration, il venait de se faire prendre comme un bleu. Il était à la merci de la créature, sentant son souffle chaud contre sa nuque. Cependant, ce ne fut nullement un sentiment de peur qui l’envahit alors, il ne put expliquer pourquoi son désir était monté d’un cran. Il était complètement vulnérable, offert à ce monstre qui pouvait l’exsanguir d’un simple coup de croc.

  • Que viens-tu faire ici, Chasseur ? lui susurra Orion.

Armand ne répondit pas, il se contenta d’effleurer la main glacée qui tenait la crosse de son arme.

  • Je vois, reprit le vampire. Tout le monde a ses petites déviances.

L’albinos ferma les yeux quand il sentit la créature se lover contre lui. Il ne put réprimer un frisson lorsque les lèvres du vampire se posèrent contre son cou, mais au lieu de le mordre férocement, Orion se contenta de l’embrasser. Des baisers de plus en plus longs et de plus en plus charnels qui accélèrent le cœur de chasseur. Il voulait goûter pleinement à ce moment ; quitte à ce que ce monstre le saigne à mort. Il n’eut aucun geste quand la main d’Orion retira délicatement son masque, dévoilant pour la première fois depuis des années son visage lunaire. Les caresses du vampire se firent plus invasives et Armand était totalement sous son contrôle. Lui, qui avait envisagé le sentiment de pouvoir qui le submergerait lorsqu’il dominerait sa proie, n’imaginait pas le déferlement d’émotions qui l’envahit à mesure qu’il offrait son âme à la créature.

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