19.    La Traque

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Pour Armand, l’excitation avait atteint son paroxysme. Ce n’était pas la première chasse qu’il faisait, mais jamais il n’y avait mis autant de sentiments. C’était plus qu’une traque ordinaire, c’était devenu personnel. Il jouait son avenir, peut être sa future destinée. Certains roturiers avaient eu l’honneur de se voir proposer un poste de Chasseur après un exploit. Le jeune homme était persuadé que l’Ordre tirerait un trait sur ses erreurs passées s’il parvenait à purger ce couple démoniaque. Il vengerait également la mort de son ami : Frantz, qu’on avait laissé pourrir dans un fossé sans la moindre sépulture décente. Il se remémora l’état déplorable dans lequel il retrouva son corps, distillant un peu plus le poison haineux qui coulait déjà dans ses veines. Dans sa folie vengeresse, il avait maintes fois imaginé un combat loyal et épique contre les deux monstres. Il avait tout ressenti : la douleur musculaire qui le gagnait à mesure que le duel avançait, le son de sa respiration saccadée, mais maîtrisée qui rythmait chacun de ses mouvements, l’odeur musquée de sa transpiration, le goût du sang qui investirait irrémédiablement sa bouche à chacune des blessures qu’il subirait et finalement la vue de ces cendres, s’éparpillant dans l’immensité de la plaine emportée par le vent qui se lèverait brusquement à l’instant du coup fatal. Armand savait qu’il fantasmait. Il serait stupide et suicidaire d’affronter ces deux démons ainsi. Il fallait imiter leur perfidie. C’était le seul moyen de les vaincre, attendre patiemment le moment précis où l’albinos pourrait fondre brutalement sur l’un des deux vampires comme le faisait un prédateur.

Un prédateur, c’est ce qu’il était en cet instant. Tapi dans l’ombre d’une maison en ruines, il épiait son appât, attentif à chaque détail qui pourrait l’avertir de l’arrivée du couple diabolique. Il avait tout planifié : son fusil était déjà chargé afin de pouvoir tirer sans faire le moindre bruit en amont de la funeste détonation. Sa respiration était lente, maîtrisée, presque imperceptible. Son regard embrassait la place du village abandonné où déambulait Angelina. Son cœur battait la chamade dans un mélange de peur, d’excitation et de jubilation. Un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’il vit la jeune femme tressaillir et se retourner brusquement vers un fourré. Les voilà ! Armand capta de nombreux mouvements tout autour de l’appât. C’était presque fascinant de découvrir cette méthode de chasse, tant de fois détaillée dans ses livres, en vrai. Le but était de provoquer la panique de la future victime.

La vampire apparut, soudain, comme une reine juste en face d’Angelina. Cette dernière fut pétrifiée de terreur, incapable de bouger ou de crier face à cette menace. Androméda lui parla alors d’une voix douce, calme et envoûtante, focalisant toute l’attention de la proie sur elle tandis que son compagnon se glissait silencieusement dans le dos d’Angelina. L’attaque était imminente. Armand pointa le canon de son fusil vers Orion, il s’apprêtait à caresser la détente pour envoyer ce monstre en enfer lorsque sa main fut retenue. Le regard fascinant du vampire venait de se poser sur lui. Armand reçut comme une décharge électrique dans tout le corps. Sa détermination s’en trouva brisée et il fallut que sa proie reporte son attention sur sa compagne pour que l’albinos revienne à la réalité. Sa main tremblait à présent, son cœur bondissait dans sa poitrine comme un cheval ruant de fureur et sa respiration ne voulait plus s’apaiser. Ces monstres étaient bien plus perfides qu’il ne se l’était imaginé. Il pensait contrôler une situation où il n’était qu’un pion. Il comprit à cet instant qu’Orion pouvait éviter sa balle au moment même où il tirait. Il n’était pas le chasseur dans cette histoire, mais rien qu’un gibier de plus, leur seconde victime. Il vit son cadavre pourrir au soleil, dévoré par la vermine. Personne ne viendrait lui offrir un digne repos. Ce qu’il avait été stupide de se croire supérieur à ces déviants, de penser qu’il pouvait avoir la moindre chance de pouvoir en abattre un ! Sa gorge se noua tandis que ses yeux s’emplissaient de larmes. C’était un mélange de rage, de culpabilité et de frustration qui dicta ses gestes. Il poussa un hurlement de fureur et pressa la détente.

***

Tout se passa alors au ralenti, Orion se déporta pour éviter le projectile. Il est vrai qu’un chasseur aurait tiré sur la menace sans se poser de question. S’il n’avait pas croisé le regard du vampire, c’est sans doute ce qu’Armand aurait fait. Sa main avait agi à l’instinct, déviant à la dernière minute la trajectoire de son tir. La balle consacrée fusa dans les airs et vint s’écraser contre le buste d’Androméda. Une fleur pourpre se dessina sur sa robe sombre puis la plaie bouillonna tandis que l’eau bénite enchâssée dans le projectile se libérait dans le corps impie. La vampire n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait. Elle regarda ses mains maculées de son sang s’effriter doucement. Orion bouscula Angelina pour recueillir sa compagne dans ses bras, mais tout ce que ses doigts purent saisir ne fut que des cendres.

Armand sortit de sa cachette. Si son masque n’avait pas dissimulé son visage, on aurait pu voir le sourire triomphant accroché à ses lèvres. Il jubilait, savourant sa vengeance. Enfin, ce monstre découvrait ce que le chasseur avait pu éprouver lorsqu’il apprit la mort de son ami. Il s’avança, la gueule de son fusil pointée sur l’autre vampire. Sa raison vacilla un instant, il n’eut qu’une envie : contempler le regard attristé du déviant avant de le purger, ressentir sa peur juste avant qu’il ne tire. Imaginer sa proie le supplier pour sa vie avait quelque chose de quasi orgasmique. Il se reput de ce sentiment de domination totale. Cependant, au lieu de lever un visage implorant vers son bourreau, celui d’Orion transpirait de gratitude, comme si le geste du chasseur venait de le libérer d’un lourd fardeau. Angelina intervint brusquement pour forcer Armand à baisser son fusil. C’était inutile, car l’albinos n’aurait jamais eu le courage de presser la détente, trop hypnotisé par l’intensité de ce regard vert qui le remerciait silencieusement.

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