4.    Une cité extraordinaire

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Armand paniqua soudain, mais tenta au mieux de masquer l’angoisse qui lui tiraillait le ventre. L’inconnu ne semblait pas hostile, mais les bruits qu’il captait laissaient présager qu’ils étaient encerclés. Pire que ça, le chasseur continuait sa sieste méritée comme si rien ne pouvait le réveiller. Gardant le canon de son arme pointée sur la menace, Armand analysa la situation. L’homme s’avançait vers eux d’un pas lent et calculé, ses sbires devaient attendre un moment précis pour attaquer. L’albinos arma le chien du fusil et annonça :

  • Arrête-toi là ou je tire.

Celui qu’il menaçait partit alors dans un petit rire qui lui rappela celui du lycan qui avait attaqué l’orphelinat. La voix du chasseur retentit soudain derrière Armand :

  • Ne le sous-estime pas, Klaus, il est redoutable.

L’inconnu stoppa sa course en hésitant :

  • Ce n’est qu’un gamin, argumenta-t-il.
  • Un gamin qui a explosé la tête d’Heinrich avec sa propre arme, déclara le chasseur.

Il se leva d’un bond et tira au clair l’épée qui trainait au sol en ajoutant :

  • … et qui n’est pas seul.

Armand ne put s’empêcher de couler un regard vers celui qui venait de parler. En un éclair, le dormeur s’était transformé en chasseur tel que l’adolescent se l’imaginait. L’albinos comprit alors qu’il l’avait sciemment mis à l’épreuve. Avait-il réussi ? Ce n’était pas vraiment le moment de se poser ce genre de question. Klaus leva les mains en signe de reddition :

  • Eh ! On ne veut pas de problème avec l’Ordre, mais tu n’es pas chez toi ici.
  • J’ai des courses à faire, déclara simplement le chasseur. Je ne serai pas long et promis, je ne tuerai personne.

Klaus poussa un soupir tandis que Kerban enjoignait à Armand de baisser son arme.

  • Vous ne serez jamais les bienvenus à la Cour des Miracles, déclara-t-il amèrement. Mais suivez-moi quand même.

***

Armand fut rapidement entrainé dans un lieu qui poussa son émerveillement à son paroxysme. La Cour des Miracles était une ville, dissimulée dans une immense caverne. L’entrée était scrupuleusement gardée par de gigantesques statues de pierre et Kerban lui indiqua qu’elles pouvaient s’animer à la moindre menace. Les règles de la cité étaient strictes, aucune arme n’était acceptée. Le chasseur laissa donc ses effets à un drôle de type qui tenait un comptoir derrière lequel trônait un véritable arsenal. Ils purent alors pénétrer dans les lieux et Armand ne cacha pas son ébahissement devant la magnificence de la ville. Les maisons étaient enchevêtrées les unes aux autres, offrant un dédale de ruelles. Un immense lac bordait un temple impressionnant, mais le plus poétique dans ce décor était sans conteste le plafond, illuminé par des morceaux de roche réfractant la moindre source de lumière, plongeant la localité dans une perpétuelle nuit étoilée. L’albinos se perdit un long moment dans la contemplation des lieux avant de se rendre compte que Kerban avait poursuivi sa route, s’enfonçant dans les entrailles de la cité sans se soucier du jeune homme. Il fut obligé de bousculer quelques passants et de courir pour rattraper le chasseur. Ce dernier paraissait tendu, décochant des regards hostiles à toute personne l’observant avec insistance. Armand quant à lui ne cessait de s’extasier devant tout ce qu’il croisait : il y avait un monde hétéroclite qui déambulait dans les rues, certains étaient, visiblement, moins humains que d’autres et pour la première fois de sa vie, l’orphelin eut l’impression de se fondre dans le décor. C’était un sentiment des plus déroutants. Ils débouchèrent sur une immense place remplie de camelots. Des centaines d’échoppes vendaient des produits plus ou moins autorisés quoique le garçon ne pût identifier la totalité des marchandises sur les présentoirs. Perdu dans sa contemplation, il sursauta lorsqu'il se rendit compte que le chasseur s’était noyé dans la foule. Il batailla pour le rattraper quand quelqu’un le saisit par la main.

  • Mon doux prince, susurra la jeune femme qui le retenait, je suis certaine que vous avez une faim de loup.

Elle exposa son cou en demandant :

  • Faites-moi l’honneur de vous servir de repas, je vous en prie.

Armand, totalement pris au dépourvu, ne trouva pas quoi répondre. Il vit alors surgir Kerban comme un sauveur. Dévoilant subrepticement son uniforme, il déclara :

  • Il est avec moi.

Il n’en fallut pas plus pour que la fille s’évapore sans demander son reste. Le chasseur le rabroua alors :

  • Ne t’éloigne plus.

Il reprit alors sa route, entrainant dans son sillage le garçon qui demanda :

  • Elle voulait quoi cette jeune femme ?
  • C’est une adepte, déclara Kerban. Elle t’a pris pour un vampire. Elle souhaitait juste que tu la saignes à mort.
  • Mais c’est interdit ! répliqua l’albinos.

Le chasseur poussa un soupir d’exaspération puis déclara :

  • N’as-tu pas encore compris que tout ce qui est prohibé à la surface ne l’est pas ici ?

***

Armand ne s’était pas attendu à être submergé si rapidement par la fatigue. À peine furent-ils installés dans une petite chambre d'auberge qu’il sombra dans un sommeil profond. Il dormit quelques heures avant que les cauchemars ne l’assaillent à nouveau. Il se redressa, en sueur, le souffle haletant et mit une longue minute à calmer son cœur qui battait à cent à l’heure. Ce ne fut qu’une fois apaisé qu’il constata que le chasseur l’observait silencieusement.

  • Ils ont l’air moches ces rêves, mon enfant, déclara-t-il d’une voix chaleureuse. Tu me racontes ?

Armand fut immédiatement sur la défensive, il ne narrait déjà pas ses songes à Agathe, ce n’était pas pour le faire à un inconnu. Devant sa méfiance, Kerban argumenta :

  • Il faut que je sache si le problème vient de ton combat avec le lycan ou d’autre chose. Il n’y a personne d’autre que moi pour t’écouter et ça ne sortira pas de cette chambre. Tu peux me faire confiance.

L’albinos fit non de la tête :

  • Vous me demandez de ne pas douter de votre sincérité alors que vous ne m'avez toujours pas donné votre nom.

Kerban ne put retenir un petit rire :

  • À quoi bon, tu l’as déjà découvert par toi-même.

Une faible lueur emplit soudain la pièce alors que l’homme allumait doucement la lampe à son chevet. Il avait le visage étrangement grave à cette heure avancée de la nuit :

  • Écoute mon garçon, déclara-t-il, je te teste depuis que l’on a quitté l’orphelinat et j’avoue que ta faculté d’adaptation est au-delà de mes espérances. Tu as en toi des qualités innées que peu de chasseurs, même les plus confirmés, n’ont pas encore assimilées. Il y a juste deux détails qui m’ennuient : ces horribles cauchemars sont l’un d’entre eux. Je dois savoir si tu peux passer au-dessus de ça ou si tu seras hanté par chaque créature que tu tueras.

Armand continua à hésiter, mais le dernier argument de Kerban fut imparable :

  • Les sœurs m’ont raconté ce qu’il s’est passé avec ton ami. Le fait que vous ayez été surpris à expérimenter de nouvelles choses et ton dévouement à accepter la punition à sa place. L’une d’entre elles m’a confirmé que ce n’était pas un accident et qu’il se reproduirait très certainement. Est-ce que je suis dans le faux quand je pense que tes rêves ont un lien avec ça ? Et que c’est la raison pour laquelle tu ne veux pas en parler ?

Armand se sentit clairement acculé par les paroles du chasseur, il resta encore silencieux un moment puis avoua dans un soupir :

  • Mes cauchemars sont toujours identiques : je suis avec Amaury… Je…

Il commença à balbutier des mots jusqu’à ce que Kerban le coupe :

  • Tu l’embrasses ? N’aie pas honte de le dire, je ne suis pas là pour te juger.

L’albinos acquiesça silencieusement et reprit son récit :

  • … mais quand je me recule pour le regarder, c’est toujours la même chose. Je vois son visage déformé par la douleur et tout le reste de son corps n’est qu’une bouillie informe. Je… j’aurais dû le savoir, qu’il était vain de le cacher. Il aurait dû fuir avec moi, peut-être serait-il encore en vie.
  • Mon garçon, déclara Kerban avec bienveillance, tu ne pouvais pas le deviner…
  • Au contraire, se vilipenda l’albinos. Les lycans ont un odorat surdéveloppé. Dans la précipitation du moment, j’ai juste oublié ce détail et il est mort à cause de ça.

Armand ferma les yeux pour refouler ses larmes. Kerban lui posa paternellement une main sur l’épaule :

  • En tant que chasseur, on a tous perdu quelqu’un auquel on tenait. Je connaissais le loup-garou que tu as vaincu et moi aussi je continue à me dire que les choses auraient été différentes si j’avais eu une autre réaction, mais c’est ainsi, on ne refera pas le passé, il faut apprendre à vivre avec.

Un silence s’installa dans la chambre, il dura de longues minutes avant que Kerban ne le brise :

  • Mon garçon, je dois te poser une question. Si on avait dépêché un autre membre suite au courrier de l’orphelinat, il t’aurait clairement fait comprendre que la voie que tu souhaitais emprunter ne t’accepterait pas. As-tu remarqué comment l’adepte a réagi en te voyant ? Tu as le cœur du chasseur, mais le visage du déviant, tu auras beaucoup de mal à te forger une place dans la confrérie. Je suis convaincu que tu feras un excellent élément, mais pour ce faire, je vais devoir user de toute ma diplomatie pour que tu intègres l’académie. J’ai besoin de savoir si tu baisseras les bras devant l’adversité. Ça ne sera pas simple pour toi, ça sera même bien plus difficile que pour n’importe quelle autre recrue. À quel point veux-tu rejoindre l’Ordre ?

Armand se leva fièrement de son lit et se mit à déclamer des mots en latin. Le visage de Kerban se décomposa, c’était la première fois de sa vie qu’il entendait le serment des chasseurs récité par cœur par quelqu’un qui ne faisait pas encore partie de la confrérie. C’était incroyable, même les novices en passe d’être intronisés peinaient à énoncer ces vers et l’albinos le faisait sans hésiter… pire, comme s’il les comprenait. Quand il eut terminé, Kerban ne put retenir un sourire paternel :

  • Je suis rassuré, mon garçon, avoua-t-il. Laisse-moi faire de toi une légende.

***

Kerban et Armand quittèrent l’auberge à l’aube, si tant est qu’elle existât dans cette cité éternellement plongée dans le noir. Quelques échoppes ouvraient, d’autres fermaient, comme si ce monde avait deux vies différentes. Ils croisèrent moins de personnes qu’à leur arrivée, mais les rues étaient tout de même bien animées. L’albinos devait batailler pour suivre la cadence effrénée du chasseur à travers la foule aussi, quand ce dernier s’arrêta brusquement, trop focalisé sur ce qui l’entourait, il manqua de le télescoper. Ils se tenaient devant l’entrée d’une forge. Il s’apprêtait à y pénétrer lorsqu’un jeune garçon d’à-peu-près le même âge qu’Armand en sortit. C’était un gringalet avec des cheveux roux qui partaient dans tous les sens. Son sourire fondit comme neige au soleil dès qu’il vit ce curieux client et il héla quelqu’un :

  • Papa, il y a un de ces connards de corbeaux dehors. Il semble avoir besoin de tes services. J’ai le droit de le virer ?

Un homme immense et tout en muscles apparut alors. C’était l’exacte copie du garçon, mais avec quelques centimètres de plus, tant en hauteur qu’en taille de biceps. Ce nouveau venu devait être le forgeron, car il arborait un long tablier de travail. Il éclata d’un rire sonore qui ressemblait à un roulement de tonnerre quand il reconnut Kerban.

  • Mon vieil ami, déclara l’artisan d’une voix profonde et gutturale. Que puis-je faire pour toi ?

Le chasseur prit Armand par les épaules et le plaça juste devant lui :

  • Je vais avoir besoin de tes compétences pour une nouvelle recrue.

Le forgeron fit la moue.

  • Juste une épée ? s’interrogea-t-il. Tu es vraiment sûr ?

Devant le silence de Kerban, le colosse partit dans un rire amusé, il héla subitement son fils :

  • Amyn, on va avoir besoin de Callista.

Et il se fendit d’un sourire qui ne présageait rien de bon.

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