23. La Fin

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Ainsi donc, c’est à ça que ressemblerait la fin.

Armand n’avait encore jamais songé à la mort avant aujourd’hui. Que deviendrait le monde lorsqu’il ne sera plus ? Ce qu’il était arrogant de penser qu’il changerait. Son cadavre pourrirait dans une fosse commune où serait brûlé avec les déviants, il n’y avait pas d’autre issue à cette journée. Malgré l’inéluctable mort qui ne cessait de le caresser comme brûlante de désir, l’albinos ne faiblissait pas. Sa lame taillait impitoyablement dans les novices qui se pressaient à son contact, blessant et ôtant des vies sans aucun remords. L’heure n’était pas aux pensées, il fallait tenir la ligne, permettre aux déviants de fuir. Il avait délaissé depuis déjà un long moment son fusil déchargé, il n’aurait jamais le temps de repousser l’ennemi assez longtemps pour y insérer de nouvelles balles. Sa main, poisseuse de sang, restait fermement scotchée à la garde de son épée. Sa jambe le faisait souffrir atrocement. Un projectile s’y était férocement ancré et le fait qu’il soit encore debout relevait du miracle. Armand déployait une force et une persévérance que lui-même ignorait. Rien ne le troublait, ni ses blessures, ni la pluie qui ruisselait sur son visage, ni les enfants, nourrissant le même rêve que celui qui l’animait auparavant, qui défilaient comme de vulgaires pantins, disparaissant aussi rapidement qu’apparus. L’esprit de l’albinos avait totalement déshumanisé ses opposants, craignant de perdre la raison lorsque cette dernière assimilera qu’il tuait ses frères.

Armand marqua brutalement un funeste temps d’arrêt. Son regard venait de croiser un visage connu. Klaus, l’homme qui l’avait aidé, hébergé, le dévisageait. Il y avait un profond questionnement dans ses yeux. Il ne comprenait visiblement pas la trahison de celui qu’il considérait comme son fils. La réalité de la bataille reprit immédiatement le dessus sur cet instant fugace lorsqu’une lame mordit férocement le flanc de l’albinos. Il hurla de douleur et frappa à l’aveugle tout ce qui se trouvait devant lui. Il perdait pied, c’était la fin. Sa vision se brouillait et tout ce qu’il se rappela de ces quelques secondes avant de sombrer dans le néant furent une main glaciale posée sur son épaule, une voix suave et chaleureuse qui l’entrainait en arrière et un torrent de flamme qui s’abattit sur ses ennemis.

***

L’enfer, c’est dans ce lieu qu’Armand reprit conscience. Ses yeux refusèrent de s’ouvrir pour contempler le monde dans lequel il venait de s’éveiller. Il le savait. Il était mort. Un mélange atroce de feu, de sang et de corps brûlé empuantissait l’atmosphère. Il sentit soudain des mains froides le maintenir fermement au sol. Les tourments allaient commencer pour ne jamais prendre fin. Il subirait, dans le Royaume d’Alyth, une agonie éternelle. Des doigts glacés soulevèrent délicatement sa chemise. Un frisson lui parcourut l’échine. Il y avait quelque chose de presque sensuel dans ce geste. Un liquide coula sur son flanc à l’endroit même où il avait reçu le coup fatal. D’abord frais et soulageant, il se métamorphosa brutalement en une torture qui arracha à Armand un rugissement de douleur. Tandis qu’il hurlait à pleins poumons, les mains des morts le maintenaient fermement au sol et quelques-unes se placèrent sur sa bouche pour étouffer ses cris. Il tenta de se débattre pour échapper à ce supplice jusqu’à ce qu’il reçoive un coup violent sur la tempe qui le fit de nouveau plonger dans les ténèbres.

***

  • Arrête de trainer ce chien comme un poids mort ! Saigne-le une bonne fois pour toutes. Il nous fait perdre du temps et nous met inutilement en danger.

Armand ne connaissait pas cette voix, mais elle paraissait irritée contre quelque chose… ou peut être quelqu’un. Un timbre plus familier lui répondit :

  • Sans le courage de cet homme, tu serais un tas de cendres éparpillé aux quatre vents.

L’albinos ne s’expliquait pas ce que faisait Orion dans le Royaume d’Alyth, mais il semblait vouloir le protéger. La gratitude qu’il ressentait dans les paroles du vampire emballa son cœur.

  • Arrêtez vos enfantillages ! tonna une troisième personne. J’essaie de me concentrer.

Ces échanges étaient si singuliers au milieu des enfers qu’Armand ouvrit les yeux par curiosité. La clarté du soleil l’agressa littéralement et, grognant de mécontentement, il roula sur le côté à la recherche d’une obscurité salvatrice. Il devient brusquement le centre d’intérêt d’Orion ; il s’approcha délicatement de lui pour le calmer et regarder l’état de ses blessures.

L’image infernale qui grignotait le cœur de l’albinos vola en éclats. Il était au paradis. L’inquiétude du vampire n’était pas feinte et une douce chaleur galvanisa Armand lorsqu’il posa les mains sur lui pour l’examiner. Il savoura ce court instant avant de s’intéresser au lieu où il se trouvait.

Un petit groupe de survivants avait trouvé refuge dans une caverne. Le soleil les empêchait de continuer leur progression. Le plus âgé était plongé dans une sorte de transe, probablement faisait-il appel à une magie vampirique afin d’occulter les rayons destructeurs. Un autre, plus jeune, jaugeait Armand comme un prédateur sa proie. Angelina était également présente, mais au fond de la caverne, elle semblait complètement effacée, presque inexistante.

Orion complétait le groupe, aussi sensuel que ténébreux, l’albinos brûlait de faire sauter les derniers verrous de sa raison et de fondre sur ses lèvres. Une seule chose retint cette folie : l’avenir. Il était déchu, blessé. Il n’avait nulle part où aller. Il n’était qu’un fantôme dans une société qui l’avait toujours rejeté. Orion était l’unique bouée qui lui restait. Il ne pouvait lui avouer ses sentiments. Qu’adviendrait-il de lui si le vampire, dégoûté par sa monstruosité, le repoussait ? Certes, il y avait eu cet événement aux Havres Gris, mais plus il prenait du recul sur ce moment et plus l’évidence lui sautait aux yeux. Ça n’avait été qu’un stratagème pour le troubler, un moyen de montrer au chasseur que même acculé, il restait un puissant prédateur. Une curieuse pensée lui traversa l’esprit, il se vit soudain comme un adepte : ces créatures plus vraiment humaines qui vivent aux crochets des vampires dans le seul but de leur servir de réserve de sang. Et si c’était ça la vie à laquelle il aspirerait en suivant cette voie ?

La voix d’Orion le tira de sa rêverie :

  • Qu’en penses-tu ?

Armand fut brutalement ramené à la réalité. Trop enfermé dans son esprit, il n’avait pas entendu la proposition du vampire. Les yeux d’Orion cherchaient les siens, il redoutait visiblement un refus. Le cœur de l’albinos était étrangement calme. Il embrassa l’idée de devenir adepte, offrant à la créature ce qu’elle désirait en espérant pouvoir en échange assouvir de ses pulsions. Il plongea dans l’inconnu en scellant son destin par un simple :

  • J’accepte.

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