10.    Mentorat

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Armand faisait ses bagages à la hâte. Wilhem avait été intransigeant, le jeune homme devait le rejoindre dans dix minutes à l’extérieur de la cité, faute de quoi le chasseur s’en irait sans l’attendre. L’idée de trainer effleura l’esprit de l’albinos. Après tout, Frantz était en pleine discussion avec Helset lorsqu’il avait quitté le réfectoire et il ne voulait pas disparaître sans lui dire adieu. Mais ce n’était pas envisageable. L’Ordre n’était pas connu pour son indulgence et il partait déjà du mauvais pied avec son mentor. Si Wilhem décidait unilatéralement que sa recrue ne faisait pas l’affaire, Armand deviendrait Novice à jamais. Il errerait comme un paria, espérant ne pas rencontrer de déviant qu’il ne sache pas purger. Cette pensée lui arracha un frisson, il devait se battre pour que cela n’arrive jamais. Quitte à se renier lui-même. Le cœur lourd, il consentit à partir sans prendre le temps de saluer une dernière fois Frantz. Il s’apprêtait à franchir la porte de leur chambre lorsqu’il se ravisa. Il rédigea alors une longue lettre dans laquelle il expliquait à son colocataire que leur chemin devait se séparer ici. Il lui fut bien difficile de trouver les mots justes pour exprimer son attachement au jeune homme sans lui dévoiler son terrible secret. Et puis, après tout, l’ambiguïté était déjà couchée sur le papier ! Il retira la chaine qui ornait son cou depuis sa naissance et déposa le talisman protecteur sur la table. Les Romanis avaient pour habitude d’offrir ce présent à ceux qu’ils aimaient et souhaitaient de tout cœur protéger. Il écrasa une larme qui pointait au bord de ses yeux et quitta la pièce sans un regard derrière lui. Son futur se dessinait devant lui et il ne devait pas manquer cette chance. Un profond soulagement l’envahit lorsqu’il vit que Willem patientait à la porte de la cité. La première phrase de son mentor lui fit l’effet d’une douche froide tant elle suintait le mépris :

  • Tu es en retard.
  • Je ne dois pas l’être tant que ça, puisque vous avez pris soin de m’attendre, ne put s’empêcher de rétorquer l’adolescent.

Il regretta immédiatement ses paroles lorsque le chasseur s’empourpra. Il saisit l’albinos par le col et le plaqua violemment contre le mur de la cité.

  • Règle numéro un, siffla-t-il, on ne me manque jamais de respect. Fanfaronne encore une seule fois comme tu viens de le faire et je t’éclate littéralement. C’est clair ?

Armand se força à ne pas lui tenir tête, il baissa les yeux en déclarant d’un ton des plus déférents :

  • Oui, Monsieur.
  • Oui, Maître, reprit Wilhem.

Le jeune homme sentit la nausée l’envahir lorsqu’il répéta la phrase de son mentor. Il prit alors conscience de l’horrible réalité : ce type allait le mettre au supplice avant de l’abandonner. Jamais il ne deviendrait chasseur.

***

Armand ne s’était pas trompé, la formation avec Wilhem était un calvaire. Le mentor ne cessait de le briser, le réprimer, le blâmer. Les semaines devinrent des mois de souffrance et l’esprit du jeune homme s’en trouva métamorphosé, lavé par les enseignements de ce type xénophobe, misogyne et violent. L’albinos n’avait déjà que peu d’attirance pour les femmes, il fut peu à peu contraint à les considérer comme des êtres faibles et stupides. Quant aux déviants, aucun ne devrait exister. Il apprit cependant de merveilleuses techniques de combat et des méthodes de purge proche du sadisme. Au début, il s’était révolté face à une telle cruauté, mais quelque chose s’était brisé en lui au fil des meurtres et à présent, la vue du sang le faisait sourire et les suppliques des condamnés sonnaient à ses oreilles comme une douce musique. Il ne s’était pas rendu compte qu’alors qu’il embrassait les concepts de son mentor, ce dernier devenait moins agressif, moins cassant. Il lui arrivait même de le féliciter lorsqu’Armand se montrait particulièrement sanguinaire et il avait totalement balayé son envie de découvrir ce qu’il y avait sous le masque.

Cette énigme taraudait visiblement Wilhem, il avait exigé au départ que l’albinos le retire, mais Armand s’était fougueusement défendu. Ils faillirent se battre ce jour-là. L’adolescent ne sut jamais ce qui désamorça la situation explosive. Il continuait à mentir, prétextant que son visage avait été atrocement brûlé lors d’un incendie. Son mentor sembla le croire, du moins, un certain temps. Depuis une visite sur les terres de l’Ordre, Wilhem n’aborda plus jamais le sujet du masque. Le Conseil avait dû lui dire, Armand ne voyait aucune autre explication.

***

Armand ne s’était pas attendu à ce que sa vie de Novice se résume à la même chose : voyager à travers le pays, s’arrêter dans un village, purger le monstre qui y habitait et repartir en héros. Wilhem l’agrémentait d’entrainements douloureux et de visites de maisons closes, mais l’albinos parvenait à chaque fois à se sortir de ce mauvais pas en se montrant plus rusé et ingénieux que son mentor. La neige recouvrit bientôt le royaume d’une belle couche immaculée qui transforma les marais boueux et les hameaux pauvres en paysages féériques. Ce matin-là, Armand sentit son cœur s’emporter lorsqu’il découvrit leur destination.

La ville dormait paisiblement à la lueur naissante du soleil, ses cheminées crachant des volutes de fumée qui venait grossir un ciel déjà bas et embrumé. Ce qui marqua le plus l’albinos ne fut, cependant, pas cette image paisible, mais l’immense bâtiment qui surplombait les lieux. Ses murs gris juraient au centre de cette étendue immaculée, mais pour l’adolescent cet édifice signifiait tellement. Il sentit émerger de son cœur des millions de souvenirs ; une violente émotion l’envahir alors qu’il contemplait l’orphelinat dans lequel il avait grandi. La voix désagréable de Wilhem le tira de sa nostalgie :

  • Ce coup-ci, c’est toi qui t’en charges, Gamin, déclara-t-il. Tu es assez grand pour te débrouiller tout seul. Il y a un déviant qui s’amuse à tuer des gens, trouve-le et purge-le. Tu as deux jours.

Il éperonna son destrier afin de le faire avancer, laissant son apprenti gérer la situation. Armand mit une longue minute à réaliser ce qui s’était produit. Wilhem venait de lui donner sa première vraie chasse, en solitaire. Il sentit son cœur s’accélérer lorsque son esprit lui souffla de commencer son investigation par l’orphelinat, mais sa raison reprit le dessus : les sœurs ne l’aideraient pas. Il devait se concentrer sur la populace. À contrecœur, il consentit à s’enfoncer dans la neige, en direction de l’auberge la plus proche.

***

Armand fut envahi par une jubilation presque malsaine lorsqu’il entra théâtralement dans l’auberge, faisant cesser toute discussion. Il prit tout son temps pour parcourir le chemin vers le comptoir, seul le bruit de ses bottes rompait le silence de plomb qui s’était abattu sur les lieux. Tous les yeux le regardaient avec un mélange de méfiance et de fascination. Les chasseurs avaient ce pouvoir d’arrêter les choses par leur simple présence et il se délectait d’être soudainement au centre de toutes les attentions. Il déclara alors d’une voix puissante et posée :

  • Je viens pour votre problème de déviant.

Comme à son habitude dans ce genre de situation, l’assemblée mit une longue minute à réagir. Un homme plus courageux, ou plus fou que les autres, accepta de briser le silence :

  • C’est le ciel qui vous envoie, Monseigneur. Il y a un monstre qui vole nos bébés. Cela fait plusieurs semaines que des gamins de la ville disparaissent sans laisser de trace.

L’intervention de pilier de comptoir délia les langues et Armand écouta attentivement les habitants lui décrire plus ou moins ce qu’ils avaient vu. Comme d’habitude les témoignages divergeaient selon l’individu et le degré d’alcool qu’il avait dans le sang, mais l’albinos n’eut aucun mal à identifier leur problème : une goule. Un être pas tout à fait mort, mais pas vraiment vivant non plus qui quittait sa tombe toutes les nuits en quête de chair fraîche. Le sort des nourrissons était déjà scellé, cependant, un détail taraudait l’apprenti chasseur : ce type de déviant n’existe que s’il est invoqué. Il y avait donc quelque chose de plus dangereux et de plus puissant à purger ici. Il leva la main afin de faire taire le brouhaha qui s’était élevé dans la taverne et demanda :

  • Est-il arrivé un événement qui laisserait à penser que ce village a été maudit ?

Les cris reprirent de plus belle, cependant un mot revenait sans cesse : les Romanis. Ils avaient été chassés il y a quelques semaines et tout portait à croire que l’un d’entre eux avait voulu se venger. Armand essaya de masquer son trouble. Il s’apprêtait à enquêter sur la communauté de ses racines, se plonger dans ce monde qui l’avait vu naître, mais dont il ne connaissait rien. C’était à la fois grisant et terriblement angoissant.

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