4.

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 Les oreilles du garçon sifflèrent. Un bruit aiguë semblant venir de nulle part lui brisait les tympans. Il ne prêta plus attention à rien et repassait le film de sa soirée en boucle à la recherche d'explications et de confirmations.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Comment ça a pu arriver? Je ne suis pas foutu de me souvenir de quoi que ce soit ! Est-ce que c'est moi qui... » Toutes ses pensées se bousculèrent dans son crâne endolori qu'il tenait entre ses mains.

Une main vint secouer son bras, le sortant de sa torpeur un bref moment. Il dévisagea l'homme qu'il n'avait pas vu se lever et se pencher au-dessus de son bureau pour l'atteindre.

-Cédric, vos frères, vous les avez... commença-t-il à dire désolé et compatissant. Voilà pourquoi vous devez rester ici. Vous êtes un Néfastes, vous êtes dangereux, pour vous et pour les autres.

« Néfaste », voilà l'étiquette qui était, depuis l'âge de treize ans, collé sur son front. Un être, « puissant », « dérangé », « malveillant » ayant des pouvoirs. Cette étiquette, Cédric avait l'habitude de la cacher, à la société, à la population... à ses frères. Voyant le visage peiné du plus vieux, le garçon avait à présent confirmation de ce qu'il craignait. Il prit le courage de poser une dernière question, comme s'il mettait en doute les paroles qui venaient d'être prononcées.

-Ce n'est pas moi qui... C'est bien moi qui leur ai fait ça? Demanda-t-il d'une petite voix brisée par les douleurs de sa gorge redevenue sèche.

Duval se redressa. Il se pinça les lèvres et réajusta le col de sa blouse blanche en se raclant la gorge avant de hocher la tête pour toute réponse.

-On a reçu une plainte, d'un de vos voisins. Il aurait entendu des cris venant de chez vous le soir du réveillon. Quand on t'a trouvé, tu étais évanoui dans une marre de sang au bas des escaliers. Nous sommes malheureusement arrivés trop tard... Expliqua le gérant des lieux.

Le jeune Néfaste accusa le coup. Le regard aussi vide qu'au moment où il avait comprit ce qu'il s'était passé. Il refusait d'y croire.

-Non... murmura-t-il en secouant la tête. Vous mentez. Mes frères ne sont pas... je ne les ai pas... bégaya-t-il en cherchant ses mots. Ils m'attendent. Ils vont bien. Je dois sortit d'ici, je dois les retrouver et les rejoindre.

Il se leva avec difficulté de sa chaise et il la renversa.

-Cédric, assis-toi mon garçon. Je sais que c'est dur mais il faut que tu te calme, reprit le directeur d'une voix inquiète.

Le jeunot tituba. Son corps ne supportait plus tous ces maux, toutes ces vagues d'émotions fortes qui l'affaiblissaient un peu plus à chaque instant. La pièce autour de lui virevoltait.

-Je dois les retrouver... chuchota-t-il en prenant appui sur le bureau.

L'homme s'approcha de lui, le retenant ainsi par le bras.

-Ça suffit maintenant, je t'ai demandé de t'asseoir. Lança-t-il plus violemment. Tes frères sont morts !

Le comportement du superviseur avait changé du tout au tout. Il n'avait maintenant plus l'air aussi paternel. Cédric eut la force de se dégager de sa prise, et le poussa contre son bureau. Le verre, qui y était posé explosa instantanément au contact du sol, y répandant bruyamment de milliers de fins éclats tranchants.

-Vous mentez ! Hurla Cédric au dessus de vacarme qu'il avait engendré. Ils m'attendent, je veux sortir d'ici tout de suite !

Toute sérénité avait à présent quitté Duval qui affichait une mine préoccupée.

-Ramenez-moi chez moi !

Les cris du garçon alertèrent les infirmiers qui, sans invitation, firent irruption dans la pièce, le contenant une nouvelle fois.

-Lâchez-moi merde ! Alex ! Julien ! Hurla-t-il, profitant que la porte soit ouverte dans l'espoir que ses frères se montrent en parfaite santé.

Le chaos régnait dans le bureau du directeur. Cédric s'époumonait et se débattait comme il le pouvait malgré son état. Le Docteur Moreau fit son apparition, un boîtier à la main, elle s'apprêta à appuyer sur le petit bouton au centre de celui-ci.

-Non ! L'empêcha le Directeur.

Elle obéit et jeta le boîtier sur le divan au fond de la salle. De son autre main, elle tenait une seringue qu'elle s'empressa de planter dans le bras du garçon affolé et retenu tant bien que mal. Une fois le produit injecté en lui, Cédric sentit son corps l'abandonner. Il n'avait plus la force de rien. Ses yeux luttèrent pour ne pas se fermer et sa rage le quitta peu à peu. Plongé soudainement dans le noir, la confusion environnante s'estompa au fur et à mesure qu'il perdait connaissance. Très vite, il ne ressentit et n'entendit plus rien.

Il fallu une force herculéenne à ses paupières pour s'ouvrir. Les pupilles brûlantes, Cédric émergea de son sommeil en espérant avoir fait un simple, mais affreux, cauchemar. Malheureusement pour lui, les sensations déjà familières que son corps ressentait en cet instant lui indiquaient qu'il n'en était rien. Il s'était réveillé avec les mêmes douleurs et troubles que lorsqu'il était dans cette salle d'opération atypique. Le contenu de cette seringue avait fait son effet, il était assit dans un endroit qu'il ne reconnu pas tout de suite. La seule chose qu'il put immédiatement constatait était l'obscurité de la pièce. Les vitres accrochées au mur ne laissaient plus entrer les vives lumières des journées d'hiver, mais une douce lueur que projetait le clair de lune au-dessus de la forêt froide dont les feuilles mortes étaient devenues rigides.

« Bon sang, combien de temps ai-je dormis ? »

Deux petites lampes murales éclairaient faiblement la pièce. Il était toujours dans le bureau du Directeur, il avait reprit place sur le siège qu'il avait fait tomber quelques heures plus tôt. Cette fois-ci, il y était sanglé, encore. Le calme était revenu dans la pièce sans bruit. En levant la tête, il vit ce cher Duval appuyé contre son bureau, un verre d'eau à la main dans lequel il plaça une paille. Ce dernier le lui tendit pour lui faire boire. Cédric ne voulait pas lui faire le plaisir d'être abreuvé comme une bête, ou comme un enfant que l'on nourrissait, mais la sécheresse de son gosier le força à mettre de coté sa fierté. Il posa ses lèvres contre la paille avant de boire.

-Désolé pour tout ça mon garçon, lança l'homme.

« 'Désolé' ? Désolé de quoi ? De m'avoir drogué plus d'une fois en à peine une journée ? De m'avoir capturé ? Ou de m'avoir annoncé que j'étais le monstre qui avait mit fin à la vie de mes deux pauvres frères, peut-être ? »

-Tu es devenu incontrôlable, on a dû t'attacher. Tu vois, fit-il en déposant le verre que Cédric avait vidé, tu es dangereux, imprévisible, on ne peut pas permettre aux Néfastes de faire comme bon leur semble en dehors de ces murs. Quand on sait que vous pouvez même faire... « du mal » à ceux en qui vous...

Il n'acheva pas sa phrase, quoi qu'il aurait pu dire, elle n'aurait pas été correcte vis-à-vis du jeune homme.

-Les Néfastes sont... reprit-il avant que Cédric ne le coupât.

-Des monstres ! Enchaîna celui-ci la voix pleine de haine à son propre égard.

« Un monstre, voilà ce que je suis vraiment. Une bête à mettre en cage... »

-Vous allez me tuer ? Vous débarrassez de moi ?

-Je te l'ai déjà dit mon garçon, cette institution est un centre d'aide, pas un abattoir. Quand nous t'aurons aidé, tu seras libre de vivre une vie normale.

-M'aider ? Comment ? Et comment voulez-vous que j'aie une vie « normale » après ce que j'ai fait à mes frères, à ma famille. Regardez-moi, je suis sanglé à une putain de chaise, dans un putain de cirque pour bêtes de foire !

-Tu n'es pas la cause de tous tes maux, pas directement. Ce sont tes pouvoirs qui ont fait de toi un être aussi... risqué, dit-il en ayant prit le temps de chercher ce dernier mot. Ici, on te retirera cette partie nuisible, on te rendra une vie saine et paisible.

Aussi saine et paisible que pouvait lui offrir la misérable cinquième Division.

-Vous avez dit « retirer » ? C'est impossible, s'étonna le jeune brun.

-Et bien, ria l'autre, j'imagine que si je t'avais dit, il y a une semaine, qu'on avait le moyen de contenir ton pouvoir, tu m'aurais ri au nez. Pourtant te voilà avec ce bracelet à la cheville. Alors tu peux me croire si je te dit qu'on a le moyen de t'enlever tes pouvoirs, mon grand.

Plus rien ne se fit entendre pendant quelques secondes, les deux hommes se turent, chacun laissant l'autre à ses pensées. Ce fût Cédric qui brisa le silence.

-Et, vous me dîtes qu'après ça, je ne pourrai plus faire de mal à qui que ce soit.

-Bien entendu. Sans tes pouvoirs, plus besoin de te cacher. Imagine-toi, une vie simple, sage, sans mauvaises surprises ou accidents. Tu serais libre d'aimer sans avoir à te dissimuler.

« Aimer », voilà une chose dont s'était privé Cédric: l'amour. Il ne le cherchait pas non plus, ses facultés l'avaient poussé au fil des années à se renfermer sur lui-même. Alexandre et Julien étaient les deux seules personnes avec qui discuter était un plaisir. Autrement, il ne s'attardait pas avec les autres gens, même lorsqu'il travaillait. Il n'adressait que rarement la parole aux autres ouvriers. En dix ans, il s'était créé une bulle dans laquelle seuls ses frères avaient le droit d'entrer. Même après cette annonce, Cédric ne ressentait ni l'envie ni le besoin de se faire approcher pour autant.

« Fini la retenue ? Fini les trous noirs ? Fini les morts ? » Il caressa un moment la douce idée de faire de ses capacités une histoire appartenant au passée. « Une fois venu à bout de cette... malédiction, je pourrai vivre ? Vivre pour moi, pour ma famille. »

Il se posa quelques temps. Était-ce vraiment ce qu'il désirait ? Bien sûr ! Ses pouvoirs n'avaient été source que de problèmes et de malheurs. Il avait enfin l'occasion de pouvoir vraiment être qui il était, sans avoir peur de blesser ou tuer quelqu'un. Il rompu enfin le long silence pesant.

-Très bien, dit-il en regardant le directeur dans le blanc des yeux. Débarrassez-moi de cette merde.

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