1 Goutte de Cendre

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SANS CAS NI BAL

 La route était sinueuse, je ne voulais pas rentrer dans le "Petit Coin de Paradis" affreux que Matthieu avait choisi ; certainement un pressentiment désagréable dû à ma paranoïa ou mon côté "Control Freak". Pourtant, je m'abstenais d'une quelconque réflexion, il n'avait jamais rien organisé de sa vie et m'avait fait la surprise d'un voyage, arrangeant seul notre "Road-Trip" dans les environs de la Lozère, pas loin de Marvejols afin d'être au calme pour sillonner une région qui n'était pas encore contaminée par l'épidémie de grippe. Malgré quelques « Couac » - pas d'hôtels de prévu pour notre arrivée et une dépense salée pour un espace confortable - il avait localisé quelques endroits atypiques chez des hébergeants accueillants.

Tout était parfait jusqu'au dernier arrêt sur notre trajet : un infâme traquenard. Sur le site, le "Petit coin de paradis" présentait une nuit dans une yourte nichée dans une ferme familiale, l'aspect bucolique et inédit avait conquis Matt, lui faisant réserver l'étape sans vérifier les commentaires et la note attribué sur Google. À notre arrivée, nous avons été accueillis pas un colosse en débardeur, short et tong qui annonçait au creux de sa fossette sournoise toute la supercherie de son annonce falsifiée. Il nous montra en premier lieu les toilettes sèches et à ses mots mon sang ne fit qu'un tour. Sur une misérable porte en bois, était inscrit l'ignoble WC. Matt maintenait pourtant un optimisme de façade pour ne pas me faire peur. Le propriétaire nous guida ensuite vers une butte pentue, entouré de clôtures électrifiées afin d'éviter aux chèvres de se disperser plus loin sur la route. Je hurlais intérieurement demandant le divorce à Dieu, giflant Matt dans ma tête. L'ascension avait été laborieuse, je n'avais pas les poumons préparés pour cet exercice. Mais arrivés devant notre "logis" peu commun, nous nous retrouvions face à une répugnante tente quechua, noircie de moisissures. Avant de redescendre, le propriétaire nous donna une lampe torche oubliée par nos prédécesseurs pour nous éclairer la nuit, et précisa qu'il faudrait refermer les câbles qu'il nommait clôture pour ses bêtes. Je devenais folle.

Dès son départ, je m'introduisis sous la toile pouacre pour découvrir un vulgaire lit gonflable avec des draps que je pressentais poisseux. Je voulais jurer, mais le ton enjoué de mon époux borné me dissuada ; je préférais le féliciter pour sa trouvaille et le suppliais d'aller faire un tour dans les environs. Nous avons étiré l'après-midi jusqu'à ce que la nuit encre le paysage d'un noir abyssal. Aucun lampadaire sur la route. Au retour vers notre location, les quelques habitations sans vie plus tôt, empruntaient des allures de films d'horreurs ; des chants et des cris hystériques accueillaient notre passage. Les locaux, comme jetés dehors pour un grand bal effrayant, accoutrés de déguisements grossiers mettaient joyeusement le feu à une poupée de foin érigée sur une roue, qu'ils faisaient tourner.

Matt ne ricanait plus, mais me persuada que cela devait être une coutume d'ici ; une sorte de fête de village. Mais les masques s'avançaient vers nous, condamnant mon mari à ralentir fortement. Je fus presque soulagée de revoir notre ferme... Avant la visualisation des toilettes sèches. Matt fit le grand gaillard, voulant passer le premier avec le misérable luminaire pour sa toilette. Je restais seule avec mes bagages et l'éclairage de mon mobile cherchant un coin où pisser ; plutôt crever que d'entrer là-dedans. Sinistrement, une forme arriva par le chemin ; je distinguais les contours d'une voiture, mais les phares n'étaient pas allumés. L'angoisse m'étrangla, une peur instinctive s'empara de mon corps m'interdisant de bouger lorsque l'auto sombre s'arrêta devant moi. Le conducteur que je ne voyais pas parfaitement, semblait me dévisager. Plus il insistait, plus le blanc de ses yeux perçait le gouffre de son visage, lui conférant une aura fantomatique. Je ne pouvais même pas alerter mon mari. L'inconnu s'en alla au bout d'un temps qui me parut une éternité. Matt n'en menait pas large, il sortit des chiottes si blême, que je le voyais cireux dans la pénombre.

— N'y va pas, c'est le mieux pour toi.

J'ai dû m'accroupir dans un coin encore secouée par l'apparition pour me soulager. Il restait la colline escarpée à ascensionner pour regagner notre suite. Armés de notre lumière de misère, me crispant contre lui, Matt ouvrit l'enclos et la referma avec précaution pour parer au coup de jus. Les chèvres étaient certainement rentrées dans leurs cabanes, aucunes d'entre elles n'étaient visibles, sauf un bouc... Nous avons tous les deux sursautés face à cette créature gigantesque qui nous barrait la route ; au loin, les clameurs du village cessèrent soudainement. Matt était sincèrement apeuré, il avait voulu donner le change depuis notre arrivée, mais les yeux qui nous transperçaient à la lueur vacillante de notre torche avaient entamé son moral. Tout ceci n'avait rien de normal. L'animal semblait nous tenir en otage, il était tellement colossal et spectaculaire que je m'accrochais à Matt enfonçant mes ongles dans sa chair. Lorsqu'il se mit sur ses pattes arrière pour se redresser, je vomis sans retenue, Matt se pissa dessus. Une ombre se détacha de la bête pour s'avancer, j'identifiais les yeux impitoyables de l'homme dans le véhicule inquiétant. Il ressemblait à une caricature de la mort elle-même ; sous sa capuche, le néant et la braise braqués sur nous. Pétrifiés comme deux insectes dans une toile d'araignées, nous réalisons l'abomination qui allait suivre quand il planta son index osseux dans la poitrine de Matt pour fouiller profondément, déclenchant des spasmes affreux, des crachats vermillon ; l'apparition lui ôta son cœur sans trop d'efforts.

— Le bûcher est prêt. Vous restez dîner !

Cédant à la logique , j'ai supplié de toutes mes forces, imaginant Matt embroché : nous étions le festin de leur fête. Je vis sur le fond d'abîme de la créature, un rictus improbable s'ébaucher.

J'ai supplié à en perdre haleine, avant de subir le même sort.

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