Epilogue : La prophétie 

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La vie ordinaire avait repris. Aussi ordinaire que possible. Thomas m’avait permis de retourner à la maison. Je m’étais inquiétée des dangers possibles. Puisque Joseph était toujours dans la nature, il y avait de grandes chances pour qu’Alec décide de me kidnapper de plus belle, dans l’espoir de le faire venir de son propre chef. Une sorte de monnaie d’échange. Je n’avais été que cela à ses yeux.

Mais d’après Thomas, Joseph rassemblait une armée et c’était là ce qui pouvait le plus inquiéter Alec. Jo avait déjà envoyé de braves petits soldats à son oncle, comme Amé et Shoshana, et il ne comptait apparemment pas s’arrêter là.

Nami, héritière de la quatrième lignée, et Salomon, roi de la troisième famille, nos alliés, l’avaient contacté et confirmé cette idée. De nombreux hybrides avaient également trouvé refuge chez eux. Bref, une guerre se préparait, les armées se soulevaient et je devenais la dernière des préoccupations du Président. J’étais donc hors de danger. Pour le moment.

Thomas m’avait ramenée à la maison la veille de la reprise des cours, juste avant le retour de Cathy et de mon père. Mon absence était donc passée inaperçue. Enfin presque. Pas pour Ellie, évidemment.

J’avais pris le téléphone et avait réussi à entrer le numéro. Mais elle ne dédaignait pas répondre. C’était souvent Clarisse, sa mère, qui décrochait. Parfois même c’était Sylvain. Ils prétendaient souvent qu’elle était absente, qu’elle dormait, qu’elle était trop occupée…Depuis quand Elona Tolé était trop occupé pour me parler ? Jamais ! Il était évident qu’ils me mentaient.

Le retour à la maison en avait été que plus compliqué. Exit l’hybride mi hypersensible mi Homo sapiens qui devait retrouver un objet mystérieux pour permettre à un peuple d’échapper à l’exil. J’avais dû redevenir Jessica Lucas, la fille à qui il n’arrivait jamais rien, dans une ville où il n’arrivait jamais rien, amie avec le garçon courageux à l’air béat. Et il s’avérait que ce surplus de banalités fut beaucoup plus difficile à gérer qu’un roi-Président qui me pourchassait.

Trent avait emménagé avec moi. Officiellement, parce que sa maison avait explosé (officiellement toujours : une fuite de gaz ; en réalité : Amélia et Mickaël), et qu’il lui fallait donc un endroit où dormir. Officieusement, pour me protéger. Sa présence me rassurait. Non pas parce que je le pensais capable de lutter conte Amélia ou Holly ou n’importe qui d’autre, mais parce qu’elle était la preuve que tout cela avait été réel.

Comme à mon habitude, je broyais du noir lorsque Trent et moi montions dans le tramway et, comme d’habitude, celui-ci était blindé de gens, tous plus stressés les uns que les autres. J’avais remarqué que l’aura des gens, que je pouvais voir maintenant grâce à mon hypersensibilité qui s’était récemment développée, changeait de couleur en fonction des humeurs. Et le stress était d’un vert très pâle, immonde, qui tirait vers le bleu. Pourtant j’aimais cette couleur avant qu’elle ne s’accompagne d’une boule au ventre.

Nous nous installions face à un vieil homme à l’air absent. Rien n’émanait de lui, aucune émotion, aucune couleur. Comme s’il n’était pas vraiment là, pas vraiment vivant. C’était étrange mais apaisant, si bien que je ne cherchais pas à comprendre et me focalisé sur son cas. Ou plutôt son absence de cas.

Ellie, pimpante dans sa robe violette, s’installa à ses côtés. Bien qu’elle ne m’adresse plus la parole depuis mon retour, me reprochant mon manque de communication, elle acceptait tout de même ma proximité. Cela lui permettait, en fait, de rester proche de Trent qui ne me lâchait plus d’une semelle.

Les deux compagnons commencèrent à discuter des cours de la journée avant de se chamailler pour des futilités et je n’y prêtais pas attention. Il émanait d’eux un amour si tendre et si évident ! Cela réveilla la blessure dans ma poitrine, celle que Joseph avait laissée en disparaissant. J’appuyais ma tête contre la vitre et les vibrations qui me parvenaient chassaient la douleur dans mon crâne ; une autre douleur qui ne me quittait plus depuis ma séquestration.

- Jessy, est-ce que tout va bien ?

J’ouvris les yeux. Le vieil homme était toujours assis en face de moi et il me dévisageait. Je fronçais les sourcils, furieuse de me sentir observée mais lui ne semblait pas me voir.

- Jessy ?

La voix d’Ellie était douce. Cela ne lui ressemblait pas. Je tournai lentement la tête et lui lançai un regard circonspect. Elle avait enfin décidé de m’adresser la parole. La fureur dans ses yeux avait disparu, remplacée par de la crainte. Désabusée par ce changement soudain de comportement, je ne pus répondre. Je hochai brièvement la tête avant de la reposer contre la vitre.

J’allais bien, en effet. Mais j’étais épuisée. Le contact avec le commun des mortels était atrocement douloureux et épuisant. En quelques heures, et sans que je n’en prenne pleinement conscience, j’étais passée par la joie, la compassion, toute une palette de stress, allant de la légère inquiétude à la panique, la colère, la solitude et même de l’amour. Un amour passionnel, dévastateur.

- Tu n’as pas l’air bien, s’inquiéta la jeune fille. Depuis ton retour, tu as l’air…ailleurs. Et Trent ne veut rien dire !

Elle lui adressa un regard noir qu’il feint de ne pas voir.

- Elle est juste fatiguée, répondit-il simplement, lui qui débordait de bonheur de nous voir communiquer de nouveau.

Je ne pouvais pas raconter les faits à Ellie, lui dire tout ce qui s’était passé. Elle ne m’aurait jamais cru. Ellie était la fille la plus terre-à-terre que je connaissais. Pourtant elle n’espérait que cela et je le savais. Je ressentais son désarroi face à mon silence et cela me brisa ce qui me restait de cœur.

- Un des deux seulement pourra être sauvé.

Le vieil homme me fixait avec attention.

- Un des deux seulement pourra être sauvé, répéta-t-il.

- Pardon ?

Il resta silencieux. Son regard sonda mon âme et un frisson remonta le long de mon échine.

- On a rien dit, me répondit la voix de Trent.

Je ne décrochais pas le regard de l’homme en face de moi.

- C’est bientôt l’heure du choix, me murmura-t-il.

- Quel choix ? m’enquis-je.

L’homme ne me répondit pas. Il inclina légèrement la tête sur le côté et son visage se fendit en un sourire.

- Jessy ? m’interpela Ellie.

Je lui fis signe de se taire.

- Quand le guerrier tombera, alors le destin sera scellé, repris le passager. Il devra faire un choix : il en sacrifiera un ou alors pour les deux ce sera la fin.

- Qui devra faire un choix ?

- La dernière Larme.

Mon sang se glaça.

- Les deux quoi ? Qu’est-ce qu’il doit sacrifier ?

- Jessy ? m’appela Trent.

J’agitais la main pour le faire patienter mais il recommença. Je détournais mon regard pour toiser mon ami avec colère.

- Quoi ?

Le ton de ma voix était sec.

- A qui parles-tu ? me demanda Ellie.

- A cet homme ! leur répondis-je déconfite, en le désignant du doigt. A qui voulez-vous que je parle ?

Trent haussa les sourcils de surprise. Et si lui était curieux, Ellie, elle, était apeurée.

- Quel homme ? susurra-t-elle.

Je me détournais pour lui faire face. Je tentais de paraître le plus détendue possible afin de ne pas lui transmettre mon impatiente.

- Cet homme !

Mais l’homme en question avait disparu. Je sondais rapidement la rame qui était quasiment déserte puisque nous arrivions en fin de ligne. Je ne le voyais pas. Je me dressais d’un bon et examinai les deux autres rames, désertes elles aussi. Mes deux amis m’avaient suivie, m’imitant, sans savoir ce qu’ils devaient chercher réellement.

- Il y avait un vieil homme. Il m’a parlé.

Je tentais autant de m’en persuader que de les convaincre.

- Je l’avais déjà croisé…il est peut être descendu ?

- On ne s’est pas arrêté, Jessy, grogna Ellie. Et il n’y avait personne à côté de moi. Le siège était vide depuis la fac.

Elle venait de détruire le peu d’espoir qui me restait de ne pas être folle. Son inquiétude s’était transformée, en apparence tout du moins, en pessimisme. Je m’effondrais dans un siège. Mes yeux fixèrent la vitre dans laquelle je ne descellais que les traits de Joseph.

- Alors ça y est, je perds la tête ?

En guise de réponse, Ellie haussa les épaules et Trent me sourit. Un sourire compatissant.

- Mais non, tenta-t-il de me rassurer. Tu n’es pas folle. Il a plu.

- C’est quoi le rapport ? demanda Ellie.

J’examinais mes affaires et les leurs. Nous étions littéralement détrempés.

- Il ne pleut pas dans le tram.

- Mais la pluie s’insinue partout, me répondit-il.

J’avais compris ce que Trent essayait de me dire. Mais cela ne pouvait être les larmes de Tellusa. Je secouais la tête pour mettre de l’ordre dans mes idées.

- Je l’ai déjà croisé mais je ne le connais pas.

- Mais écoutez-vous tous les deux, râla Ellie. Ce que vous dites n’a aucun sens.

Ni Trent, ni moi ne prêtions attention à elle.

- Peu importe. Elles ne te font pas voir qui tu veux mais qui tu as besoin de voir, reprit le garçon. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Ellie tourna sur elle-même en agitant les mains au ciel.

- Les deux maintenant ! Alléluia !

Je fouillais mes souvenirs pour tenter de comprendre les mots du vieil homme.

- Ça n’avait pas de sens, murmurais-je. Il a parlé d’un choix. Et d’un guerrier qui tombera, je crois.

- Quel choix ?

- Je ne sais pas. Il a dit : il en sacrifiera un, ou alors pour les deux ce sera la fin. Il parlait de la dernière Larme.

Le visage de garçon se durcit. Il en était arrivé à la même conclusion que moi, j’en étais certaine. Dans un silence lourd, le tram se stoppa à notre arrêt. Trent me tira à l’extérieur, notre amie sur les talons. Une fois dehors, Ellie nous observa, déconcertée. Il avait cessé de pleuvoir mais l’air était humide. Je tremblais de toutes parts dans la nuit noire.

- Allez-vous me dire ce qui se passe ou est-ce qu’il faut que j’appelle un psy ? grisa la jeune fille. Quoiqu’à la vue de votre état, un psy, ce ne sera probablement pas suffisant…

Trent la toisa avec colère. C’était la première fois qu’il la défiait ainsi. J’étais surprise et Ellie aussi. Elle souffla, peinée :

- Je croyais que j’étais votre amie.

Sa voix n’était qu’un murmure et j’entendis la supplication muette qu’elle nous adressa mais à laquelle je ne pouvais pas répondre. Ce n’était ni le lieu, ni le moment. Je lui attrapai la main et lui souris pour la rassurer.

Trent étouffa des insultes en regardant le ciel. Puis il plongea son regard brûlant dans le mien.

- Ça ressemble à une prophétie, proposais-je.

Il acquiesça.

- On doit retrouver Joseph, dit-il. Et vite.

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