Chapitre 20(2/2) : l'héritage des Prudes

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Je tournai sur moi-même, cherchant à le débusquer de sa cachette. Évidemment, il était déjà loin. La sensation de sa bouche sur mon front ne me quittait plus, m’emplit d’un sentiment nouveau que je n’identifiais pas encore. Il l’avait fait comme ça, gratuitement, et cela avait bien plus de valeur que ce bijou autour de mon cou.

Sans pouvoir chasser le sourire qui s’était dessiné sur mon visage, je regagnai la Citadelle. Sur le seuil, Shin se tenait droite comme un piquet, le regard véhément. J’eus un hoquet de surprise en l’apercevant fendre les airs comme une fusée. Sans que je ne puisse l’éviter, elle m’agrippa à la gorge et me projeta au sol avec violence. A califourchon sur moi, la haine débordait de ses yeux et lui donnait une force surhumaine. Je me tordis tel un ver de terre pour la faire lâcher prise, sans succès.

- Je ne te laisserai pas le toucher, cracha-t-elle les dents serrées. Sal monstre !

Je lui griffai la main mais son état était tel qu’elle ne ressentait rien. Je tentai d’atteindre son visage. Je me visualisais en train de lui enfoncer les pouces dans chacun de ses globes oculaires, jusqu’à ce qu’elle crie, jusqu’à ce que son sang recouvre mes doigts. Oh oui, je voulais qu’elle souffre. Je voulais la voir plier sous mon joug. A cet instant, je la détestais autant qu’elle me haïssait, bien que je n’eusse aucune autre raison de le faire que celle-ci. Cela ne me ressemblait pas du tout, mais j’étais trop emportée pour pouvoir me raisonner.

Mes bras, cependant, étaient trop courts et je ne pus l’atteindre. Je tâtonnai autour de moi à la recherche d’une prise ou de n’importe quoi qui pourrait la faire lâcher prise, en vain. Je commençai sérieusement à manquer d’air, mais Shin m’étranglai si fort que je ne pouvais crier pour appeler de l’aide.

Ma langue semblait anormalement grosse dans ma gorge et mes forces m’abandonnaient. Je lâchai ses mains et laissai retomber mes bras sur le carrelage froid. Un bourdonnement grandit dans mes oreilles, mon cœur eût quelques ratés et je fus emporté par une plénitude nouvelle. Je ne la détestais plus. Je ne ressentais plus rien.

C’est alors que Shin releva la tête vers l’escalier. Une seconde plus tard, elle décolla et s’écrasa contre la porte massive en bois. Je récupérai mon souffle dans un râle et me relevais en m’appuyant sur mes coudes. Je passais mes doigts sur ma gorge, le tout en toussant pour replacer ma trachée.

Louis se tenait débout, au pied de l’escalier, la main tendue en l’air. Son regard, plus noir que la nuit, fixait Shin. Cette dernière s’était déjà redressée et le défiait.

- Laisse-la tranquille, lui ordonna-t-il d’une voix forte. Ou préfères-tu que je dise à Thomas et à Joseph que tu as failli tuer leur protégée ?

Shin se crispa comme si un courant électrique venait de passer dans son corps. Son visage fermé et agressif quelques secondes plus tôt s’était mué. Je n’y lisais maintenant qu’une peur profonde.

- Je t’en prie, non, le supplia-t-elle.

La main de Louis se détendit mais son regard resta de glace. Il lui fit un signe de tête et la jeune femme disparut à toutes jambes dans les étages supérieurs. Une fois qu’elle fut hors de notre vue, Louis s’approcha de moi, me tendit sa main pour m’aider à me relever et sourit tendrement.

- Est-ce que ça va ? me demanda-t-il.

J’attrapai ses doigts et le laisser me tirer à lui. Il épousseta mes épaules et j’opinais. Je ne pouvais pas encore parler.

- Ne lui en veut pas trop…

Je me redressai dans un geste brusque et fronçai les sourcils. Etait-il sérieux ?

- Elle a tenté de me tuer, lui rappelai-je d’une voix éraillée.

- Elle descend d’une longue lignée de Prudes, m’apprit-il en me frottent le dos, m’obligeant à le suivre vers la cuisine. Pour elle, les hybrides sont de véritables monstruosités. Alors de là à accepter que nous soyons des intimes d’Enfants de Tellusa…

- Nous ? Tu veux dire que tu es un hybride toi aussi ?

Je m’étais stoppée sous le coup de la surprise. Il est vrai que Louis ne possédait pas les yeux verts des Enfants de Tellusa. Mais puisque, justement, il était si proche de Thomas et de Joseph, je ne m’étais jamais dit qu’il pouvait ne pas en être. En voyant ma réaction, il se mit à rire. Un petit rire discret.

- Mon père, Léonhard était l’héritier de la première famille. Je ne suis que le fruit d’une de ses nombreuses aventures de jeunesse.

- D’où…

Je ne continuai pas ma phrase. Mon bras se mouvant dans les airs était suffisamment équivoque.

- Oui. D’où ma capacité pour la télékinésie.

Nous reprenions notre marche dans un nouveau silence. J’en profitai pour essayer de comprendre leur lien de parenté, ce qui n’était pas chose aisée. Dans la salle à manger, tout avait été rangé et nettoyé. Une ombre fluette, qui devait appartenir à un enfant, glissa le long du mur au moment où nous pénétrions dans la pièce, pour disparaître par l’autre porte. Elle me fit penser à un fantôme et j’en frissonnais.

- Cela veut dire que tu es de la même famille que le Président ? demandai-je à Louis alors qu’il me tendait un verre d’eau.

- Ma sœur Elena détestait Nicolas, son frère légitime ; celui avec lequel elle devait s’unir. Elle a donc épousé Marius, seul héritier de la sixième lignée et ils ont eu un fils : Alexander. Le Président est mon neveu.

J’hochai la tête, davantage pour ranger mes idées qu’autre chose, tout en buvant une gorgée. C’était douloureux et cela m’arracha une grimace. Je reposais le verre délicatement, en fixant le sol. Louis s’en saisit et le nettoya aussitôt. Je me focalisais sur le bruit de l’eau qui s’écoulait. C’était familier, c’était rassurant.

- Il y a quelque chose que je ne comprends pas, soufflai-je. Si tu es de sa famille, pourquoi le Président t’a-t-il banni aussi ?

Louis me tendis un sourire par-dessus son épaule :

- A cause des liens qui m’attache à Thomas.

Je compris, au ton qu’il avait employé, qu’il ne voulait pas en parler, si bien que je ne lui demandais pas quels étaient ces liens ; même si cela me démangeait.



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