Chapitre 20 (1/2): l'héritage des Prudes

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A la fin du repas, Thomas et Louis étaient partis ensemble. Joseph s’était proposé de m’accompagner à l’extérieur, histoire de prendre un peu l’air. Je voulais débarrasser et nettoyer mais il m’avait arrêtée en me rappelant qu’il y avait du personnel pour cela. Gênée mais contrainte et forcée, je l’avais suivi dans le jardin.

Le ciel était dégagé et on pouvait voir la voie lactée. Je ne quittais presque jamais la ville alors j’étais ébahie par cette vision, si inhabituelle pour moi. Parfois, je détestais vraiment ça, la ville, ses lumières, sa pollution…

Nous nous étions installés sur un énorme rocher, qui semblait avoir glissé du flanc de la colline pour se poser juste là, au milieu des fleurs de toutes les couleurs. Un courant d’air, glacial, emmenait avec lui l’odeur des sapins alentour, que Joseph huma avec plaisir.

Le garçon avait enfilé un polaire noir trop court mais trop large pour lui, et une énorme écharpe verte, comme celle que je mettais au bonhomme de neige quand j’étais plus petite.

Je l’entendis tousser, puis grogner en se raclant la gorge, avant de tousser de nouveau. Par reflexe je tendis ma main pour mesurer, de façon très approximative, sa température mais une fois que je lui touchais le front il la repoussa avec violence en m’adressant, par la même occasion, un regard assassin. Je soufflais de déception et le dévisageai.

- Chaque lignée a un don qui lui est propre, n’est-ce pas ?

- Hum.

- Celle de ton père, c’est la manipulation des souvenirs. Et celle de Thomas et Naïwenn c’est l’empathie. J’ai lu ça dans les livres.

- Hum.

Je me mordais la lèvre pour trouver le courage de formuler mes idées, tandis qu’il restait obnubilé par le ciel.

- Est-ce que ça fonctionne de la même manière ? Est-ce qu’on manipule les sentiments comme on manipule les souvenirs ?

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Par curiosité, c’est tout.

Il ne semblait pas vouloir coopérer. Alors même si je brûlais de curiosité, je m’abstins tant et mal. Nous étions là, tous les deux, sous le ciel étoilé. C’était plutôt agréable et je ne voulais pas tout gâcher avec des questions qui le dérangeaient.

- Pas du tout. Pour les souvenirs il suffit d’un contact, peu importe lequel. En général, chacun a le sien. Celui qui fonctionne le plus. Pour les émotions, il faut un lien, me répondit-il finalement après quelques secondes.

- Et ce lien, est-ce qu’il est plus fort entre deux empathiques ?

- Je n’en sais rien ! Mais pourquoi toutes ces questions, d’un coup ?

Il avait haussé la voix et me dévisageait comme si j’étais une bête curieuse. Lui qui pouvait être si hautain parfois ne comprenait pas ni pourquoi, ni comment, je pouvais m’intéresser à ce genre de choses, à leurs « trucs », qui me concerne moi aussi pourtant. Cela ne servait à rien de lui répondre. Je savais très bien comment ça allait finir. On allait se battre sur l’intérêt ou non pour moi de savoir ça, on allait hausser la voix et puis on s’énerverait. Enfin, je m’énerverais. Et ce n’était pas ce que je voulais.

Il siffla quelque chose entre ses dents, et retomba dans sa contemplation. Je tentai de l’imiter mais la curiosité m’emportait :

- Jo, ils ne le savent pas les autres, que tu es malade, n’est-ce pas ?

« Et voilà ! Mais arrête ! Arrête ! Arrête ! Tu veux qu’il te déteste, Jessy, ou quoi ?! »

L’espace d’une seconde sa respiration s’arrêta. Tout son corps se figea avant de se détendre. Il avait voulu caché la surprise, mais ça n’avait pas fonctionné. J’avais deviné sa réaction, je m’y étais préparée. Et comme il mina de ne rien avoir entendu, je continuai malgré moi :

- Tu es brûlant. Tu as les yeux globuleux et tu n’arrêtes pas de tousser. Et puis ton cœur…il bat plus vite que les leurs.

- C’est un petit rhume, il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire, avait-il fini par lâcher, en roulant des yeux.

- C’est plus grave que ça, et tu le sais. Vous ne pouvez pas être malade vous autre. Mais tu l’étais à l’époque. Et contrairement à Thomas, je crois que tu n’as jamais cessé de l’être. Quand tu as voulu fouiller dans mes souvenirs, en novembre, je suis tombée malade. Mais personne ne savait ce que j’avais. Les médecins ne trouvaient rien. C’est parce que je n’avais rien. Ce n’était pas mon mal, c’était le tien.

Afin d’exposé toute ma théorie sans flancher, j’avais plongé mon regard dans le sol, à mes pieds. Si bien que je n’avais pas remarqué qu’il me fixait avant de relevé mon visage vers le sien. Il restait silencieux, les yeux écarquillés. Je m’attendais à ce qu’il nie ou qu’il éclate de rire. Mais il se contenta de me dévisager, comme s’il venait de comprendre que je n’étais pas complètement stupide, comme s’il craignait que je le dénonce.

L’expression de surprise disparut, laissant un air attristé gravé sur son visage alors qu’il se détournait. Il avait peur. Peur que je vois quelque chose, que je devine un secret. Encore un autre. Mais pourquoi avait-il peur ? L’avais-je déjà blessé ? Est-ce que j’avais déjà dit quelque chose de déplacé ? Non, je ne le pensais pas. J’avais toujours fait attention jusque-là. Mais ça m’avait peut-être échappé sans que je ne m’en rende compte.

- Ils ne vont pas t’abandonner tu sais ? Tu n’étais qu’un enfant et même si tu étais malade, tu n’as jamais été responsable. Naïwenn était l’adulte. Elle était responsable. Elle savait ce qu’elle faisait. Ce n’était pas ta faute.

- Ni la tienne.

Trois mots. Un choc. Pas ma faute ? J’aurais voulu feindre l’incompréhension ou même simplement répondre quelque chose. Mais rien. Plus rien ne voulait sortir de ma bouche. Les mots restaient figés, coincés au travers de ma gorge, comme des lames de couteau.

Même si nous voulions le croire, c’était un mensonge et lui comme moi le savait. C’était notre faute. Même si nous n’étions que des enfants. A cause de lui, Naïwenn s’était enfuie avec un objet d’une grande valeur. A cause de lui, elle avait conduit son peuple à la fuite. A cause de moi, Elisa était morte. A cause de moi, ma mère était morte. Et à cause de moi, elle l’avait blessé, lui.

Egoïstement, et sans savoir quoi faire de mieux, ou de plus, je posai ma tête sur son épaule. Mais délicatement il se dégagea avant de bondir loin de moi, l’air embarrassé.

- Est-ce que ça t’as plu, ce réveillon ? demanda-t-il les joues écarlates en passant sa main dans son cou.

Il s’arrangeait pour ne pas croiser mon regard.

- C’était le meilleur réveillon de ma vie !

Ce n’était qu’un petit mensonge qu’il se contenta de croire. Joseph se détendit et m’adressa un énorme sourire, jusqu’aux oreilles. Il ressemblait tellement à Alec parfois !

- Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda-il, l’air inquiet.

Je ne m’étais pas rendu compte que la souffrance de ce souvenir transparaissait sur mon visage.

- Tu me fais penser à quelqu’un que j’ai connu il y a longtemps, lui souriais-je.

C’était un sourire sincère. Peu importait ce que disait Ellie au sujet d’Alec, ou ce que m’avait appris Thomas. C’était un homme bon. C’était ainsi que je m’en souvenais.

Joseph se raidit et ajouta, visiblement frustré :

- J’ai un cadeau pour toi.

Avant même que je ne réagisse, il avait sauté derrière moi et avait passé autour de mon cou un magnifique collier. La chaine était fine. En argent probablement. Et le discret, mais au combien raffiné pendentif, représentait une fleur de Lys.

- Il est magnifique. Merci.

Le garçon me saisit par les épaules et me fit pivoter, délicatement. Il m’examina de la tête aux pieds. Je sentais son regard glisser sur moi.

- Magnifique !

Son visage n’était qu’à quelques centimètres du mien et je pouvais sentir son souffle chaud dans mes cheveux. Le ciel, étincelant, semblait se refléter sur sa peau blanchâtre qui n’avait jamais paru aussi parfaite que sous ce magnifique scintillement. Son regard, froid, m’avait captivée et je ne pouvais pas m’en détacher. Quelque chose avait changé. Quelque chose que je ne percevais pas immédiatement. Un léger détail qui m’échappait mais qui le rendait différent, plus attirant.

Il posa ses mains de chaque côté de mon visage. Ce n’était pas grand-chose mais la chaleur qu’il dégageait s’insinuait au plus profond de moi, jusqu’à en oublier le vent si froid qui me lacérait la chair.

Avec son doigt, il dégagea délicatement une mèche de mes cheveux, qu’il glissa derrière mon oreille. Alors qu’il effleura ma peau, toute une colonie de papillons sembla s’envoler de mon esprit. Il déposa un délicat baiser sur mon front, rempli de chaleur, comme lui. Comme Alec l’avait fait des centaines de fois. Je fermais les yeux pour mieux l’apprécier. Quand je les ouvris, il avait disparu. J’étais seule, sous les lumières célestes, au milieu des hortensias et sa voix résonnait dans ma tête :

« Joyeux noël, ma belle. »

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