Chapitre 15 : Ce qui m'incombe

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Joseph me trainait dans les couloirs de cette grande bâtisse. J’essayais de chasser la peur de mon esprit pour comprendre toutes ces informations, les unes plus invraisemblables que les autres. Bien qu’il n’existe aucune explication logique à toutes ces données, je n’arrivais toujours pas à croire que de telles choses puissent exister, sans même que personne n’en ait jamais entendu parler.

Mes yeux étaient focalisés sur mes baskets blanches, qui contrastaient avec le rouge de la moquette. Je regardais mes pieds avancer, comme des machines lancées dans leur élan, et j’analysais le mouvement. Je ne savais pas d’où j’en tirais la force nécessaire, mais la répétition du geste, la simplicité du mécanisme, semblait m’apaiser.

J’avais pensé que Joseph me ramènerait dans ma chambre, et me laisserait m’y morfondre. A la place, il me fit bifurquer dans une autre aile du château. Je n’avais même pas la force de poser des questions. Mais dans la crainte de découvrir de nouvelles choses qui finiraient de m’abattre complètement, je serrais un peu plus fort sa main brulante.

- Ton estomac n’arrête pas de gargouiller, c’est insupportable un tel vacarme.

Je relevais la tête et l’observais en me demandant ce qu’il était en train de raconter. Je n’avais pas faim du tout. Et, à part nos pas, que la pierre faisait résonner comme dans les vielles églises, tout était d’un silence morbide.

Nous avons pénétré dans une immense salle à manger, où trônait une table comme je n’en avais jamais vue. Des dizaines de personnes semblaient pouvoir s’assoir autour. Nous avons traversé la pièce, qui devait s’étendre sur au moins vingt mètres, avant d’atteindre une nouvelle porte en bois, derrière laquelle se cachait une cuisine qui n’avait rien à envier à celle des plus grands restaurants. Le garçon m’installa une assiette sur le plan de travail, me lâcha la main que je serrais si fort et se mit aux fourneaux. L’odeur de l’omelette qu’il me préparait titilla mes narines. Je connaissais cette odeur, pourtant elle ne m’avait jamais paru aussi parfumée et agréable. Alors, comme pour donner raison à Joseph, mon ventre se tordit et se mit à grogner.

J’avais avalé la moitié d’une assiette, et mon estomac braillait encore. Mais je ne pouvais plus rien avaler, je finirais par tout renvoyer. Alors je me levais pour débarrasser mais le garçon, qui était resté silencieusement à mes côtés, arrêta mon geste. Il prit l’assiette dans mes mains, la reposa, saisit mes doigts et me ramena à ma chambre.

- Qu’est-ce que je dois faire maintenant ? avais-je réussi à demander dans un souffle.

Joseph ne me répondit pas immédiatement, lui non plus n’avait pas récupéré de cet échange. Il me fit entrer dans la pièce, et m’aida à m’assoir sur le lit. Il ouvrit une porte dissimulée dans le mur, qui donnait sur une immense penderie. Et il disparut dedans. Après quelques minutes, il réapparut, et s’agenouilla en face de moi.

- Tu vas commencer par te détendre. Je t’ai fait couler un bain. Après, on réfléchira à ton cas. Je t’ai trouvé des affaires, je les ai laissées dans la salle de bain.

Le ton de sa voix était morne. J’attendis qu’il soit parti pour aller jeter un regard à cette pièce, qui m’avait totalement échappé jusque là. La penderie était remplie de robes, toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Mais cet attirail qui aurait fait rêver tant de jeunes filles, me semblait, à moi, complètement futile.

Au milieu de tout ce tas de vêtements, il y avait une ouverture. Je m’y engageai et découvris une sublime salle de bain. Les murs étaient tous recouverts d’une faïence rose pâle, et dans le coin, juste sous la fenêtre, se trouvait une gigantesque baignoire à pattes de lion.

En passant devant la double vasque surplombée d’un miroir orné de gravures d’or, je découvris le tas de vêtements que Joseph m’avait laissés. Il y avait un vieux jean démodé et marron ainsi qu’une chemise en flanelle. Le tout serait, bien sur, bien trop grand mais je n’avais rien d’autre alors bon, ça ferait l’affaire. Je me déshabillais, tant bien que mal, les muscles atrophiés, et me plongeais dans l’eau tiède.

J’avais attendu que l’eau soit froide avant d’oser sortir. La nuit était tombée depuis un bon moment déjà et je n’avais aucune idée de l’heure qu’il pouvait être.

Lorsque j’arrivai dans la chambre, la première chose que je vis, c’était mon téléphone, abandonné sur le lit. Ellie m’avait envoyée un message, me demandant comment j’allais. J’avais envie de l’appeler, de tout lui raconter et de l’entendre hurler. Pathétique !

Un mug, fumant, rempli de chocolat, avait été déposé sur le bureau, accompagné d’un mot.

Reprends des forces, et souviens-toi.

Il n’y a plus que ça à faire,

Jo.

Il avait joint quelques conseils, du genre allumer des bougies, éteindre la lumière, se concentrer sur sa respiration…Rien ne semblait faire effet. Les seuls souvenirs qui me submergeaient encore et encore étaient ceux de ce fameux 14 février. Je revoyais ma mère et son regard plein de tendresse alors qu’elle m’embrassait avant de partir ; ma sœur, et sa petite main qui s’agitait sur le seuil ; mon sentiment oh combien agréable d’être si choyée. Et puis, le reste, moins, beaucoup moins agréable : l’odeur d’hôpital ; le chagrin grandissant dans mes entrailles sans bien même que je ne sache d’où il vienne, ni quelle en était la cause ; les hurlements transcendants de ma mère ; son regard furieux, rempli de haine ; les larmes de mon père…

Parfois, comme venu de nulle part, le souvenir de Joseph revenait m’assaillir. Je me retrouvais sous ce saule pleureur, dans cette ruelle. Je regardais la scène : ma mère qui jouait avec deux petites, qui lui ressemblaient déjà beaucoup, Elisa et moi ; ce sentiment de colère qui s’estompait si vite qu’il était venu ; cette terreur ; cette course effrénée pour me sauver ; ce sentiment de légèreté…Et ce médaillon, cet horrible médaillon que j’avais fini par détester moi aussi.

Après les avoir ressassés en boucle, encore et encore, j’avais fini par abandonner. Je n’arrivais à rien de toute façon. Et puis, quelle idée aussi ! C’était impossible que je porte les souvenirs de ma mère. Ils devaient tous être fous. Oui, ça devait être ça. Et moi, j’étais entrée dans leur jeu, comme une imbécile !

Pourtant, je me sentais coupable d’abandonner si vite.

J’avais fini par attraper la couette, et restais au sol, emmitouflée bien au chaud, au milieu des dizaines de bougies.

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