Chapitre 29: Un murmure de l'au-delà

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Je me réveillais dans une pièce semblable à une chambre d’hôpital. Le blanc immaculé aurait pu me tromper mais l’odeur, bien qu’âcre, était familière. La Citadelle.

Un laser émanant d’un petit robot en forme de boule scanna mon corps en entier. Je repoussais l’engin avec mon bras. Une douleur aigüe grimpa le long de mon épaule.

- Ça te fera mal encore un peu, dit une voix sur ma droite.

Je tournais la tête avec précaution mais ça n’avait pas suffi. Les restes d’une brûlure me lancèrent dans le cou.

J’examinais avec attention le corps à mes côtés. Je clignais des yeux, certaine d’être en train de rêver mais il restait là, assis dans son lit, un tuyau dans le nez, une perfusion dans le bras, avec son air béat. Il avait toujours son air béat. Je bloquais ma respiration, ne sachant pas comment réagir autrement. Le bip d’une machine s’emballa.

- Respire Jessy, me conseilla-t-il.

- Trent !

Il tenta de me faire un clin d’œil mais son visage se tordit dans une grimace.

- Est-ce que je suis morte ? lui demandais-je.

- Je n’espère pas, me répondit-il dans un sourire. C’est trop douloureux pour ne pas être réel.

J’arrachais mes fils et bondis hors de mon lit, beaucoup plus lentement que ce que je n’avais imaginé. Mes genoux flanchèrent mais je me rattrapai contre la barrière du lit de mon ami. Une douleur atroce frappa mes côtes et je me tordais, à moitié debout, à moitié couchée sur Trent, mais je la refoulais. Je le touchais pour être sûre qu’il soit réel et lui sautai au cou.

- J’ai cru qu’il t’avait tué.

Des larmes ruisselaient sur mes joues. Des larmes de joie. Je n’avais encore jamais pleuré de joie. Il me tapota le dos.

- Jessy, tu m’étouffes !

Je relâchais mon étreinte. Il s’écarta pour me laisser de la place et je m’allongeais à ses côtés.

- J’ai vraiment cru que je ne te reverrais jamais, grognais-je en le frappant au bras, ce qui me fit plus de mal qu’à lui.

Il me sourit, comme il le faisait tout le temps. J’essuyais mes larmes et m’emmitouflais contre lui

- Moi aussi, avoua-t-il.

- Ne me refais plus jamais ça ! Compris ?

- Oui chef !

Un petit rire m’échappa, et une nouvelle pointe me transperça les côtes. Je restais silencieuse à ses côtés, savourant le fait qu’il soit en vie. Je ne savais pas quoi lui dire. Ou comment lui dire. Mais c’était ça l’avantage avec Trent, je n’avais pas besoin de lui dire quoi que ce soit.

- Comment tu vas ?

- Ça va. Fatigué, dit-il.

J’examinais avec attention ses perfusions. Il y en avait beaucoup. Une contenait probablement un sédatif.

- Et Louis ?

- Thomas s’en occupe, marmonna-t-il.

- C’est grave ? m’enquis-je.

Mon ami m’attrapa la main.

- Thomas s’inquiète toujours trop quand il s’agit de Louis, tenta-t-il de m’expliquer.

- Pourquoi ?

- Parce que c’est Louis.

- Je ne comprends pas.

- Si.

Ah. Oh.

- Alors ces deux-là…

Le garçon hocha la tête dans un dernier effort.

- Mais chut, c’est un secret.

- Alors tu ne devrais pas me le dire.

- Mais tout le monde le sait, souffla-t-il.

Trent sourit une dernière fois avant de rejoindre Morphée et sa tête bascula sur le côté. Lorsqu’il dormait, il perdait son air béat et on pouvait voir son vrai visage. Celui qu’il s’attachait à cacher derrière un masque : le visage du garçon courageux.

Je n’avais pas pensé à lui demandé ce qu’était une marque. Je n’avais pas cessé de me le demander depuis qu’Alec m’avait appris la vérité. Mais j’avais compris qu’il parlait de mon tatouage. « Comme ça, tu ne pourras jamais oublier.» Ce furent ses derniers mots, avant que je ne le fasse, avant qu’il disparaisse. Mais je ne pouvais pas comprendre à l’époque ce que cela signifiait vraiment.

La marque de Joseph, c’était Dracula ou plutôt cette dédicace à l’encre rouge. La preuve qu’il avait toujours su où se trouvait ce Collier et ce qu’il était vraiment. Mais il avait compté garder le secret le plus longtemps possible. Pour Tellusa. Pour moi aussi, pour m’accorder un peu plus de temps, pour préserver mon innocence encore un peu, toujours un peu plus.

Ma vie ne me semblait être qu’une succession de non-dits et d’erreurs. Pourtant si ma survie n’était qu’une rature dans le grand livre du destin, je remerciais le ciel de m’avoir permis de rencontrer Jo et toutes ces personnes formidables qui gravitaient autour de lui. Il était la lumière qui semblait pouvoir combler le vide de mon âme. Pourtant, je l’avais oublié. Où qu’il soit, je m’en faisais la promesse, je ne laisserai plus jamais cela arriver.

La petite boule tenta de me sonder à nouveau et je la repoussais encore. Je grinçais des dents, frustrée, et me glissai hors du lit en tâchant de ne pas réveiller le garçon à mes côtés. Mes jambes étaient endolories et j’avais du mal à les diriger. J’avais l’impression d’être passée sous un camion. Enfin je supposais. Je n’étais jamais passée sous un camion. Je pensais que c’était grâce à mon frère, une fois de plus, si je n’avais jamais connu cette expérience et je soupirais de tristesse. C’est fou à quel point il pouvait me manquer !

J’avais réussi à me faufiler hors de l’infirmerie et j’avais traversé les grands couloirs déserts de la Citadelle. Il n’y avait jamais eu beaucoup d’âmes qui vivent lorsque je m’y promenais, mais cela me semblait étrange. Où avaient-ils tous disparus ? Louis et Thomas, Amé et Shoshana ?

Je respirais à pleines narines l’odeur de la pierre et des vielles peintures. Je les regardais avec attention. J’avais cru ne jamais revenir ici, mais je m’y trouvais. J’étais tellement heureuse, que rien ne pouvait gâcher ça, ni la douleur lancinante dans mes côtes, ni la menace qui planait encore sur mes épaules. Rien. Sauf l’absence de Jo.

J’avais rejoint la porte de ma chambre. Elle s’ouvrit dans un grincement. Tout était identique, rien n’avait bougé. Je fis un petit tour rapide, comme pour être certaine que je ne rêvais pas, et m’engouffrai dans la salle de bain.

J’examinais avec attention mon visage. Je ne me reconnaissais plus. Il était intact mais j’avais maigri. Affreusement maigri. Mes joues était bien plus creusées qu’à l’accoutumée. J’avais l’air plus vieille. Tellement plus vieille. Epuisée, défraichie. Abîmée.

Une douleur se propagea dans mes côtes. J’ôtai ce qui me restait de chemise pour examiner l’étendue des dégâts. J’avais pris peur d’abord. Je n’avais pas osé ouvrir les yeux. Puis je soufflai pour me donner du courage et regardai.

Un gigantesque hématome recouvrait tout mon flan droit. Il y en avait des plus petits dans le dos et au niveau des reins. Il y avait aussi des rougeurs sur mes avant-bras. Avec précaution, je les effleurais du bout des doigts. C’était douloureux. Mais je recommençais pour m’en imprégner. Pour ne plus jamais oublier.

Le visage que le miroir me renvoyait, qui n’était plus vraiment moi, pleurait. Sans raison. Juste à la vue de cela. Il pleurait.

Je sautais sous la douche et quittai cette pièce, témoin de ma transformation terrifiante. Les notes d’un piano volaient dans la Citadelle. Je me laissai porter par la mélodie jusqu’aux appartements privés du roi. Louis et Thomas, comme seuls au monde, jouaient un morceau à quatre mains. Finalement, il allait bien ! Je les écoutais, mélancolique, et cachée pour ne pas les déranger jusqu’à ce qu’un courant d’air me ape. Je leur laissais leur intimité et décidai d’aller dehors. Cela faisait trop longtemps que je n’avais pas vu les étoiles.

Les marches qui séparaient les étages de la sortie avaient été difficiles à descendre. Cela m’avait pris beaucoup de temps, et ça m’avait couté deux ou trois grimaces mais j’y étais tout de même parvenue.

L’air était humide. Il n’allait pas tarder à pleuvoir. Je me dépêchais d’atteindre le cimetière et de trouver la gigantesque tombe en marbre noir, supplantée d’un ange. Je l’observée de loin d’abord. Puis j’osais enfin m’approcher. Je m’assis sur le caveau et effleura la pierre avec mon doigt. Une vague de chaleur remonta le long de ma main et je recommençais l’expérience.

Une goutte de pluie s’éclata contre ma peau. Je levais les yeux au ciel et tendis mes paumes pour mieux la recevoir. Je fermais les paupières, me concentrant sur cette sensation que j’avais fuie jusqu'alors.

- Je n’aime vraiment pas la pluie, soufflais-je.

- Pourquoi ça ? me demanda quelqu’un derrière moi.

Je baissais la tête pour contempler de nouveau le nom inscrit en écriture dorée.

- Parce qu’elle s’insinue partout.

- Comme tellement d’autres choses.

- Qui êtes-vous ? demandais-je en me retournant.

Lorsque je la vis, je basculai en arrière. Je la regardais, incrédule, perdue dans le néant.

- Ce n’est pas possible, balbutiai-je

Naïwenn se tenait debout devant moi. Elle portait une légère robe mauve. Ses cheveux volaient au vent. Mais je ne voyais que son sourire, son sourire chaleureux.

Je tendis la main pour la toucher, pour m’assurer d’être bien éveillée.

- Je ne suis qu’une image, me dit-elle.

- Pourquoi ?

Ma voix n’était qu’un murmure. Je luttais de toutes mes forces pour garder les mains dans les poches. J’avais peur que si je ne craque et tente de la toucher, elle s’envole comme de la poussière au vent.

- La pluie : les larmes de Tellusa, répondit-elle.

Je fronçais les sourcils, balayant ses mots.

- Pourquoi ? répétai-je

Je n’avais pas réussi à dire autre chose, à clarifier ma question. Ce n’était d’ailleurs pas qu’une question qui se dissimulait derrière ce simple mot, mais des tas. Toutes ces questions que l’on se pose ; auxquelles, on le sait pourtant, nous ne pouvons avoir de réponses. Pourquoi ? Pourquoi Elisa ? Pourquoi faire ce qu’elle avait fait ? Pourquoi voler le Collier des Lamentations ? Pourquoi abandonner ses enfants ?...

A mesure qu’elles tournaient dans mon esprit, comme elles l’avaient fait tant de fois, les larmes coulaient de mes yeux, faisant transparaître toute ma colère et ma souffrance.

Oh oui, je lui en voulais. J’avais tenté de comprendre, de lui pardonner. Je m’étais laissée croire que j’y étais parvenue, mais comment aurais-je pu ?

- Je suis désolée, souffla-t-elle. J’ai fait ce que j’ai pu…

Je secouais la tête. Je ne voulais pas de ses excuses.

- Ce n’était pas assez, lui dis-je, les dents serrées.

- Je sais.

- Alors pourquoi ? criai-je. Tu sais, j’ai rêvé des milliers de fois que je te trouvais assisse dans la cuisine, comme ça, un jour, quand je rentrais. Tu étais juste là et tu me souriais, sans dire un mot. Et ça m’allait comme ça. Je voulais juste que tu rentres. Et Joseph le voulais aussi. On t’aurait pardonné, tu sais. Tu devais seulement rentrer.

- Je ne pouvais pas.

Elle pleurait. Elle n’en avait pas le droit, c’était trop facile. Je la menaçais d’un regard noir.

- Il est une Larme, se défendit-elle. Il voit l’avenir depuis qu’il est lié au Collier. Il s’est vu détruire notre monde et Alec ne voulait rien entendre. Je ne pouvais pas détruire le collier, il est trop important. Sans lui, nos deux mondes se détruiraient mutuellement. J’ai fait la seule chose que je pouvais faire. Ce n’était pas un bon choix, mais c’était le moins pire de tous. Le vieux sage devait réfléchir à une autre solution. Je cherchais à gagner du temps, mais il faut croire qu’il a échoué…

Son visage radieux et bienveillant avait disparu, emporté par une souffrance réelle mais qui n’excusait rien. A son tour, elle tendit la main. J’eus un mouvement de recul et elle se ravisa. Elle sourit de nouveau en inclinant la tête sur le côté, à la manière de Thomas, me pardonnant mon geste. Puis elle regarda le ciel.

- La pluie va cesser, me dit-elle. Je vais partir.

- Non, la suppliais-je malgré moi.

Ma colère se transforma en crainte. Elle posa de nouveau sur moi son regard bienveillant.

- Ne t’inquiète pas, j’ai confiance en toi. Tout ira bien.

Puis son attention sembla dévier de moi un instant.

- Il y a des murmures, m’expliqua-t-elle. Ils disent que bientôt il devra faire un choix.

Je fronçais les sourcils d’incompréhension. Mais elle non plus n’avait pas les réponses. La pluie cessa et Naïwenn commençait à disparaître. Elle ne ressemblait plus qu’à un fantôme. Elle gardait néanmoins son sourire si chaud et son regard réconfortant. Je compris que cette image me hanterait pour la fin de mon existence. Et j’en étais heureuse. C’était une image magnifique. Bien plus belle que celle qu’elle m’avait laissé en claquant la porte derrière elle.

- Bientôt Joseph sera avec toi, susurra-t-elle. Toi seule pourras l’aider.

- Que dois-je faire ?

- Aie confiance en toi, tu le sauras.

Elle disparut complètement.

J’attendis des heures entières sur sa tombe, espérant la voir de nouveau. Mais l’aube, radieuse et claire sonna comme un coup de glaive en plein cœur. La pluie avait cessé, et encore une fois, elle s’en était allé.

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