Chapitre 11 (1/2) : L'invité évité

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La semaine d’examens s’était enfin achevée, j’étais épuisée et je n’avais plus la force de résoudre le mystère de mon ascendance. De toute façon, toutes mes inquisitions s’étaient soldées par un échec.

La nuit s’était déjà couchée quand j’entrais dans la maison. Personne au monde à cet instant ne rêvait plus que moi de retrouver son lit.

- Alors Jessy, ça s’est bien passé ? demanda Cathy d’une voix lointaine

- Oui oui, soufflais-je, alors que je me dirigeais péniblement vers l’escalier

- Attends ! il y a une lettre pour toi.

Elle s’était déplacée si rapidement que je ne m’étais rendue compte qu’elle m’avait rejointe que lorsqu’elle me tendit une enveloppe rouge. Je l’ouvris sans prendre aucune précaution particulière, sachant pertinemment de qui elle émanait. Je découvris une carte de noël, représentant de sublimes sapins dans un jardin enneigé :

Jessy !

Je ne pourrais malheureusement pas être présent à Noël. J’ai tout arrangé avec la mère d’Ellie. Je t’envoie donc cette petite carte. Tu y trouveras ton cadeau à l’intérieur.

Joyeux Noël, Papa

Je secouais l’enveloppe afin de faire glisser dans ma main le petit objet qui s’y trouvait. Des clés. Mon regard se posa sur Cathy qui était restée à mes côtés. Elle serrait les mains contre sa bouche tout en se tortillant, toute excitée. Elle me poussa avec violence à la porte et l’ouvrit. Une voiture rouge, enroulée de ruban vert se tenait devant le portail. Je me demandais comment cela avait pu m’échapper en arrivant.

- Joyeux Noël ma belle !

- Une voiture ?

Mon père s’efforçait toujours de me faire des cadeaux plus impressionnants les uns que les autres, probablement pour se faire pardonner son absence durant les fêtes, année après année. Mais une voiture ? Que voulait-il que je fasse d’une voiture en pleine ville ? Déjà que j’avais dû passer mon permis contre mon gré !

- C’est super, n’est-ce pas ? exalta la jeune femme.

- Oui c’est cool, mentais-je.

Quelque chose vibrait sur ma cuisse et il me fallut moins d’une fraction de seconde pour comprendre que c’était mon téléphone et le saisir. Au bout du fil, je ne reconnus pas tout de suite la voix familière noyée dans un vacarme impressionnant :

- Allo ?

- Jessy ! Mais qu’est-ce que tu fais ? On t’attend !

- Ellie ? Mais qu’est-ce qui se passe ?

Je ne lui laissais pas le temps de répondre. La musique que j’entendais derrière sa voix presqu’effacée me rappelait à l’ordre.

- La fête de fin d’exams ! J’avais oublié !

- Tu veux que je vienne te chercher ?

- Non, surtout pas ! enfin je veux dire…J’ai ce qu’il faut, avais-je ajouté dans un soupir tout en regardant les clés de mon nouvel engin glisser entre mes doigts. Je suis là dans dix minutes.

- Ok ! bah grouille-toi !

La maison de blanche neige

J’aurais bien été incapable de dire pourquoi j’avais surnommé la maison d’Ellie ainsi, mais cette idée me revenait dès que je la voyais. Peut-être était-ce à cause de la couleur de ses murs qui tiraient vers un bordeaux un peu vieilli et éclairci de ci, de là, par des volets en bois blanc, ce qui lui donnait un air de champignon géant. Ou alors c’était les dizaines de nains de jardin que Clarisse, sa mère, collectionnait. Je ne savais pas.

La maison, qui d’ordinaire me paressait plutôt imposante semblait à cet instant précis, minuscule, vomissant des étudiants de toutes parts. Devant le portail, Holly, habillée d’une mini robe rouge, semblait avoir perdu son chewing-gum au fond de la gorge de Sylvain et y avait enfoncé sa langue pour le récupérer. Au bout du compte, ils avaient fini par se réconcilier.

Après avoir refoulé un haut de cœur, je passais le jardin relativement aisément pour aller me nicher tant bien que mal à l’intérieur. La chaleur y était étouffante en comparaison du froid glacial de la rue. La foule était si importante que je ne reconnaissais plus rien. Après y avoir attaché une petite étiquette sur laquelle figurait mon nom, je balançais mes clés dans le petit panier prévu à cet effet, comme l’avaient visiblement fait des dizaines de jeunes avant moi, et je partais en repérage.

Après m’avoir démonté le cou pour essayer d’apercevoir en vain Ellie, j’avais décidé de me diriger vers le bar. C’était le seul endroit où il y avait suffisamment peu de monde pour espérer respirer. Je jouai des coudes, essayant de me frayer un chemin en balançant des « pardon, pardon » à tort et à travers, quoiqu’étant donné le nombre de décibels que les enceintes dégageaient, je ne fus pas certaine que la moindre personne ne les entende. Soudain mon pied se prit dans quelque chose – un autre pied, sans doute- et je m’effondrais sur un jeune homme qui me tournait le dos :

- Pardon ! Avais-je crié alors que je m’agrippai à son bras pour ne pas tomber

Le jeune homme se retourna, un verre à cocktail à la main rempli d’un liquide bleuâtre.

- Joseph ?

- Comme toujours, murmura-t-il.

- Qu’est-ce que tu fais là ? grognai-je, les joues en feu.

- Elona m’a invité. Plutôt sympa comme fête ! lança-t-il, toute en sirotant une gorgé de son mélange. Enfin, je suppose.

Il plongea son regard dans le mien. J’y vis de la désinvolture et un soupçon de défi. La situation l’amusait.

- Je n’en reviens pas ! Elle a vraiment fait ça ?

En guise de réponse, le jeune homme haussa les épaules.

- Tiens, la voilà ! dit-il enfin, accompagné d’un léger signe de tête, alors que mon amie s’approchait de nous.

- Je voulais te remercier pour l’autre fois ! criai-je à Joseph alors qu’elle passait, minant de ne pas nous avoir remarqué.

Le garçon me lança un regard interrogateur.

- Elle t’a invité par ce qu’elle croit qu’il s’est passé un truc entre nous, lui expliquais-je dans un chuchotis qui n’en était pas vraiment un.

- Elle a raison.

- Pas ce genre de truc, précisai-je.

Son regard se perdit dans le vide de ses pensées. Un instant, il me parut triste, avant de redevenir l’être froid qu’il se jouait d’être. Nous nous fixâmes de longues minutes, la musique et les étudiants déchainés en toile de fond. Je cédai la première :

- Je veux savoir.

- La vérité n’est jamais ce qu’elle paraît être, bougonna-t-il.

- Je n’ai pas d’aprioris.

Son visage se scinda en un demi-sourire.

- Crois-moi, tu préfères ignorer ça.

- Quoi ? Que tu es mon frère, que Thomas était celui de ma mère ou seulement que vous ne vieillissez pas ?

J’attendais, aux aguets, une réaction. Au hasard. Le moindre signe qui pourrait me dire si j’avais fait mouche ou non. Mais pour seule réponse, Joseph se plongea dans son verre, l’avala cul sec.

- Hum, je crois qu’il est vide !

Il se dirigea vers la piste tout en se déhanchant sur une musique électro qui ne s’y prêtait pas du tout. En trois pas seulement, il avait traversé la foule et rejoint Trent. Ce dernier paraissait petit à côté de Joseph qui le dépassait d’une bonne tête. Cette impression me troublait.

- Qu’est-ce que tu crois qu’ils se disent ?

Ellie était venue s’installer à mes côtés sans même que je m’en aperçoive. Elle tenait elle aussi un verre de ce liquide bleu.

- Aucune idée.

Dans sa robe noire à paillettes, perchée sur des escarpins rouges, elle me paraissait différente.

- Ellie ! Mais dis-moi, quel changement !

Elle me toisa du regard avant d’hausser les épaules.

- Mes oreilles de chat te manquent ?

Pour toute réponse, je lui donnais un coup de coude.

- T’aurais pu faire un effort quand même, grogna-t-elle en me reluquant de la tête aux pieds.

J’examinais rapidement ma tenue. Je portais un jean slim délavé et troué au-dessus de chaque genou, un top blanc et noir à rayures et mes indispensables baskets blanches. En réalité je n’avais pas pris le temps de me changer. Et puis, je n’en voyais pas l’intérêt. Ce n’était qu’une soirée remplie d’étudiants à moitié ivres après tout.

Je ne préférais pas débattre sur nos styles vestimentaires respectifs, souvent trop originaux pour le commun des mortels. C’était un sujet source de nombreux désaccords, ce qui se terminait souvent par des disputes en tous genres. Et je n’étais franchement pas d’humeur.

Comme si elle avait lu en moi, et tout en avalant une gorgée de son liquide étrange, Ellie pointa son menton en direction des deux garçons.

- Tu crois que Trent le drague ? demanda-t-elle.

Je faillis m’étouffer.

- Trent n’es pas gay !

- Tu es sûre ?

Je lui lançais un regard dubitatif.

- Depuis deux ans qu’il est notre ami, tu croyais vraiment qu’il était homo ?

Elle marqua une pose, comme si elle réfléchissait à sa réponse tandis qu’elle haussait les sourcils et les épaules d’un même geste.

- Bah oui. Il n’est jamais sorti avec aucune fille. Et tous ces dessins : des couchers de soleil et tout…c’est trop bizarre pour un hétéro.

- Il essaye peut-être de te paraître romantique... A moi, il ne dessine que des vampires. Enfin je dis ça, je ne dis rien.

Elle restait plantée là, droite comme un piqué, le verre dans une main et la bouche entrouverte, comme si l’univers venait de s’illuminer. Je l’appelai, la bousculai mais rien ne sortait de sa bouche à part quelques « hum » pour toutes réponses. Elle avait peut-être fini par comprendre. Ou mes propos l’avaient choquée. Aucune idée. Elle n’avait jamais ce genre de réaction à l’accoutumée. Et pour être honnête, son absence totale et soudaine de répondant me laissait sans voix, moi aussi. Alors à défaut de trouver une solution, je me replongeais dans ma surveillance. Elle finirait bien par se reconnecter à la réalité un jour ou l’autre.

Après un dernier signe de tête échangé accompagné d’un air un peu trop sérieux pour une fête, Joseph s’éloigna de Trent et se dirigea vers la porte. Je lançai un dernier regard à Ellie, toujours absente et je m’élançai à la poursuite du garçon.

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