Le mâle est là

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Confortablement installé entre ses bouchons d'oreilles, Kuan Ti se plongea dans une espèce de cocon de bien-être, tout en regardant les trois zongzi1 servis sans supplément par la direction de l'hôtel. Au centre du plateau trônait un œuf. Revenait à lui le souvenir de son frère qui, tout comme les enfants de son âge, tentait de faire tenir un œuf debout sur sa pointe. Un défi lancé aux clients ou un simple amusement ? Et pourquoi ce soir n'y serait-il pas arrivé ? Ce serait drôle de réussir à la première tentative ce que des milliers de fois auparavant il avait toujours raté.

Raté. Il avait toujours tout raté.

Kuan Ti se leva, accomplit des va-et-vient répétitifs, alluma au passage la télévision. À pareille heure, la plupart des programmes avaient pris fin. Il ne restait plus qu'une vingtaine de chaînes en service, un fauteuil dont il ne pouvait rien tirer de son confort spongieux, une moquette inutilement épaisse que ses pieds nus ne savaient pas apprécier, un certain parfum traînant dans l'air. Celui de Kimou ou du déodorant sanitaire ? Au point d'alcoolisation où il se trouvait, Kuan Ti aurait très bien pu confondre une cocotte minute avec une poulette. Poulette.

Il hésitait à commander une fille de compagnie ; la dernière en date s'était endormie sans qu'il ait pu lui arracher le moindre mot cohérent. Il l'avait frappée un peu fort c'est vrai, mais elle n'aurait pas dû toucher au téléphone portable de son client. L'Occident et ses habitants fascinaient les filles. Elles étaient obnubilées par l'électronique, les détails vestimentaires, les bonnes façons de se maquiller, obsédées par l'apparence et tout ce qui rendait les relations superficielles.

Alcool ? Drogue ? Fatigue ? Passé une certaine heure, le cocktail des ingrédients détonants se révélait soporifique. Les putains se débrouillaient pour choisir un client susceptible de posséder un bon lit, écartant de fait les contacts des hommes appartenant à l'administration. Leur accent autoritaire terriblement reconnaissable permettait de trier la clientèle. Lui avait perdu toute tonalité dans la voix.

L'épuisement aidant, les filles faciles profitaient du confort pour s'endormir dans de beaux draps. Les promesses du lendemain, du client souvent ivre, justifiaient leur acceptation à endurer des assauts infructueux. Au lit, elles simulaient l'orgasme et la frénésie des sens avec panache. Une fille de cette trempe ne disait jamais ce qu'elle pensait. C'est ainsi que Liu Kuan Ti aimait les femmes, fades, incolores, inertes. Dès qu'il en trouvait une un peu trop curieuse à son goût, il la punissait.

1zongzi1 Feuilles de bambou farcies.

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