Lettre que tu ne liras pas

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J’aurais aimé te dire ces mots que tu n’entendras pas. Les mots qui saignent et que je « panse ». J’aurais aimé hurler papa avec la ferveur d’une prière. Au nom du père, papa, et moi. Au nom du père, papa, aime-moi. Tu es l’homme qui m’a vue naître sans être l’enfant espéré.

Tu es mal à ton endroit et maladroit avec moi. Tu ne sais pas comment faire, comment te défaire de ce lien étranger, noueux. Les autres, comment font-ils ?

Tu me brusques souvent, me bouscules parfois, ta manière à toi de me faire avancer. Ne pas pleurer, ne pas dire, ne rien dire, contenir, continuer, ignorer la blessure.

Tu es le mâle omniscient derrière l’homme effacé en société. Tu es taciturne et ne me lis jamais d’histoire le soir. Tu ris parfois… de moi, rarement d’émoi. Tu es derrière le pare-botte du manège ; tu m’observes.

Sur le sable mouvant, le cheval se cabre au vent et je me cramponne à la crinière, poitrine au garot. Les battements de mon cœur au galop, j’enserre l’encolure de mes petits bras d’enfant et tu ris, tu ris bruyamment. J’ai peur, je veux descendre mais aussi te plaire éperdument, que tu sois fier de moi. Je voudrais que tu me prennes dans tes bras.

Tu te gausses et je pleure de colère à l’intérieur, je crie ton nom à l’intérieur, papa pourquoi ? Pourquoi n’entends-tu pas ?

Tant de fois, je me suis perdue dans tes yeux à la dérive et je m’accroche à toi comme à une bouée amarrée. Je suis une naufragée en perdition d’un lieu-dit : le père a dit je t’aime. Mais ce n’est pas à moi, à moi tu ne dis jamais cela. Ce sont des mots que l’on ne dit pas.

Je suis comme je suis, si différente de toi et je me conforme à tes yeux pour prendre la forme que tu veux. Et je te cherche dans l’auditoire, je cherche ton approbation. Je suis perdue dans la nocturne de Chopin. L’Opus 9 tourne en rond. Je ne trouve plus la coda et tout tourne autour de moi. Les touches du piano se délitent sous mes doigts et le public captif attend la conclusion qui ne vient pas. Papa aide-moi ! Et tu ris encore et tu ris. Toi qui ne comprends pas que la mention d’honneur n’est pas mon bonheur, que ce je veux moi, c’est que tu sois fier de moi.

On ne rattrape pas le temps de l’absence, du non-dit, du silence… Il y a des silences fracassants, des absences « impansables » et des non-dits indigestes dont on attend qu’un geste. Le geste qui apaise, le geste qui rassure, le geste qui console, le geste qui panse la blessure.


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