Confinement

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Bérangère s’ennuyait ferme. Pas le droit de mettre le nez dehors, ça voulait dire pas de courses, pas de balade autour de chez elle, pas de voisin susceptible de venir lui demander un coup de main, pas de sortie au cinéma, pas de resto avec ses amies, pas de cours de peinture… Elle n’avait même pas le droit d’aller voir son fils et ses petits-enfants ! Ils habitaient trop loin. La seule personne qui venait la voir une fois par semaine, c’était sa femme de ménage, reconvertie en livreuse de nourriture pendant la période du confinement. Ses amies étaient encore trop occupées pour l’appeler, leurs familles avaient pris le risque de rassembler tous leurs parents sous le même toit.

Depuis une vingtaine de jours, elle avait tout fait. Tout ce qui lui était passé par la tête. De l’entretien de ses fleurs à la coupe des branches fragiles qui risquaient de tomber dans son jardin en passant par du tri dans son bazar. Les poussières ? Elle leur réglait leur compte tous les matins, après son café. Les vitres ? Idem, mais après le petit déjeuner. Sa maison n’avait jamais brillé aussi fort depuis qu’elle s’y était installée, quelque cinquante ans auparavant. Avec les stocks de nourriture qu’elle recevait, elle cuisinait des quiches, des tartes, des gratins, des plats dignes de grands chefs, en si petites quantités que cela suffisait à la nourrir deux fois par jour. Elle ne mangeait pas beaucoup. En même temps, ce n’était pas utile avec l’énergie qu’elle utilisait…

Elle aurait bien passé ses journées à lire ou à faire des mots croisés, mais ses yeux se fatiguaient de plus en plus, de plus en plus vite, et les ophtalmologistes n’y pouvaient plus grand-chose. Internet lui paraissait trop dangereux, trop compliqué, et sa radio refusait de s’allumer depuis le septième jour. Pas de chat, pas de chien, pas de mari, si quelques poissons et quelques oiseaux avaient élu domicile dans le bassin au fond de son jardin, elle n’allait pas non plus leur faire la conversation.

Du coup, Bérangère s’ennuyait. Elle s’était assise sur son canapé, devant la télé, zappant, espérant trouver un bon film, avec un scénario pour une fois, pas un de ces blockbusters américains où les gentils gagnent toujours à la fin. Mais là aussi, comme toujours, il n’y avait rien d’intéressant. Même les chaînes de musique passaient des morceaux qui lui donnaient mal à la tête, avec des paroles plus stupides les unes que les autres. Comme quoi, le virus qui l’empêchait de vivre s’était propagé jusque dans son quotidien.

Elle abandonna sa télécommande sur la table basse du salon et commença sa longue série de pas du jour. Tourner en rond, faire les cent pas, on pouvait appeler ça comme on voulait, pour elle, c’était sa séance de torture quotidienne. Marcher, en attendant que le soleil se couche et qu’elle puisse elle aussi prendre ses médicaments et aller se coucher. Elle qui avait l’habitude de se remémorer ce qu’elle avait fait de sa journée pour dormir, elle commençait à se dire qu’elle perdait son temps, déjà qu’il ne lui en restait peut-être pas autant qu’elle le voulait.

Driiiiiiiiiiiing ! Driiiiiiiiiiiiiiiiing !

Alors qu’elle venait de passer à quelques centimètres de son téléphone, celui-ci s’était brutalement réveillé et hurlait de tous ses poumons. Il eut à peine le temps de reprendre sa respiration qu’elle se jeta sur lui et l’arracha à moitié de sa prise.

- Allô ? fit-elle de sa plus jolie voix.

Peu importait que ce soit un commercial pour lui vendre des fenêtres ou son fils qui venait prendre de ses nouvelles, même si cette dernière possibilité était la moins probable, il avait appelé la veille, elle était prête à tout pour garder un peu de contact avec la réalité.

- Bonjour, madame Malkin d’Attention et Conversation, vous êtes bien Bérangère Dufresne ?

- Absolument, madame, c’est tout à fait moi. Dites-moi, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

- Je présume que vous ne connaissez pas notre entreprise ?

- Eh bien, non, malheureusement, mais je serais très heureuse d’en apprendre un peu plus sur vous !

- Attention et Conversation est une petite organisation créée afin de mettre en lien des personnes seules aux quatre coins de la France par le biais du téléphone, c’est-à-dire que nous faisons livrer des téléphones spéciaux à nos volontaires pour qu’ils puissent communiquer avec n’importe lequel de nos partenaires. En fonction du nombre d’abonnés contactés, vous recevrez des cadeaux !

- C’est une initiative très intéressante, madame, mais j’imagine qu’elle a un coût ? Et puis, par les temps qui courent, se faire livrer un téléphone, c’est un peu dangereux, non ?

- Eh bien justement, nous vous garantissons que si vous acceptez notre offre gratuite pendant le confinement dû au virus et uniquement pendant la durée de celui-ci, vous ne paierez rien ! Et pour ce qui est des modalités de livraisons, il n’y a pas d’inquiétudes à avoir ! Le colis est sécurisé et transporté chez vous sans le moindre risque ! Par mesure de précaution, nous vous conseillons tout de même de ne pas y toucher pendant quelques heures, une demi-journée si ça peut vous rassurer. Eh bien, ma chère madame Dufresne, qu’en dites-vous ?

- Je dirais que c’est une excellente idée, à condition que vous me confirmiez que cette offre que vous me faites est gratuite, sans risque et sans engagement.

- Bien sûr ! Dans ce cas, votre colis devrait arriver dans le courant de l’après-midi, gardez vos fenêtres ouvertes ! Enfin, par un tel beau temps, j’imagine qu’elles le sont, n’est-ce pas ?

- Évidemment, pour une fois qu’il y a du soleil il faut qu’on soit confinés ! Du coup on ouvre les fenêtres. Dans l’après-midi, vous dites ? C’est rapide, dites-donc !

- Très ! Mais vous comprendrez en voyant le colis arriver. Bon courage et merci d’avoir accepté notre offre ! À bientôt chez Attention et Conversation !

Et puis la dame à l’autre bout du fil raccrocha. Bérangère regarda autour d’elle, s’attendant à moitié à voir surgir le colis par la fenêtre du salon. Avait-elle fait une erreur ? Risquait-elle quoi que ce soit ? Il faudrait qu’elle en parle à son fils, quand il appellerait le lendemain. D’ici-là, elle pouvait toujours tourner en rond, en espérant que sa livraison serait aussi rapide que ce que disait la vendeuse…

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