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Gabriel et Ellohira poursuivirent leur route vers l'est au travers de vastes plaines marécageuses. Ils ne pouvaient faire dix mètres sans tomber sur une mare, un ruisseau ou un épais buisson d'épines et de ronces. Aussi leur progression fut assez lente.

— Où se trouve donc cet avant-poste ? pesta Gabriel en se dégageant d’une ronce.

— Nous devons suivre le cours de l'Eau jusqu'à ce qu'il se divise, suivre le bras sud jusqu'à ce qu'il se divise de nouveau puis prendre au nord-est pendant plusieurs kilomètres. Si on considère que le lit de la rivière ne s'est pas déplacé pendant toutes ces années. Nous allons peut-être passer des jours à le chercher.

— Et si on ne le trouve pas ?

— Nous n'avons pas le choix. Si nous ne le trouvons pas, nous continuons à chercher.

Si cela pouvait prendre des jours, que cela en prenne cinq ou dix, quelle différence après tout ?

Ils avancèrent toute la journée sans trouver l'endroit où l'Eau trouvait un nouvel affluent. Ce ne fut que le soir, alors qu'Ellohira venait de décider de s'arrêter pour la journée qu'elle aperçut l'endroit juste un peu plus loin. Ils s'installèrent juste à côté, sur un morceau de terre relativement sec.

— Pas de feu ici. Les glorgs ne supportent pas la vue du feu. Si jamais il y en a dans les parages, ils pourraient s'en prendre à nous rien que parce que nous en avons allumé un sur leurs terres.

— Ils n'ont pas l'air très agréables ces glorgs. À quoi ils ressemblent ?

— Je n'en ai vu qu'une fois, il y a longtemps. Ils sont plutôt grands et mince avec des membres trop longs pour leur corps et une peau gris-verdâtre. Ils sont quasiment invisibles quand ils se cachent dans ces marais. Et ils sont très rapides à la course, on ne leur échappe pas facilement.

La journée du lendemain, ils prirent la direction du nord-est durant de nombreux kilomètres. Lorsqu'Ellohira estima qu'ils se trouvaient proches de l'avant-poste perdu, elle repéra un gros arbre mort et se mit à tracer des symboles dans la terre. Des cercles, avec un disque au milieu et des lignes allant de l'un à l'autre. Lorsqu'elle eut terminé, elle s'assit au milieu et se concentra. Gabriel sursauta en voyant soudain la terre se soulever pour former quatre murs. Ellohira venait de construire un abri en une heure à peine. Il manquait juste le toit, qu'ils confectionnèrent rapidement avec des branches.

— Il faudra que tu m'apprennes comment faire ça aussi.

— Je pense que ce sera faisable une fois que j’aurais corrigé les quelques petits défauts que j'ai remarqué pendant notre combat au fort.

Elle réfléchit un moment puis décida de reconnaître un peu les lieux avant la tombée de la nuit. Ils décrivirent des cercles de plus en plus larges autour de leur abri. Autour, il y avait plusieurs buissons, dont certains couverts de mûres et de framboises sauvages. Il y avait aussi un petit cours d'eau dans lequel vivaient apparemment quelques poissons, sans doute comestibles. Et il y avait un petit étang d'eau claire dans lequel ils pourraient se laver.

— Tu n'aurais pas pu choisir mieux, fit remarquer Gabriel.

— C'est pourquoi je suis le maître et toi l'élève ! plaisanta Ellohira. Rentrons, j'ai faim.

Ils retournèrent à l'abri, mangèrent un morceau puis s'installèrent à l'intérieur pour passer la nuit. L'endroit n'était pas très grand, mais au moins ils se trouvaient au sec et à l'abri de la pluie. Du moins tant que leur toit restait en place. Gabriel eut beaucoup de mal à trouver le sommeil ce soir-là. Ellohira dormait paisiblement juste à côté, mais lui ne cessait de penser qu'un glorg pouvait venir les égorger dans leur sommeil. Puis, sentant la fatigue le presser, il fit un effort et s’endormit.

Gabriel s'inquiétait à tort, car il se réveilla bien en vie et entier le lendemain. Étendu sur le dos, il inclina la tête vers sa droite et découvrit le visage d'Ellohira juste à côté du sien. Elle dormait encore, recouverte seulement en partie de sa couverture. Gabriel se permit d'admirer son joli visage paisible et ses longues jambes qui venaient tout contre les siennes chercher un peu de chaleur. Le jeune homme se rapprocha de la belle endormie tout doucement et remit sa couverture bien en place. La jeune femme remua un peu dans son sommeil et murmura ce qui ressemblait vaguement à un merci. Elle se pelotonna contre Gabriel. Passant un bras autour de la taille d'Ellohira, il ne tarda pas à se rendormir. Lorsqu'il s'éveilla de nouveau un peu plus tard, il se trouvait seul dans l'abri. Il se vêtit rapidement et sortit, observant les alentours. Il entendit un bruit en direction du petit étang et força sa vue afin d'y voir plus clair. Il observa un moment le spectacle, puis détourna soudain les yeux, peu fier de son comportement. Cinq minutes plus tard, Ellohira le rejoignait à l'abri, les cheveux encore trempés.

— Tu devrais aller te laver aussi, tant qu'il fait beau.

Gabriel acquiesça en silence, se leva et se dirigea vers l'étang, sous le regard interloqué d'Ellohira qui trouva son comportement étrange.

Un peu plus tard, ils recommencèrent à chercher des signes de l'ancien avant-poste de l'Ordre, mais leurs recherches restèrent infructueuses durant toute la matinée. Ils continuèrent leurs recherches jusque tard dans la soirée, sous un ciel de plus en plus chargé. Lorsque la pluie commença à tomber, Ellohira décida de mettre fin aux recherches pour la journée et ils regagnèrent leur abri. Ils continuèrent les recherches, allant chaque jour un peu plus loin. Durant six jours, ils ne trouvèrent rien, à part un cristal étrange. Et la pluie n'avait pas cessé de tomber.

Le septième jour, le soleil refit surface. Tandis qu'Ellohira prenait un bain, Gabriel séchait du bois et s'apprêtait à cuire un lapin fraîchement tué et nettoyé par ses soins. Il entendit soudain un cri venant de l'étang. Il se leva d'un bon et s'approcha prudemment, demandant si tout allait bien.

— Bien sûr que ça va bien, je l'ai trouvé ! Viens !

Gabriel s'approcha et vit Ellohira au bord de l'étang, près d'un gros rocher recouvert de mousse et caché par un gros buisson d'épines. Elle avait laissé son uniforme au bord de l'eau et ne portait que des sous-vêtements noirs qui lui collaient à la peau.

— Regarde ça ! Dire que ça fait des jours qu'on cherche partout et il était juste là sous notre nez ! Gabriel ? Tout va bien ?

— Oui. Oui, tout va bien, répondit-il hâtivement.

— Oh, c'est moi qui te mets dans un état pareil ? demanda-t-elle, soudain malicieuse.

Elle enfila son uniforme et reprit son examen de la porte gravée dans la pierre sans plus prêter attention à Gabriel. Elle lui fit part de ses observations et les expliquait, mais lui n'y comprenait pas grand chose.

— C'est bien la première fois que je vois une telle chose.

Une fois nettoyé, le rocher avait révélé une porte. Ou plutôt la marque gravée dans la pierre d'une porte, avec une sphère noire enchâssée au-dessus et de minuscules sillons, semblables à des fissures extraordinairement fines et régulières, reliaient les deux éléments. Et apparemment, Ellohira ne savait pas comment faire pour l'ouvrir. Elle marmonnait pendant plusieurs minutes, essayait quelque chose qui ne fonctionnait pas, puis recommençait.

— Ello ? Tu m'as bien dit que les symboles, là, sont ceux des éléments ?

— Oui. Les sifis qui ont construit ça menaient des recherches dans cette branche des courants. C'était assez controversé, mais ils étaient nombreux à se pencher sur le sujet.

— Et comment contrôlaient-ils les éléments ?

— Tu le sais bien. Tu contrôles le feu, comme nous tous.

— Ce n'était pas différent de notre méthode ?

— Non, c'est pour ça que leurs travaux n'intéressaient pas grand monde. On contrôle le feu en faisant monter soudainement la température de l'air et en créant de violents courants chauffés à l'extrême. La maîtrise du feu, c'est avant tout la maîtrise de l'air.

— L'eau, l'air, le feu. C'est curieux qu'il n'y ait pas le symbole de la terre.

— Il semble impossible de contrôler la terre. L'eau aussi d'ailleurs.

— Pourtant il y a bien un point commun entre les trois éléments.

— Ah bon ? Lequel ?

— Leur composition. C'est en rapport avec les atomes : des particules si petites qu'elles sont les composants de choses déjà invisibles à l’œil nu. Les atomes composent toute matière existante. Toi, moi et le monde qui nous entoure.

— Si tu le dis. Je ne vois pas en quoi ça peut nous aider.

Gabriel prit le temps de réfléchir, de mettre son idée au point.

— On ne contrôle peut-être pas l'air, mais un type d'atome qui s'y trouve. L'oxygène par exemple. On le retrouve dans l'eau, et il est inflammable.

Gabriel se tourna vers l'étang, laissa l'énergie du Flux l'envahir puis relâcha cette énergie dans l'eau. Une énorme bulle éclata à la surface, éclaboussant les alentours d'eau bouillante et libérant une impressionnante quantité de vapeur. Il y eut même quelques flammes. Puis il recommença en tentant de créer un courant, comme il le faisait si souvent avec l'air lors de ses entraînements. Cela se révéla beaucoup plus difficile.

— Tu vois, dit Ellohira, c'est impossible.

— Pas impossible, j'y arrive. Mais c'est très difficile, je ne comprends pas pourquoi.

— Tu y arrives ?

Gabriel jeta une branche dans l'eau et lui fit décrire des cercles sur le courant qu'il avait créé.

— Tu vois, ce n'est pas impossible.

— Que changes-tu dans la technique ?

— Dans l'air, l'oxygène est présent seul, enfin, associé à lui-même, donc il est facile à contrôler. Là, il est lié à d'autres atomes, ça doit être ça qui rend la manipulation difficile. Alors il faut agir sur la molécule en entier. Mais l'hydrogène est moins coopératif. Enfin je pense.

— Je ne comprends rien, mais je vais essayer.

Ils s'entraînèrent durant toute la journée, oubliant même de manger. À la fin de la journée, ils parvenaient tous deux à créer des courants dans l'eau, à en changer la température et même à faire s'élever de petites masses d'eau dans les airs qu'ils faisaient ensuite éclater en nuages de vapeur. Finalement, Ellohira tenta d'appliquer leur travail et se dirigea vers la porte. Elle fit courir dans le cristal un peu d'énergie, comme si elle tentait de contrôler de l'eau. Le cristal se mit à luire faiblement, mais rien de plus ne se produisit.

— Je suis trop fatiguée, essaie, pour voir.

Gabriel se mit devant la porte, posa directement ses mains sur le cristal et força le plus qu'il put pour injecter de l'énergie dans le cristal. Mais il était lui aussi épuisé et le cristal ne fit que luire un peu plus fort que la fois précédente.

— J'ai la dalle, dit-il en grimaçant. J'arriverais à rien avant d'avoir mangé.

Lui et Ellohira retournèrent à leur abri et mangèrent tant qu'ils purent, ne laissant d'un lapin que des os. Ils ne tentèrent pas d'ouvrir la porte de nouveau. Il faudrait des heures à leurs corps pour recouvrer toutes leurs forces. Ils se couchèrent donc et ne retournèrent au bord de l'étang que le lendemain matin, pleins d'assurance. Mais ils échouèrent encore. Ellohira jura si fort que Gabriel évita de croiser son regard pendant plusieurs minutes.

— Nous sommes sur la bonne voie pourtant ! Je ne comprends pas !

— Moi non plus, assura Gabriel qui réfléchissait à toute allure. Ah ! s'il avait pu être plus attentif en cours ! Peut-être était-il passé à côté de quelque chose. L'eau, l'air, le feu. Les trois symboles formaient un triangle. Un cycle ? Comment transformer du feu en eau ? Impossible. S'il pouvait déjà améliorer la réaction. Après une nouvelle matinée d'exercices, il parvenait à mieux maîtriser ses nouveaux talents, faisant passer en une seconde l'eau à l'état de vapeur et ensuite à créer une violente explosion.

Il se remit devant la porte avec l'impression de devoir réussir maintenant sous peine de ne jamais pouvoir faire mieux. Il posa ses mains sur le cristal et se laissa envahir par le Flux. Il attendit, attendit encore un peu, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus contenir l'énergie. Ellohira, qui le regardait faire, aurait été effrayée si elle n'avait pas été autant fascinée. Les yeux de Gabriel brillaient d'un éclat bleu intense et tout son corps semblait vibrer d'énergie. Lorsqu'il libéra cette énergie dans le cristal, il y eut un bruit étrange, grondant et sifflant à la foi. Le cristal noir s'illumina et l'énergie qui le parcourait circula dans les minuscules sillons, atteignant la porte à de multiples endroits. Les trois symboles gravés dans la pierre se mirent en mouvement, tournoyant autour d'un nouveau symbole, fraîchement apparu : un petit disque entouré d'un cercle.

Lorsque Gabriel recula, il l'aperçut et sourit. C'était sans doute là la représentation basique d'un atome. Il avait eu raison. Les contours de la porte semblèrent alors se creuser, la pierre disparut petit à petit, comme si elle n'avait jamais existé. Finalement, le passage fut libéré et les deux sifis commencèrent à descendre l'escalier qui se trouvait derrière.

— Cette manie des souterrains commence à m'agacer, soupira Gabriel.

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