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— En quoi consiste notre mission exactement ?

— Nous devons aller à Terdrasill, l'ancienne capitale. Marli a localisé l'ancien Sanctuaire il y a quelque temps déjà. On devrait y trouver des choses intéressantes.

— Pourquoi ne pas l'avoir exploré avant ?

— À cause des dragons. Il a d'abord fallu faire un peu de ménage. Et localiser avec précision l'entrée n’a pas été facile. Urfis n'a réussi qu'il y a trois jours. Et comme tu le sais, il a été rappelé.

Ils poursuivirent leur chemin durant de longues heures. Gabriel se demandait pourquoi Nihyr n'appelait pas les fenris. Il aurait bien voulu le faire, mais il ne savait pas comment s'y prendre. Il se mit à siffler, essayant d’insuffler de l’énergie dans le son. Ce qui n'était pas chose facile.

— Tu n'y arriveras pas comme ça, lui dit Nihyr en riant. Il ne suffit pas de gonfler le son. Il faut faire porter un message. Et même si tu y arrives, ils ne viendront pas, je ne les sens pas dans les environs. Mais promis, si tu arrives à quelque chose, je te préviendrai que tu es sur la voie.

Gabriel continua durant des kilomètres, puis abandonna. Il s’essoufflait deux fois plus vite à faire deux choses en même temps. Après une courte pause le midi, Nihyr se mit en devoir d'avancer plus rapidement. Aussi lui et son élève voyagèrent-ils en courant jusqu'au soir. Il atteignirent Slimap et firent halte dans le même établissement que la fois précédente. Ils retrouvèrent là la patronne, son fort caractère et sa cuisine délicieuse.

— Une seule nuit, je suppose ?

Nihyr répondit que oui. Lorsqu'il annonça leur destination, la tenancière fit un bond.

— Et bien, vous n'avez peur de rien! Ces ruines grouillent de dragons et de ces horribles caricatures d'homme à ce qu'on dit ! Avec un aussi jeune garçon en plus.

— Ce jeune garçon pourrait sans doute couper quelques-unes de ces caricatures en deux, si vous voulez mon avis. Et puis, Urfis est passé avant nous. Il nous a assuré que nous aurions le chemin libre, ou presque.

La patronne s'en retourna à ses occupations en haussant les épaules.

— Installez-vous où vous voulez! Il y a de la place ce soir.

En effet, la salle était presque vide. En dehors d'un couple installé dans un coin et de trois hommes à l'air épuisé, il n'y avait personne.

Nihyr s'installa à sa table préférée, la numéro quatre, près du feu et un peu isolée. À peine assis, il sortit un étui de cuir d'une de ses poches. Il défit le lacet qui le maintenait fermé, puis en répandit le contenu sur la table. C'était de petites pierres rondes et noires, sans rien de remarquable.

— Observe bien, dit-il à Gabriel.

Il prit une pierre dans sa main et Gabriel sentiit aussitôt que son maître faisait glisser de l'énergie à l'intérieur de la pierre. Une marque apparut à la surface, puis Nihyr la posa sur la table, en prit une deuxième. Il réitéra l'opération une douzaine de fois avant de paraître exténué.

— As-tu compris ce que j'ai fait ?

— Je crois, oui, répondit Gabriel, la bouche pleine.

La patronne venait de les servir et il s'était jeté sur la nourriture, succulente comme toujours.

— Tu as emprisonné de l'énergie dans les pierres. Il avala bruyamment. Mais je n'ai pas bien saisi une chose : ce n'est pas juste de l’énergie brute. Au début, je pensais que tu faisais des réserves. Puis j'ai compris que les marques qui apparaissaient servaient à quelque chose. Ce sont des sorts ?

— Des « sorts » ? Oui, si tu veux. Même si ce n'est pas le bon mot. Je viens de créer des pierres de rune. Ces symboles que tu vois là, ce sont des runes. Elles ont chacune une signification distincte. Et donc chaque pierre à un effet différent. Tu devrait être capable de comprendre leur signification avec le temps. C'est une forme de langage d'esprit.

— Qu'est-ce que c'est ? Le langage d'esprit ?

— Tu l'utilises depuis que tu es arrivé dans ce pays, inconsciemment. N'as tu jamais réalisé que nous ne parlions pas la même langue ?

Gabriel faillit avaler de travers. Pas la même langue ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien vouloir dire par là ? Mais après tout, ce n'était pas si étonnant.

— Et donc ?

Nihyr éclata de rire, remplit son assiette et reprit son explication:

— Ton esprit traduit instinctivement ce que tu entends et ce que tu dis pour comprendre et être compris. C'est une forme passive de ce langage que tous les sifis possèdent. Mais une fois que tu en es conscient, tu peux apprendre à faire certaines choses. Comme tenir un discours différent pour deux personnes distinctes. Mais il faut faire attention, certaines personnes ne sont pas dupes. Le régent par exemple.

— Je n'ai pas tout compris, mais j’essaierais de faire attention à ce que je dis.

— Il faudra que je t'entraîne un peu sur ce sujet. Mais plus tard. Pour le moment, tu as de trop importantes lacunes en combat.

Ils terminèrent leur repas, sortirent faire un tour en ville, puis rentrèrent se coucher.

Gabriel fut le premier debout le lendemain, avant l'aube. Il y avait déjà du bruit dans les cuisines. Dina, la fille de la patronne, préparait le petit déjeuner.

— Oh, salut ! lança-t-elle en reconnaissant Gabriel. Tu manges avec moi ? Ton maître et toi êtes les seuls à avoir passé la nuit ici.

— Il est un peu tôt. Tu ne devrais pas dormir encore ?

— C'est l'habitude. On se lève toujours très tôt, alors même quand il n'y a pas besoin, je suis levée de bonne heure. Je n'aime pas traîner au lit.

Ils prirent leur petit déjeuner tous les deux dans la cuisine. Puis Dina laissa un mot à sa mère indiquant qu'elle sortait.

— Viens, Nihyr se lèvera à l'aube, comme toujours. Il nous reste une petite heure.

Elle entraîna Gabriel dehors où l'on pouvait déjà observer quelques signes d'activité. Ils traînèrent dans les rues jusqu'à ce que l'aube arrive, puis retournèrent à l'auberge. Ils y retrouvèrent Nihyr, prêt à partir.

— Tu arrives juste à temps. Prêt ?

Gabriel en eut pour trente secondes à aller chercher son sac et il reprit la route avec son maître.

— Elle te plaît, Dina ?

— Elle est sympas, ouais. Je crois que je pourrais m'en faire une bonne amie. Et rien d'autre ! ajouta-t-il en jetant un regard accusateur à Nihyr qui éclata de rire.

— Je me renseigne c'est tout ! Je ne voudrais pas que tu fasse d'infidélité à Ellohira.

Cette fois, Gabriel se contenta de grogner et de regarder ses pieds. Nihyr accéléra le pas, un large sourire vissé aux lèvres. Lorsque le soleil fut bien visible dans le ciel, il se mit à courir, de plus en plus vite. Gabriel se dit avec raison que les plus grands champions d'endurance du monde n'auraient pu les suivre. A midi, il était épuisé. Ils firent une pause déjeuner, puis Nihyr entraîna Gabriel au combat à main nue, lui enseignant quelques prises impossibles à réaliser pour quelqu'un de « normal ». Ils arrivèrent en vue de Terdrasill dans la soirée. À cette distance, Gabriel aurait pu croire qu'il ne s'agissait que d'une immense colline rocailleuse. Il comprit son erreur en arrivant tout près au matin suivant. Des blocs de pierre gros comme des maisons témoignaient de la grandeur et de la puissance que cette cité avait pu inspirer par le passé. Nihyr se fraya un chemin dans les gravats. Il atteignit une sorte de plateforme, continua vers un monceau de pierres effritées un peu plus loin et stoppa là. Il tenait dans sa main une des pierres de rune.

— C'est ici. Aide moi.

Ils se mirent à déblayer des tonnes de gravats. Gabriel trouva l'exercice agréable. Il pouvait tester sa nouvelle force en envoyant valser à plus de vingt mètres des blocs de pierre de cinquante kilos sans trop d'efforts. Lorsqu'il n'y en eut plus que quelques-uns, il s’amusa même à concurrencer Nihyr au lancer de rocher. Il fut loin cependant d'égaler son maître.

— Tu as de la puissance à revendre, mais tu dois encore apprendre à la canaliser.

La dessus, il se concentra un instant. Un vent de tous les diables s’abattit sur eux, chassant les dernières petites pierres et la poussière recouvrant la large dalle noire. Nihyr examina attentivement les marques qu'il venait de dégager gravées dans la pierre. Puis il sortit une plume de son manteau et la frappa contre la dalle. Au grand étonnement de Gabriel, la plume émit une longue note aiguë, harmonieuse. Un son métallique. Pas une plume, une écaille de dragon ! Nihyr déposa l'écaille sur la pierre et recula. L'écaille s'enfonça dans la pierre comme s'il s'était agi d'eau. Une ouverture se dessina dans le sol, la pierre disparut doucement, laissant place à un gouffre noir dans lequel s'enfonçait un large escalier.

— Les sifis sont-ils donc obsédés par les souterrains ?

— Disons que c'est pratique pour s'isoler.

— Mais pourquoi s'isoler ?

— Les sifis menaient des expériences parfois dangereuses en matière de courants. Les mener en milieu souterrain protégeait la population civile.

Sans un mot de plus, Nihyr s'engagea dans l'escalier, Gabriel sur les talons. L'ouverture se referma derrière eux et l'écaille retomba sur une marche en tintant.

— Éclaire-nous.

Gabriel fit naître dans sa main une petite flamme très vive. Nihyr ramassa l'écaille puis continua la descente.

Arrivés en bas, ils franchirent une magnifique porte de pierre gravée et se retrouvèrent dans une pièce ressemblant fort à celle du Sanctuaire de l'Eratar. Nihyr se dirigea tout naturellement vers la deuxième porte à gauche et y trouva tout aussi naturellement la bibliothèque.

— C'est dingue de penser que cet endroit n'a vu personne depuis des siècles.

— Un autre avantage de construire si profondément sous terre. Un peu de magie aidant...

Nihyr fouilla dans les rayonnages, sortant délicatement certains ouvrages, mais les livres tombaient en poussière. Contrairement au lieu par lui-même, le contenu subissait les dommages du temps.

— Deux milles ans ne leur ont pas fait de bien, soupira Nihyr en regardant partir en morceaux un livre dans lequel il avait espéré découvrir des choses intéressantes.

— Nihyr ? J'ai trouvé un journal plutôt bien conservé ici.

— Fais voir.

Le petit journal noir vieux de deux milles ans semblait effectivement en bon état. Nihyr le mit de côté, avec d'autres ouvrages qu'il comptait emmener. Après plusieurs heures de fouilles méticuleuses, ils sortirent de la bibliothèque et examinèrent le reste du Sanctuaire. Il était remarquable que les lieux soient aussi bien conservés.

— Si seulement celui de l'Eratar avait été comme ça lorsqu'ils l'ont découvert, commenta Nihyr en découvrant les vastes dortoirs.

— Combien il y avait de sifis donc ?

— À la grande époque, l'Ordre comptait plusieurs centaines de maîtres et presque autant d'élèves. Il y avait même plusieurs groupes. Certains étaient chercheurs, d'autres trouvaient l'accomplissement dans les arts du combat. Et ils étaient bien plus forts que nous ne le sommes aujourd'hui.

— Pourquoi ?

— Beaucoup de questions n'ont pas encore trouvé leur réponse, hélas. Viens, rentrons.

— Nous ne devons rentrer que dans seize jours !

— Je sais. J'aurais le temps de te former sérieusement pendant quelques jours. Je compte rester à Slimap un moment, ajouta Nihyr avec un clin d’œil.

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