Oscar

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J'ai du mal à me décrire. Physiquement autant que psychologiquement. Je n'ai aucun miroir pour m'observer et ce ne sont pas les quelques regards que je jette de temps à autre à mon corps qui me permettront de mettre des mots sur mon apparence. Bien entendu, je suis conscient de la couleur de ma peau : ébène. Je reconnais la forme de mes mains que j'utilise souvent lorsque je travaille et il me semble que mes yeux sont d'un gris effacé, à peine perceptible parmi le blanc de mes prunelles. Je fuis le regard des autres comme s'il pouvait me tuer. En réalité, j'en ai peur… Le dégoût que je peux y lire me rappelle celui que j'étais autrefois. Je côtoie la solitude et le silence et, d'aussi loin que je m'en souvienne, cela a toujours été le cas. N'ayant eu que de rares occasions de rencontrer des gens, je ne saurais vous dire ce que je ressens pour eux : serait-ce du mépris ou de l'estime ? Je vous avoue que ces questionnements futiles ne font pas partie de mes priorités et ne sont qu'un moyen de me distraire de mon travail. Attrapant les instruments devant moi, dont chaque embout était parfaitement aiguisé, je les rangeais un à un dans ma mallette, puis, je m'en allai.

L'heure fatidique approchait. Le solitaire, vêtu d'une longue cape grise qui dissimulait sa carrure impressionnante et son visage, accélérait le pas tandis qu'il enfonçait ses pieds nus sur le sol constitué d'une étendue de sable fin à la température glaciale. Il allait enfin connaître ses employeurs lui qui, depuis des années, avait accepté maintes et maintes fois d'effectuer des tâches pour eux sans jamais demander la moindre explication en retour. Il était logé dans une chambre convenable et bénéficiait d'un accès illimité à l'énergie de la deuxième lune, nécessaire pour vivre. Il consommait les filaments nacrés qui jaillissaient par vague de cet objet céleste lumineux, se contentant d'une ration minimale pour ne pas gaspiller trop de lumière. Dans cet univers appelé Ephémère, situé à des milliards d'années-lumière de la Voie lactée, les planètes entourant l'Astrid sont à portée de main et deviennent parfois essentielles à la survie de ses habitants, comme peut l'être la deuxième lune. En apparence, le peuple vivant sur Terre et sur l'Astrid partagerait les mêmes caractéristiques physiques. On pourrait même croire que l'une des planètes aurait façonné l'autre. Seulement, aucune des deux civilisations ne pourrait se venter de connaître l'existence de l'autre. L'Astrid est constituée à 80 % d'étendues désertiques, le reste étant des montagnes mouvantes. Au vu de l'absence de chaleur solaire, de la glace piégeait la moitié de la surface. Les habitants, plus ou moins nombreux selon les zones, se concentraient dans quelques espaces épargnés par les sommets et autres murs de glace. Ils évoluaient en communautés, élisant de temps à autre un chef capable d'aider à la survie du plus grand nombre. Entourés par deux lunes qui les irradiaient de lumière continuellement, les Astridiens avaient choisi de sacraliser la lune originelle qui avait accompagné la naissance de l'Astrid et, pour honorer cet objet céleste qui veillait sur eux, ils se nourrissaient de sa jumelle, la deuxième lune, qui était apparue bien des années plus tard.

Oscar ralentissait le pas. Il était arrivé au temple. Ce bâtiment majestueux scintillait de mille feux. Il renfermait le savoir des Astridiens et leur garantissait de ne jamais oublier leur histoire. Le solitaire retira sa cape grise et s'agenouilla au sol, fermant les yeux. Il avait longtemps travaillé à son compte, échangeant des matériaux en tout genre contre un peu de lumière lunaire, puis, un jour, une femme s'était rendue chez lui. Elle lui proposa de travailler au temple et d'aider à la préservation de leur peuple, ce qu'il accepta aussitôt. Oscar finit par réaliser qu'elle n'était qu'un émissaire et qu'il ne pourrait avoir de contact avec les membres du temple. Jusqu'à ce jour. Une main se posa sur sa nuque et il frissonna. Comprenant que par ce geste il pouvait se relever, le solitaire se redressa, saluant avec respect la personne devant lui. Celle-ci portait une cape, identique à la sienne. Il y avait également de la peinture sur son visage qui dissimulait ses traits ce qui l'empêcha de savoir s'il avait affaire à un homme ou à une femme. L'individu lui sourit et s'adressa à lui d'une voix douce :

  • Oscar, tu as servi le temple pendant plus de dix ans. Grâce à toi, nous avons pu renforcer le pouvoir de l'Astrid. Cependant, tu dois te douter que malgré tous nos efforts, notre planète se meurt. Elle périt de jour en jour et nous allons finir par disparaître avec elle.

L'homme resta silencieux, il se doutait que leur avenir restât, pour le moment, incertain. Il désirait savoir ce qu'elle avait prévu pour les sauver avant de donner son avis.

  • Nous avons besoin de rubis. C'est bien la seule énergie égale à celle de la lune originelle, or, cette dernière va bientôt s'éteindre. Retrouve-moi ces rubis, voleur et apporte-les-moi.

Ses yeux gris se figèrent tandis qu'il réalisait ce qu'elle lui demandait de faire. Il avait beau se représenter le péril qui les guettaient tous, il ne pouvait se résoudre à redevenir cet homme-là.

  • Je vous en supplie. Ne m'obligez pas à leur faire du mal. Je ne veux plus ôter la vie à qui que ce soit. J'en suis incapable désormais.
  • Tu l'étais autrefois. Le monstre. Celui qui mutilait des enfants pour accaparer leur pouvoir. Te rappelles-tu la sensation que cela te procurait ? Nous t'avons accordé le pardon pour tes actes en échange d'une entière soumission aux lois de l'Astrid que tu as tant bafoué.

Oscar se bouchait les oreilles. Il ne voulait plus l'entendre. Ni elle, ni les cris des enfants qu'il avait torturés et dont les suppliques resteront à jamais empreintes dans sa mémoire. Lana observa sa réaction, lui offrant un ton rassurant afin de mieux le convaincre.

  • Notre peuple compte sur toi. Ne les abandonne pas. Ne nous abandonne pas.

Elle posa la main contre sa joue brûlante et ils se regardèrent. Autour d'eux, des hommes et des femmes entrèrent dans la pièce, suivis par des enfants qui observaient avec curiosité les lieux. Ils s'arrêtèrent à quelques pas de Lana et Oscar. Ce dernier quitta les yeux de la femme en face de lui pour les regarder.

Les adultes, hormis lui et Lana, avaient quitté la pièce. Oscar rencontra le regard d'un garçon qui pleurait. Il releva les sourcils avant de s'approcher de lui, puis, de s'agenouiller à sa hauteur. Essuyant les larmes qui glissaient sur les joues rebondies de l'enfant, il le rassura.

  • Je sais que vous êtes tous loin de chez-vous, mais tu n'as pas avoir peur. Dans l’Éphémère, nous sommes tous une grande famille. Et, ton peuple, les Vrahl, font partie de nos plus proches alliés. Ta planète est différente de la nôtre, certes, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas nous comprendre.

Il se redressa et augmenta le volume de sa voix afin que tout le monde dans la pièce puisse l'entendre.

  • Les Astridiens et les Vrahl sont solidaires et ont toujours agi pour le bien de tous. Vous avez le pouvoir de nous aider à guérir l'Astrid et, votre peuple, conscient de la hauteur du sacrifice que nous lui avons demandé, n'a pas hésité une seule seconde pour nous venir en aide. C'est la raison pour laquelle vous êtes ici. La chose qui nous manque est...
  • Vous allez nous tuer ?

Le garçon, à qui il avait essuyé les larmes, le coupa. Il s'était adressé à lui d'une voix tremblante, effrayé de se retrouver ici, si loin de chez-lui et tenaillé par la peur de mourir.

Oscar ouvrit la bouche, s'apprêtant à dire quelque chose, mais il ne put se résoudre à le faire. Lana, qui était restée à ses côtés pendant son discours, lui jeta un regard encourageant afin de l'inciter à faire ce qu'il avait à faire. Malgré son regard insistant, il n'avait pas la force de récupérer les rubis. Il se voyait dans le regard du garçon. Tous les deux s'écrasaient face aux ordres qu'ils recevaient. Plus Oscar s'attardait sur sa détresse, plus il repoussait l'idée de leur faire quoi que ce soit.

Parce qu'il était un voleur, parce qu'ils étaient les victimes.

Parce qu'il n'avait pas eu le choix, parce qu'ils devaient se sacrifier.

Parce qu'il voulait mourir pour ne plus avoir à se supporter, parce qu'ils voulaient vivre.

Oscar avait fini par commettre l'ultime sacrifice. Au lieu de dérober le cœur des enfants du peuple des Vrahl pour les transformer en rubis, il s'est lui-même arraché cet organe vital tant convoité. Ainsi, Oscar, l'enfant du soleil et de la lune originelle redevint une étoile, comme au jour de sa naissance, tandis qu'il brillait de mille feux dans le ciel de l'Astrid.

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