Chapitre 2

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Constantin Lartigue, 43 ans, veuf sans enfant de Sophie Duplessis, emportée par un cancer du pancréas en quelques semaines, avait failli sombrer dans un dépérissement programmé après ce coup de sort. Sophie et Constantin formaient un couple fusionnel que tous enviaient dans le village de Domme. Libraires, ils travaillaient ensemble et ne s’étaient pas quittés un seul jour depuis leur rencontre dans la boutique que Constantin avait héritée de son père.

Leur première séparation avait eu lieu le jour de l’hospitalisation en urgence de Sophie à l’hôpital Jean Leclaire de Sarlat. Cette nuit-là, Constantin n’avait cessé de se tourner et retourner dans son grand lit froid, pour ne trouver le repos que deux ou trois heures avant l’aube. Hélas, trois semaines plus tard, la séparation devenait définitive.

Passée l’épreuve des obsèques, la tension nerveuse qui l’avait tenu debout tous ces premiers jours de deuil, brutalement abandonna Constantin. Il cessa d’ouvrir la boutique, de se raser et de s’alimenter. Il errait entre l’appartement et la boutique, vidait une à une toutes les bouteilles d’alcool de la demeure, avant de sombrer n’importe où dans un sommeil éthylique.

Ses amis durent finalement se faire ouvrir la maison, pour lui éviter un naufrage annoncé. Ils l’obligèrent à signer son entrée dans une clinique spécialisée, à deux cents kilomètres de là. Il devait y rester trois mois.

À sa sortie, ce n’était plus le même homme. Amaigri de dix kilos, il avait perdu la plupart de ses cheveux dont le reste avait blanchi et parlait d’une voix empâtée au débit ralenti.

Il fallut du temps encore pour que l’effet des neuroleptiques s’atténue puis disparaisse et que Constantin retrouve une mobilité et une élocution normales. Il rouvrit sa boutique. Les clients fidèles revinrent. La vie reprit son cours, sauf que, pour ne pas prendre ses repas seul face au mur ou l’écran du téléviseur, Constantin déjeunait et dînait désormais à l’auberge voisine. À ce compte-là, il ne gagnait pas d’argent, mais l’assurance vie qu’il avait souscrite en faveur de Sophie quand elle avait hérité de sa mère, lui permettait cette dépense.

Il avait déjà, du vivant de Sophie, du goût pour les meubles anciens. Ils s’étaient meublés chez le brocanteur du coin. Et la librairie avait conservé ses rayonnages d’antan, son échelle coulissante, ses comptoirs de bois ciré, comme du temps de son père. Ses amis ne furent donc pas surpris de le voir bientôt courir ventes aux enchères, brocantes et vide-greniers de tout le département. Mais à force d’acheter, vendre aussi devint nécessaire, car l’appartement et ses annexes, même sans Sophie, n’étaient pas extensibles.

Voilà comment Constantin Lartigue devint brocanteur amateur d’abord, puis professionnel bientôt, ce type de commerce s’avérant plus rémunérateur dans un village touristique comme Domme qu’une simple librairie. Les parutions nouvelles, sitôt publiées, sitôt oubliées pour la plupart, disparurent des étagères et présentoirs. Il se cantonna aux livres anciens et éditions rares pour collectionneurs et spécialistes et libéra de l’espace pour des meubles et bibelots en tous genres. Ce voisinage composait une boutique étonnante, chaleureuse, à son image, où l’on respirait l’encaustique et le vieux papier.

Située place de la Rode, un des deux foirails de la ville, la boutique n’occupait pas un emplacement de premier choix sur la place fleurie de la Halle, mais la bastide, fondée en 1239 par Philippe le Hardi, n’était pas si grande, avec moins de mille habitants, qu’on n’achevât, en moins d’une demi-heure, le tour de son trapèze en passant devant chez Constantin, qui, en fin de compte, trouvait cet emplacement tout à fait à son goût.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

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