12 - Le Disciple ne comprend pas l'Initiation

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« Quel vieil idiot buté et haineux vous êtes ! Jamais je n’ai regardé votre manuscrit, c’est bien la première fois que je le vois ! lance Célio, voix glaireuse, haine au ventre, les poings serrés, prêt à en découdre avec cette vieille loque surannée qui considére avec un air bête, dans un silence contrit qui veut tout dire. Vous êtes juste jaloux, parce que j’ai un chef-d’œuvre et vous, vous n’avez rien ! Vous êtes jaloux de la vie littéraire que je vais avoir, que vous n’avez jamais eue et que vous n’êtes plus prêt d’avoir ! Vous êtes parti dans la montagne pour fuir, comme la merde que vous êtes, parce que vous n’êtes rien, tout juste bon à tendre la croupe pour un article qui ne vient pas ! »

Et le poing de Célio de s’abattre sur le vieil homme, qu’il rosse, matraque, détruit ; et le monde de tourner dans la vision floue d’un feu qui danse, car l’ermite n’y voit plus rien que des braises et un rideau de ténèbres s’abattre sur lui, celui de ses yeux menacés de s’éteindre à jamais ! Célio le met à terre, lui crache au visage, le frappe et se sent bien, comme transfiguré par cette force qui le domine, cette certitude de ce qu’il est en phase de devenir : un faiseur de maux ! Celui qui inventera la littérature de demain : fausse, mimétique, sans une once d’originalité, mais apte à séduire tout le monde, puisque bricolée, mensongère, racoleuse.

Et, comme il faut en finir ici et maintenant, que cette noirceur térébrante circule dans les veines de Célio jusqu’à l’envahir tout entier comme une transe, possédé, il jette l’œuvre d’une vie dans l’âtre qui ondoie : cette odyssée, d’un lancé furieux, s’écrase dans cette bouche de flammes, s’embrase, léchée par ces bras fantômes aux allures de serpents. Folles, effrénées, elles se saisissent de l’encre noire et projettent sur les murs du chalet, en milliers de flammèches, mille fleurs maudites qui rongent le bois, s’étendent, s’enivrent et dévorent tout, voraces, en danses frénétiques.

Et la maison de s’évanouir dans l’écrin de neige : à peine un tas de bois, fumant de noirceur dans l’horizon nocturne. Et le silence de revenir dans la montagne, à la mesure de la nuit qui déroule sa lente partition d’abîme. Au fil des jours, les traces de pas s’effacent, ces hommes des mémoires s’envolent et disparaissent ; pourtant, leurs spectres se profilent dans chaque initiation, dévorent chaque jeune lettré qui, après avoir lu, désire écrire, trouver sa Voix, mais sombre dans le faire d’un autre. Las ! Comme il est facile de regarder ce que font les autres, de les suivre, les imiter, plutôt que de tracer son propre chemin, invisible et si peu rassurant.

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