Prologue

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Le royaume de Delotr est un immense territoire désolé, rocailleux et désertique, situé au sud du continent d’Averolt. La population n’excède pas la dizaine de millions d’habitants, dont les deux tiers sont dispersés dans une multitude d’oasis sans grande importance. Un tiers de la population vit dans des villages de pêcheurs, le long des côtes. Argyris, la capitale, installée à proximité de l’Ister, le seul fleuve, se trouve plus en retrait, à l’intérieur des terres, tant pour la protéger des pillards que pour sa situation stratégique qui en fait un passage obligé pour les caravanes.

Cette ville, fortifiée, opulente, est riche, très riche, bien plus que ce que sa situation pourrait suggérer. Sa position explique une partie de sa prospérité mais, bien plus que son statut de carrefour, elle doit sa fortune à la richesse minérale du désert. Argyris est un centre de production minéral extrêmement important pour tout le continent et même au-delà. Le sultan qui dirige ce pays est réputé ne rien laisser au hasard, aussi en plus du commerce des denrées, des épices et des minéraux, il ne néglige pas les autres ressources, fussent-elles le fruit de raids et de rapines, quand il ne s’agit pas de trafic d’êtres humains. La magie n’est pas un sujet resté dans son angle mort puisque toutes les pratiques, ou presque, sont permises, ce qui fait de ce royaume un refuge pour les renégats, les nécromanciens et les coupes-jarrets et autres pirates devenus trop connus pour demeurer dans leurs terres d’origine. La rumeur veut que Lerat Lis Delerah, l’actuel régent, se soit fait un nom, dans ses jeunes années, en tant que pirate, avant de succéder sur le trône. D’aucuns prétendent qu’il n’était autre que le Dentiste, surnom acquis en raison de ses méthodes de torture et de son sadisme.

Bien loin de ces considérations, une petite fille, vêtue de haillons, pieds nus, s’affairait à récupérer les denrées abîmées, abandonnées par les marchands, avant qu’elles ne finissent piétinées. À la faveur d’un âne effrayé par un chien errant, la gamine avisa une orange de belle taille qui venait de tomber au sol. Alors que, rampant, elle s’apprêtait à s’en saisir, un pied lui écrasa délibérément la main. Poussant un cri de douleur, massant sa main endolorie, elle se rendit compte qu’elle était entourée d’un petit groupe d’adolescents sans foi ni loi, une bande de petite frappes qui faisait dans la rapine et prenait plaisir à harceler les plus faibles. Celui qui était visiblement le leader l’orange dans la main, se moquait.

_Alors Yuyu, on se traîne dans la poussière?

Un autre ajouta.

_Toujours aussi crade.

La gamine, furieuse et effrayé, rétorqua crânement.

_Donne moi l’orange.

_Je l’ai vue en premier.

_C’est pas vrai. Tu m’as marché sur la main pour m’empêcher de l’attraper.

_Et c’est moi qui l’ai. Donc elle est à moi.

_Voleur.

_Qu’est-ce que tu as dis? Tu m’a appelé comment?

_Voleur!

Le garçon lui balança un coup de pied, la projetant en arrière et la faisant fondre en larmes.

_Oups désolé, mon pied a glissé. Tu disais voleur? C’est bien vrai.

La petite troupe malfaisante retourna à ses basses oeuvres, laissant la petite fille en larmes. Elle sanglotait, au pied d’un mur, pelotonnée, ses bras enlaçant ses genoux. Elle entendit une voix féminine, jeune, chaleureuse, tout proche d’elle, ce qui la fit sursauter. Sortant la tête de ses genoux, elle vit d’abord une main tenant une orange appétissante puis, se redressant pour voir qui lui tendait le fruit si tentant, elle croisa le regard d’une jeune adolescente, aux yeux verts magnifiques, qui lui souriait d’un air bienveillant.

_Je crois que ça te revient.

_Pour moi, mais je, euh…

_Tu l’as perdue, tout à l’heure, tiens, n’aie pas peur.

La petite gamine devant une telle expression, ne put résister. Elle s’empara du précieux trésor qu’elle cacha immédiatement dans ses guenilles.

_Tu devrais retourner auprès de ta maman, elle doit être morte d’inquiétude.

L’adolescente n’avait pas sitôt prononcé ces mots qu’elle ne regrettait et que la petit fille devant elle fondait en larme. L’adolescente s’agenouilla, n’ayant d’autre possibilité que de prendre la fille dans ses bras pour la consoler.

_Tu… tu n’as plus de maman?

La petite fille hoquetait.

_Elle est malade… très malade…

L’adolescente lui tendit une autre orange et un pain.

_Tiens. Pour toi et ta maman.

La gamine n’en revenait pas.

_Mais…

_Ce n’est rien. Je… je dois y aller. C’est comment ton nom?

_Yuyu!

_Au revoir Yuyu.

_Au revoir… comment tu t’appelles?

_Pour toi, Linaevia, mais d’habitude, je suis seulement La Vagabonde.

Un bruit venant de la cohue qui occupait la rue attira l’attention de la petite fille. Le temps que son regard fasse l’aller-retour, l’adolescente avait disparu. Elle s’était éclipsée dans la foule. La petite fille était toute triste mais aussi contente, elle avait quelque chose à ramener à la maison. Ce qu’elle ignorait, c'est que discrètement, l’adolescente, tel un ange gardien, la suivait. La gamine traversa une bonne partie de la ville jusqu’à arriver dans un quartier périphérique misérable. La petite fille pénétra dans un immeuble miteux et après avoir monté les escaliers, s’arrêta devant une porte abîmée, au dernier étage.

_Maman, je suis rentrée.

L’adolescente, postée sur une corniche, au dessus de la fenêtre, entendit la petite fille sangloter. Personne ne lui avait répondu. Le lendemain matin, l’adolescente vit la petite fille repartir. Elle profita de l’occasion pour pénétrer par le fenêtre, qui n’était protégée que par un rideau élimé. Le logement n’était constitué que d’une pièce, avec une table, une chaise et un lit de paille aménagé à même le sol, sur lequel une femme était allongée, les yeux clos. Un instant l’adolescente pensa qu’il s’agissait d’un cadavre, mais une très faible respiration était perceptible. La fille se pencha pour prendre le pouls de la dame allongée. Elle faisait peine à voir. Extrêmement maigre, la peau grise, le visage émacié, il était manifeste qu’elle n’avait pas mangé depuis plusieurs jours et sans doute pas bu depuis un jour ou deux. L’adolescente espérait qu’aider la petite fille suffirai mais après avoir vu sa mère, il était évident que d’ici un jour ou deux, elle serait orpheline.

Alors qu’elle s'apprêtait à repartir, elle entendit comme un râle. Se retournant, elle vit la femme ouvrir les yeux, puis les refermer, puis tenter de bouger un bras. Elle émit de nouveau un râle. L’adolescente s’approcha. Visiblement, la femme voulait lui parler.

_Vous voulez me dire quelque chose?

La femme opina de manière presque imperceptible. L’adolescente s’approcha pour permettre à la mourante de lui parler sans trop d’efforts.

_C’est… vous… orange…

_Oui, c’est moi qui lui ai donnée.

_Me… merci. Je… je… vais… mou… mourir. S’il… s’il…

La femme luttait pour parler.

_S’il… vous plait… em… menez… Yuyu.

L’adolescente s’y attendait mais elle était aussi réticente.

_Je ne suis qu’une vagabonde.

La femme une un léger sourire.

_Vous… a…ez… bon coeur…

_Je vais voir ce que je peux faire.

_Hmm hmm.. Pro… promettez!

La femme avait réuni ses dernières forces pour dire le mot en entier. L’adolescente n’eut pas le coeur de rejeter la requête d’une mourante.

_Je… très bien, je vous promets de veiller sur elle, au moins le temps de lui trouver une famille capable de bien prendre soin d’elle.

Il n’en fallait pas plus pour rassurer la mère de famille. Elle avait un léger sourire. L’adolescente fut navrée de la voir rendre l’âme alors que la gamine était en train de lutter dans les rues commerçantes, espérant trouver un remède pour sa maman. L’adolescente hésita. Devait-elle la rechercher dans le centre, ou valait-il mieux l’attendre dans l’appartement? Finalement, elle décida d’attendre sur le toit et de n’apparaître qu’une fois que la petite fille aurait découvert le corps inanimé et sans vie. L’attente ne fut pas vaine. Alors qu’elle attendait, dans un autre logement, elle entendit une conversation des plus révoltantes mais aussi des plus intéressantes.

_Vous êtes sûr que sa mère est mourante?

_Une petite fille ne peut pas s’occuper d’une mère en train de mourir de faim. Cette obstinée s’est privée pour nourrir sa fille. Elle espérait sans doute empêcher que la petite nous tombe entre les mains. D’ici quelques jours, Yuyu sera orpheline et nous pourrons la récupérer.

_Pourquoi attendre?

_Idiot! Dès lors que la mère sera morte, nous pourrons agir en nous faisant passer pour de la famille ou des mandataires civiles. Personne ne posera de question. Si la fille venait à disparaître avant, cela pourrait provoquer une enquête.

L’adolescente serra les poings tellement fort, qu’elle provoqua un léger saignement quand ses ongles percèrent ses paumes. Des trafiquants d’êtres humains. Et de la pire espèce entre toutes, ceux qui n’épargnent même pas les enfants, les servants aux acheteurs les plus pervers, que ce soient des obsédés ou des nécromanciens. Elle hésita. Devait-elle agir maintenant, ou attendre que Yuyu revienne? Elle décida de voir d’abord à qui elle avait affaire. Usant de tout son savoir faire, elle ne mit pas longtemps à découvrir qu’il n’y avait là que trois hommes, de vulgaires brigands, opportunistes sans envergure, habitués à harceler le faible et craindre le fort. Elle leur accorda une mort rapide, ne leur laissant pas le temps de comprendre. L’adolescente n’avait pas de temps à perdre, elle voulait être sûre de ne pas rater le retour de la petite Yuyu. Et effectivement, la gamine arriva peu de temps après.

L’adolescente eut le coeur brisé en entendant les pleurs de la petite fille.

_Maman. Je suis rentrée. Maman! Maman? Maman, pourquoi tu respires plus? Maman? Maman! Maman… me laisse pas… maman…

Se mordant les lèvres pour empêcher les larmes de monter, l’adolescente se présenta à la porte.

_Yuyu?

_Linaevia?!

La petite fille resta un instant stupéfaite avant de se précipiter dans les bras de l’adolescente.

_S’il-te-plaît, sauve ma maman. Elle ne réagit plus. Elle ne respire plus. S’il-te-plaît, sauve ma maman. Je veux pas… je veux pas être toute seule.

L’adolescente ne fit rien, ne prononça pas un mot, se contentant de garder la gamine dans ses bras jusqu’à ce qu’elle se calme.

_Ta maman est très fière de toi. Tu as fais tout ce que tu pouvais pour bien t’occuper d’elle. Mais… elle ne pouvait pas rester.

_Pourquoi? C’est ma maman! Elle doit rester près de moi!

L’adolescente la serra contre elle.

_Elle a été appelée dans le monde des étoiles, afin de veiller sur toi de là haut. S’il elle restait ici, elle… n’aurait pas pu te protéger aussi fort qu’une maman veut protéger sa petite fille. Tu comprends?

_Elle pourra mieux me protéger de là-haut?

_Oui.

_Mais je vais être toute seule ici, en bas. Je ne peux pas la rejoindre là-haut? Je ne peux pas être dans les étoiles avec elle?

L’adolescente se sentait désarmée.

_Elle… s’est dit que tu pourrais peut-être m’accompagner.

_Pour de vrai? Je ne serai pas toute seule alors?

_Je peux être une peu comme ta grande soeur.

_Mais je ne peux laisser ma maman comme ça ici.

_Tu veux bien me faire confiance?

La gamine opina.

_On va faire le nécessaire, on ne quittera pas la ville sans avoir dit proprement au revoir à ta maman avant de partir en voyage.

La petite fille prit un air décidé. L’adolescente lui pose la main sur la tête comme un signe d’approbation.

_Bien. Il est temps de dormir.

_Je… je peux veiller ma maman?

L’adolescente en resta bouche bée.

_Ou…oui, bien sûr.

Elles restèrent toutes les deux, à côté du corps sans vie, juste éclairées par une bougie. La gamine cependant, ne tarda pas à s’endormir, blottie contre l’adolescente. Sanglotant dans son sommeil, la petite fille murmurait : Maman, maman pars pas… Au petit matin alors que le soleil se levait à peine, l’adolescente réveilla la petite fille.

_Il est temps de partir, rester ici est trop dangereux.

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