Chapitre unique

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La pièce chaleureuse signale l’arrivée d’une jeune femme par son parquet grinçant et la fermeture de sa porte antique. Un ouvrage entre ses doigts, elle s’avance lentement vers l’autre occupant du lieu. Le bruit résonne déjà comme une mélodie aux oreilles de cet homme que la brune connaît depuis toujours. Le feu crépitant la réchauffe à l’instant-même où elle s’assied sur la vieille chaise en bois. Pourtant, elle frissonne, une fois en face de lui, comme si sa vie avait changé là, maintenant. Tout comme le sol, le siège gémit à son contact, mais cela n’empêche pas la curieuse de croiser les jambes et de prendre une grande inspiration avant de parler.

– J’ai lu, dit-elle en plongeant un regard intense dans le sien.

Ensuite, elle attend une réponse. Il sourit en détournant la tête, ses yeux brillant d’un éclat que jamais la belle n’avait constaté. Puis l’expression sombre du jeune homme revient vers elle. Tandis que la grâce le trouve séduisant, le mystérieux se fait surprendre car il ne l’avait jamais trouvée si belle. Mais la malice prend le dessus sur l’attirance pour celle qu’il a choisie. Dans son ton est traduit un amusement contenu par le calme de cet environnement confiné.

– Tu n’as pas compris ? demande-t-il en connaissant déjà la réponse.

L’air boudeur,de caractère fier, elle s’adosse au dossier branlant et croise les bras, laissant maladroitement tomber le livre. Ses lèvres pincées, il ramasse ce qu’il considère comme son chef d’oeuvre et reste accroupi quelques secondes, trop fatigué pour argumenter.

– Alors je vais tout te raconter, dit-il doucement en se réinstallant.

Gratifiant sa muse d’iris enflammés, il lui dit des choses si envoutantes qu’elle a l’impression de les vivre. L’homme qu’elle veut aimer lui apprend qu’il y a très longtemps, le Futur ne se nommait pas. Seul existait l’instant présent, la survie et les apprentissages. Lorsqu’enfin les êtres purent penser, le Futur fut désigné comme le Maudit. On croyait les Dieux plus puissants que leurs Enfants et on n’osait pas imaginer ce que la postérité réservait au genre Humain. Au fil des siècles, il se changea en l’Incertain car les guerres, les famines et les épidémies ravagèrent les plus fragiles.

Le conteur regarde sa source d’inspiration et lui détaille que, bien après ces épreuves, le Futur se nomma Renaissance. Mais il redevint Révolution, car les injustices continuèrent de frapper les Hommes. Ces derniers combattirent des fléaux innommables pour obtenir ce qu’ils estimaient mériter. Le charmeur qui s’ignore dit qu’il aime appeler le Futur de la période suivante la Guerre. Car le pire fut que les fous s’exterminèrent eux-mêmes et n’apprirent pas de leurs erreurs. Enfermés dans une perfection qu’ils pensaient pouvoir atteindre, illusoire, le Futur fut dès lors baptisé Destinée.

Finalement, il détailla qu’ainsi camouflés dans leurs mensonges pendant les décennies de ces époques, les vivants inventèrent malgré tout l’impossible. Tordu dans tous les sens entre leurs membres créateurs, le Futur porta le nom d’Art. Beigné dans celui-ci, ils parlèrent de voyages dans des contrées imaginaires, qu’elles soient fantastiques ou spatiales. La peinture, la musique, la danse et l’écriture guidèrent les plus ouverts en direction de la liberté, jusque-là effacée dans ce Futur également appelé Profit. Ils ne purent cependant pas nier cette dure réalité et durent renommer le Futur Quotidien.

– Ce n’est pas cela que je voulais savoir, lâche-t-elle dans un murmure.

Il la fixe longtemps puis se loge un peu plus dans son fauteuil abîmé, comme contrarié par sa remarque.

– Quoi ? Tu veux que je parle de ce Futur-là ? L’Oubli ? Celui où nos cerveaux ont été remplis par les faux médias, par l’hypocrisie des dirigeants, par la soif de pouvoir, par le racisme et l’homophobie ? Ou bien ce Futur où est née la Haine, cette Envie de tout détruire au nom de qui-nous-plaît ? L’Incompréhension, sous prétexte que nous sommes trop ? Alors on pourrait justifier d’avoir jeté des mômes dans les poubelles, d’avoir consommé tant que la Terre n’a plus de sang ?

Debout, elle pose sa main sur sa joue et il se calme immédiatement. Les doigts du passionné tremblent sur la couverture de son monologue.

– Non, pas ce Futur-là, renchérit-elle en scrutant les flammes. Qu’est-il advenu de ce Futur où nous souhaitions une économie prospère, la vie pour tous et sans excès... juste la vie ?

– Il s’appelle Naïveté et il est mort en même temps que l’Oubli, dit-il sèchement.

– Je ne crois pas. N’est-il pas justement enfoui en chacun de nous, sans que personne n’arrive à le mettre en avant ? Sans premier pas, juste parce qu’il fait peur ?

– Le Futur ne me fait pas peur...

– Alors pourquoi tu ne parles pas de l’Idéal, dans ton roman ? Ce Futur que tout le monde souhaite voir naître ?

L’impatient se lève et repousse la douce caresse, s’approchant du visage de la demoiselle, provoquant et décontenancé à la fois.

– Pourquoi es-tu revenue ici ? articule-t-il en serrant légèrement les dents.

– Pour te revoir. Parce que tes lignes m’ont expliqué qui tu étais devenu. Et cela ne me plaît pas. Je ne veux pas que ton Futur se mue en Colère, en Remords, en ce que tu détestes le plus.

De sanguin, il passe à stupéfait et fait un pas en arrière.

– Je ne t’ai pas donné mon travail pour cela.

– Voulais-tu seulement me revoir ? Ou attendais-tu que je crache sur celui...

– Assez !

Un lourd silence pèse sur ce couple étrange. Ils ne se regardent pas comme précédemment, chacun fixe un coin de la pièce, bien moins chaleureuse qu’avant. Plusieurs minutes durant, ils écoutent le souffle de l’autre, auquel il voudrait mêler le leur. Et lorsqu’il se repose sur son refuge, elle avance au point que ses genoux touchent les siens. Tout ce qu’il croise alors sont ses doigts avec les siens, ses pensées encore égarées.

– En réalité, reprend-elle. Je suis revenue pour te poser une question.

Elle s’installe sinueusement sur celui qu’elle désire, une main posée sur le coeur du penseur, l’autre sur sa nuque. Leurs organes de vie menacent de sortir de leurs poitrines lorsqu’il la regarde, intrigué par sa prochaine demande.

– Comment penses-tu que s’appellera Notre Futur ?

Un soupire, puis un sourire de la part de l’interrogé. Pas de malice, cette fois-ci, plutôt un soulagement. Quelque chose de sincère. Pour conclure, un geste tendre induit par des mots.

– Faisons en sorte qu’il incarne l’Imprévisible.

Puis, langoureusement, il dépose un profond baiser sur la bouche palpitante de son Avenir.

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