Chapitre 36

6 minutes de lecture

Hana

« Un malheur ne vient jamais seul. »

  • Rutebeuf

Je suis peut-être naïve, mais j'aime à croire que cette citation s'applique également au bonheur. Peut-être parce qu'en ce moment, tout s'aligne parfaitement dans ma vie.

J'ai validé mon année de psychologie avec mention, j'ai obtenu un stage d'observation dans une association pour valoriser davantage mon cursus et j'ai profité du temps libre octroyé par les vacances d'été pour me réinscrire dans un club de basket avec une nouvelle coach pour qui mon voile n'était absolument pas un problème. Plutôt pas mal, non ?

Et pourtant, ce n'est même pas le meilleur, parmi toute cette déferlante de bonnes nouvelles. Parce que le procès pour juger le cas de Naïm s'est également tenu ce mois-ci. Et entre ma plainte d'agression déposée au commissariat, le témoignage poignant d'Eva, et sa tentative d'homicide volontaire envers Reda, il n'a clairement pas été épargné. Malgré la tentative de son avocat de faire passer ses actes sous l'excuse d'une maladie, l'évaluation psychiatrique du service a instantanément réfuté ces faits. Alors Naïm a été condamné. Condamné à quelques années de prison, ainsi qu'à payer une amende de plusieurs milliers d'euros.

Je me mordille la joue intérieure pour contenir ma frustration. Je sais que je devrais m'estimer heureuse de cette peine, mais je ne peux m'empêcher de ne pas la trouver assez lourde. D'autant plus quand on sait que le sort de Naïm a majoritairement été influencé par son geste envers Reda, sans tenir réellement compte de ses actions envers Eva et moi, comme si nos deux témoignages d'agression n'étaient pas suffisamment impactants pour les prendre en considération. La justice française, j'ai envie de dire...

  • Hana !

La voix stridente de Lucy me tire de mes pensées.

Elle a également profité de ses congés pour venir me visiter, et je dois admettre que j'en suis vraiment comblée.

  • Ce mariage ne va pas s'organiser tout seul, je te signale !
  • Oh mon dieu !

Sur ces mots, mes joues prennent feu.

Je crois que mon esprit avait intentionnellement oublié d'évoquer ce détail.

  • Arrête de prononcer ce mot, je suis déjà assez gênée ! je m'exclame, les sourcils froncés.
  • Oh Hana... me rétorque-t-elle alors avec un sourire mutin, s'il-te-plaît pas à moi...

J'arque un sourcil, incrédule.

  • Quoi ?
  • Je sais très bien que tu n'attends que ça...
  • Lucy !

Je m'empresse de lui balancer mon peigne en bois à la figure.

  • Aïe ! Hé, Hana ! Ça fait mal !
  • Ne viens pas me dire que ce n'était pas mérité !

L'espace d'un instant, Lucy me toise, avant de finir par s'esclaffer.

Je mêle alors mon rire au sien, et nous continuons de nous amuser de la situation durant un moment.

Il faut dire que Lucy a été la première personne à être avertie de mon projet de mariage avec Reda, avant même ma mère dont je n'appréhendais pourtant pas la réaction. Après tout, elle m'avait déjà confié qu'elle apprécierait me voir avec Reda. Surtout depuis l'agression. 

L'annoncer à mon père, par contre, n'a pas été aussi simple. D'abord un peu mitigé à cause de mon jeune âge et de ma situation, ses doutes se sont néanmoins évaporés lorsqu'il a rencontré Reda pour la première fois. Je me souviendrai toute ma vie de la manière dont leur discussion a dévié sur les dernières performances du Real Madrid alors qu'à l'origine, on parlait de moi. Ce jour-là, j'ai su qu'ils étaient faits pour s'entendre. Au fond, je crois que mon père a surtout eu du mal à se faire à l'idée de se séparer de sa seule et unique fille.

Pourtant, mon envie de me marier ne m'a pas empêchée de rester réaliste. Même si je lui ai proposé de me dégoter un job étudiant à côté de mon master de psychologie, Reda n'a rien voulu entendre. Pour lui, il était hors de question que je participe aux dépenses du foyer. Il tenait absolument à assurer son rôle islamique sur ce point. Mais avec ses études d'informatique à gérer, il avait conscience de la difficulté à laquelle il s'exposait pour travailler à côté et il ne voulait pas non plus m'entraîner dans une situation de précarité. Alors nous avons opté pour une autre solution. Nous nous sommes mis d'accord pour nous marier tout en continuant de vivre chacun de notre côté, le temps de concrétiser nos projets. Ce qui ne m'a pas déplu, au contraire. Je crois que j'aime la perspective de prendre le temps de m'adapter dans cette nouvelle étape de ma vie.

Finalement, la seule chose qui me peine un peu dans toute cette histoire, c'est l'absence de la mère de Reda. J'ai eu l'occasion de discuter avec elle à plusieurs reprises, via Whatsapp, et je l'ai adorée. Elle est si douce, si tolérante et si conciliante... Avec ses cheveux bouclés châtain et ses prunelles émeraude, j'ai eu l'impression qu'elle n'avait que son apparence de commune avec Reda. Alors forcément, lorsqu'elle m'a confié qu'elle ne pourrait pas effectuer le déplacement depuis Alger, j'étais dégoûtée.

Mais ce n'est que partie remise. Je lui ai promis que je ferai tout pour organiser une magnifique célébration traditionnelle, un peu plus tard, en Algérie. Si Allah le veut, bien sûr.

Quant à son père, je n'ai jamais eu l'opportunité de le rencontrer. Reda m'a brièvement expliqué le contexte passé, alors je dois avouer que je n'ai pas voulu insister.

  • Au fait, Hana... m'interpelle Lucy tout en remplissant les sachets de gâteaux pour les invités.
  • Oui ?
  • Comment est-ce que tu te sens ?

Je lève la tête et remarque que son visage a laissé place à une expression plus sérieuse.

  • Qu'est-ce que tu veux dire ?
  • Eh bien, c'est la première fois que tu vas te retrouver aussi proche d'un garçon, non ?

J'opine du chef, sur la réserve.

  • Est-ce que cette perspective t'angoisse ? ajoute-t-elle alors, intriguée.
  • Quoi ?
  • Je te demande ça parce que je sais qu'avec Clay, c'était un peu ce que je ressentais...

Je ne suis pas certaine de comprendre où ma meilleure amie souhaite en venir.

Je décide alors de m'approcher d'un pas pour lui prêter l'oreille, attentive.

  • Marcher à ses côtés, lui tenir la main, l'enlacer... tous ces codes ne m'étaient pas vraiment familiers...
  • Oh.

Maintenant, je comprends mieux où Lucy souhaite en venir.

Elle sait très bien que j'ai passé ma vie à me préserver de tout contact avec le sexe opposé. Alors j'imagine qu'elle doit s'inquiéter de me voir passer de l'autre côté.

  • J'étais toujours angoissée, la gorge serrée, l'estomac noué...
  • Quoi ? Sérieusement ?

Je ne peux m'empêcher de lui adresser un regard consterné.

Lucy fait sans doute partie des personnes les plus démonstratives que je connaisse, alors j'avoue que j'ai du mal à réaliser qu'elle ait pu autrefois être aussi embarrassée.

  • Oui ! Je sais que ça peut paraître difficile à croire, mais j'étais vraiment gênée !

Je laisse échapper un rire face à son aveu.

  • Tu sais, à un moment, j'ai même fini par douter de ma sincérité et j'ai pensé à le quitter !
  • Quoi ?

Je replie mes jambes sur ma poitrine, les prunelles écarquillées.

  • Laisse tomber, heureusement que je ne l'ai pas fait...
  • Mais alors qu'est-ce qui t'a fait t'accrocher à cette relation ?

Elle se redresse légèrement, m'adresse un sourire discret, avant d'ajouter :

  • J'ai simplement réalisé que le lâcher-prise était la clé !
  • Le lâcher-prise ?

Elle hoche la tête en guise d'approbation.

  • Arrêter d'essayer d'en faire trop, de me comparer aux autres relations, mais surtout, accepter que chacun d'entre nous est unique et avance à son propre rythme !
  • Lucy...
  • Alors Hana, si tu te sens incapable d'effectuer certaines choses pour le moment, ce n'est pas grave. Promets-moi simplement de ne jamais franchir tes limites pour satisfaire un garçon.
  • Bien sûr, je te le promets...

Un sourire se dessine malgré moi sur cette pensée.

Parce que la perspective de laisser Reda me toucher ne m'effraie pas.

Je crois qu'au contraire, l'idée de pouvoir l'effleurer sans ressentir une seule once de culpabilité ne fait qu'accroître le désir en moi.

  • De toute façon, si Reda t'aime vraiment, il patientera ! s'exclame alors Lucy en m'adressant un clin d'œil.
  • Oui, ça je n'en doute pas...

Sur ces mots, j'attrape l'un des rubans disposés sur la table de chevet pour l'enrouler autour d'un coffret. Parce que comme le dit si bien Lucy, ce mariage ne va pas s'organiser tout seul.

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