Chapitre 10 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l’été, à une centaine de lieues à l’est du château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.

Au point où nous en étions, je me demandais si je reverrais jamais mon foyer et ma famille. Le sous-bois où nous étions installés depuis plusieurs jours ressemblait à d’autres que nous avions traversés au cours des dernières semaines. Les ondulations de terrain, les ruisseaux et les prairies nuançaient le paysage, mais pas assez pour que je pusse situer exactement où nous nous trouvions. Sans compter que notre meneur tyrannique prenait soin d’éviter tout village ou âme qui vécût.

Nous étions quinze au total : les treize gardes royaux, dont Errick, leur chef, le comte Ace Wessex Bastelborn et moi. Nous avions cinq chevaux avec nous, pour transporter les vivres et le matériel de campement. Le reste des animaux, à l’origine au nombre de seize, avait été échangé dans différents villages contre de la nourriture, de l’eau ou des vêtements. Rien pour moi, évidemment. Le Noble m’avait bien fait comprendre ses intentions et il me traitait toujours comme une simple fermière mal éduquée et coupable d’un terrible crime. Je possédais simplement la tenue que j’avais acquise avec Al dans le hameau près des Collines. Avec l’arrivée de la belle saison, j’avais laissé de côté le manteau et les grosses chaussettes. Néanmoins, déjà usés lors de leur achat, mes vêtements étaient à présent bons à jeter : ma chemise était effilée et raidie de crasse, la semelle de mes chaussures était percée, ce qui rendait la marche particulièrement pénible, mon pantalon était troué aux genoux et mon veston partait en lambeaux.

Sans parler de mon allure. Lorsque le Noble m’avait emmenée, je n’avais plus mon sac de toile ni ma lame. J’avais pleuré toute une soirée face à ces pertes. Mon baluchon contenait la brosse de mon arrière-grand-mère, un bracelet de ma mère et l’épée courte qui m’avait été offerte par mon père pour mes douze ans. Les derniers souvenirs qui m’avaient rattachée à ma famille. Envolés.


Parmi la troupe royale, il n’y avait que cinq femmes et elles ne m’accordaient guère d’attention ou de gentillesse. Seul Errick, leur meneur, avait fini par se montrer bienveillant envers moi, au mépris de la mise en garde du Noble. L’homme aux cheveux poivre et sel m’avait évitée les premiers jours puis s’était doucement rapproché en s’excusant de son attitude. Il n’avait pas oublié mon statut et se morfondait du comportement de ses hommes et du Noble envers moi.

Lors de mon voyage avec Achalmy, j’avais eu droit à un minimum de confort, de propreté et d’intimité, ce qui n’était pas le cas en compagnie des gardes. Lorsque j’avais voulu faire mes ablutions le surlendemain de mon enlèvement, Ace Wessex Bastelborn avait refusé de me laisser me baigner seule. Incapable de me dénuder devant eux, j’avais préféré me laver uniquement les mains et le visage. J’avais dû attendre une semaine avant de pouvoir me baigner entièrement dans une rivière. Errick m’avait prise à part pendant une pause et m’avait proposé de monter la garde pendant mes ablutions. D’abord réticente, il m’avait fallu plusieurs minutes avant de lui faire confiance et de me déshabiller. À présent, dès que j’avais besoin d’intimité, pour des ablutions ou des besoins naturels, je m’approchais de lui et il m’aidait. Sans Errick, je serais devenue folle. Crasseuse et déshonorée.

Aujourd’hui, je devais avoir l’allure d’une fermière. Mes cheveux avaient poussé, touchant mes épaules, mais le manque de brossage et de soin les avait rendus sales et abîmés. Mes ongles cassés étaient incrustés de terre, mes bras et jambes couverts d’écorchures et de bleus, et la peau de mon visage était sèche et négligée.

Déchue de mon statut, j’avais aussi perdu le confort et la facilité de vie que j’avais connus depuis toujours. Cette déchéance m’avait fait prendre conscience plus que jamais de ma chance. Le soir, lorsque je m’allongeais sur ma couverture qui sentait le moisi, je songeais à Achalmy. Comment avait-il fait pour passer tant d’années en extérieur, se nourrissant de chasse et de cueillette, dormant sur le sol, se lavant dans les rivières ? Passer quelques semaines avec ce rythme de vie m’avait beaucoup appris, mais mon lit et ma baignoire m’avaient manqué. Aujourd’hui, j’aurais donné n’importe quoi pour un peu d’eau chaude, des vêtements propres et une couche digne de ce nom.


Nous n’étions pas restés longtemps dans le Nord. Après avoir quitté le campement, nous avions marché droit jusqu’à la frontière puis avions dépassé les Collines. Heureusement, nous n’avions pas subi d’attaques de hors-la-loi. Quoi qu’avec la présence du Noble, je ne savais pas si nous craignions grand-chose. Cet homme possédait une puissance phénoménale. Je me demandais si c’était à cause de ses origines aviriennes. Néanmoins, je n’avais jamais entendu parler d’Élémentalistes dans les Terres au-delà des Mers. Sans compter, qu’en plus des éléments occidentaux, il savait manipuler l’eau sous différentes formes. Ce Noble était une énigme à lui tout seul.

Si le comte nous avait éreintés pendant notre périple dans le Nord, il avait drastiquement ralenti la cadence dès notre entrée dans l’Ouest. En plus de ne pas se diriger vers le Château du Crépuscule ou Vasilias, nous avions voyagé à une extrême lenteur. Plus de deux mois s’était écoulé depuis mon enlèvement et, pourtant, nous nous trouvions, d’après mes estimations, au beau milieu de mes Terres natales.

Je n’avais aucune idée des plans du Noble. Était-il au moins sous les ordres de mes parents ? Si non, il n’aurait pas pu faire appel à une troupe royale. À moins qu’il les eût soudoyés ? Non, plusieurs fois, les hommes avaient voulu s’en aller et Ace Wessex Bastelborn les avait retenus par la force. De plus, de toutes les pièces que nous avions récoltées en vendant les chevaux, aucune n’était revenue aux gardes.


La douceur de l’été était l’un des rares réconforts qui rendait ma situation supportable. La nuit, une simple couverture me suffisait ; l’eau des rivières n’était pas trop glaciale et nous n’avions aucun mal à trouver de quoi nous nourrir, végétal comme animal.

Comme s’il les sentait arriver, le Noble nous faisait lever le camp dès que des gens s’approchaient. Je m’en étais rendu compte lorsqu’un jour nous avions pris trop de temps pour nous préparer. J’avais pu entendre les voix et les pas de plusieurs personnes. La main gelée de l’homme sadique s’était abattue sur ma bouche au moment où j’avais voulu hurler à l’aide. Terrorisée, je n’avais plus essayé de crier dès que je sentais des gens dans les parages.


Personne ne connaissait ses plans. Pas même Errick, le chef de troupe. Ses hommes et lui-même s’impatientaient, s’indignaient de leur traitement, du temps qui s’était écoulé depuis leur départ du Château. Il n’était pas prévu que nous fassions un détour une fois les Terres du Nord derrière nous. D’après ce que j’avais entendu, mon père avait requis l’aide du comte Wessex Bastelborn pour me retrouver. Le roi lui avait confié une troupe royale et ils étaient partis. Mais comment m’avaient-ils retrouvée ? Comment avaient-ils su que je me trouvais dans le Nord et pas ailleurs ? Qui les avait guidés jusqu’au campement du Rituel du Maturité ?

Il n’y avait que les chasseurs près de Vasilias et l’élève de Maître Soho avec qui nous avions échangé assez pour qu’ils connussent notre destination. Le comte avait-il fait le tour de Vasilias en espérant trouver des témoins ? Était-il tombé sur cet attroupement de chasseurs qui leur avaient indiqué qu’une occidentale bien habillée et un jeune homme aux deux sabres avaient dormi et mangé avec eux ? Ace Wessex avait-il alors su que nous nous dirigions vers le nord ? Oui, mais après ? Comment le Noble avait-il pu deviner notre direction. « Le nord », c’était évasif. Ou alors, sachant les origines d’Achalmy, avait-il supposé que nous irions rejoindre sa patrie ?

Je ne saurais jamais.


Nous campions au même endroit depuis quatre jours. En réalité, ça aurait pu être agréable : nous avions trouvé un espace dégagé dans un sous-bois, proche d’une rivière, et protégé par la ramure chatoyante des arbres. Nous ne manquions de rien. Si ce n’était de liberté. Les échanges étaient réduits au minimum, le Noble s’assurait que nous ne nous éloignions jamais trop et nous n’avions aucune distraction si ce n’étaient les jeux de dés des gardes.

Exclue du groupe, j’étais réduite à regarder les hommes et femmes cuisiner, organiser la vie du camp et les tours de garde, nettoyer, faire le feu… De temps en temps, quand il estimait que j’étais d’humeur assez bonne pour essayer de m’enfuir, le comte liait mes poignets et m’obligeait à rester assise sur ma couverture. C’était rageant et humiliant.


L’après-midi touchait à sa fin. Adossée à un arbre, je regardais le soleil jouer entre les branches. Des oiseaux piaillaient et les insectes chantaient. Je songeais à ma famille. À l’intérêt de mon père pour mon éducation, aux petits moments complices que j’avais échangés avec ma mère, au rire malicieux d’Ash. À quel moment tout cela s’était transformé en disputes, en désintérêt, en condescendance et en mépris ? Pourquoi mon père m’avait-il trahie avec ce mariage en temps de paix et de prospérité ? Pourquoi ma mère s’était-elle détournée de moi, me brisant le cœur. Pourquoi mon petit frère avait-il cessé d’aller courir dans les champs avec moi, de monter dans les arbres et de se faire des bleus en me suivant dans les cascades ?

Pourquoi ?

Que voulaient-ils de moi ?


Parfois, je songeais à ces fiançailles. Aux mots de Maître Soho et d’Al. Ils avaient en partie raison : Dastan Samay devait être tout sauf un rustre. Grand frère de l’Impératrice, il avait été élevé par la précédente souveraine de l’empire comme étant au service de la gente féminine. Notre mariage serait une concrétisation des relations diplomatiques et commerciales entre nos Terres. Au cours de mon éducation, il m’était arrivé de lire des histoires de mariages arrangés où les époux tombaient amoureux et vivaient heureux. D’abord refusant de croire à ces fables, je me posais aujourd’hui des questions. Pourquoi ne pas lui laisser sa chance ? D’après les dires de mon père, qui l’avait rencontré lors de l’organisation des fiançailles, Dastan était un charmant jeune homme, serviable et amical.

Et si le Sudiste arrivait à atteindre mon cœur malgré nos origines et la nature de notre union ?


J’étais presque résolue. Prête à laisser une chance à Dastan Samay. Mais comment lui accorder quoi que ce fût si je ne rentrais jamais chez moi ? Je n’arrivais pas à cerner le comte Bastelborn. Quel était son but ? Ses motivations ? Son visage élégant ne trahissait, de temps en temps, que l’amusement, la convoitise, ou l’impatience. Il m’était arrivé de surprendre sur ses traits une expression si sombre qu’elle m’en donnait des frissons. Qu’est-ce qui se cachait derrière son regard perçant, ses sourires torves et son air pensif ?

Que voulait cet homme ?

Je le lui avais demandé. Il y avait plus d’un mois. Quel était son objectif.

Tout ce qu’il avait fait, c’était secouer lentement la tête, mystérieux, puis souffler « vous verrez bien ».

J’attendais. Et je ne voyais toujours rien.


Cinq gardes préparaient le repas de ce soir : un chevreuil accompagné de patates douces et de jeunes pousses. Le feu crépitait doucement dans son cercle de pierres et le reste des gardes jouait aux dés sur une couverture dégagée.

Ace Wessex Bastelborn n’était pas en vue. Cela ne voulait pas dire qu’il était parti. Simplement que je ne pouvais le voir. J’étais persuadée que lui le pouvait.

Les genoux contre la poitrine, les bras entourant ces derniers, j’avais posé mon menton sur mes mains. J’observais. Je n’avais que ça à faire. Une angoisse permanente s’était logée dans mon ventre et je craignais à chaque instant d’être abattue par le Noble.

Je sursautai quand une main se posa sur mon épaule. Retenant un cri, j’électrocutai par réflexe la personne. Errick, chef de troupe et, heureusement pour lui, Élémentaliste de la foudre, recula en grimaçant.

— Je vous ai fait peur ? souffla l’homme d’un air penaud. Désolé.

— Non, non, le rassurai-je, gênée. C’est à moi de m’excuser, je ne voulais pas vous électriser.

Il haussa les épaules et m’indiqua d’un coup de tête la rivière qui se trouvait à une trentaine de mètres.

— Vous voudriez faire vos ablutions ?

— Le repas est bientôt prêt, lui fis-je remarquer. On risque de nous attendre.

— Pff, lâcha-t-il en riant, des gardes n’attendent jamais pour manger. Allez, venez.

Avec une grimace, je me levai et m’étirai. Je récupérai le savon dur et la serviette que j’utilisais pour me laver et le suivis. Nous ne parlâmes pas le long du court trajet et, conformément à nos habitudes, nous nous éloignâmes en aval pour plus de tranquillité. Le comte Bastelborn savait ce que nous faisions et il ne cherchait pas à nous trouver. Tant que nous étions de retour avant un quart d’heure, il nous « faisait confiance ».

Nous inspectâmes les alentours pour nous assurer de l’absence d’une quelconque personne et Errick alla monter la garde, dos à la rivière, bien campé sur ses appuis, l’arme à portée de main. Je m’installai sur la berge et commençai à retirer mes couches supérieures. Je posai mes chaussures le plus loin de l’eau et entrepris de laver les vêtements qui en avaient le plus besoin. Une fois ma tâche accomplie, je les étendis sur le sol en les exposant le plus possible au soleil et entrai dans l’eau. Le courant était presque nul, mais la rivière n’était pas chaude pour autant. Très vite refroidie, je frottai rapidement ma peau avec le savon et plongeai tête sous l’eau pour laver mes cheveux.

Quand je remontai à la surface, le comte Bastelborn était nonchalamment assis sur la berge opposée, en train de graisser son épée fine.

La surprise m’arracha un cri. L’homme releva les yeux et m’adressa un sourire fugace.

— La pudeur des Hommes me fascinera toujours. Vous acceptez d’exposer certaines parties de vos corps, mais pas d’autres. Pourquoi ? Qu’est-ce qui rend votre poitrine ou votre entrejambe plus intime qu’un bras ou qu’une bouche ?

Ses paroles me percutèrent de plein fouet. Le visage brûlant de honte, je m’enfonçai dans l’eau jusqu’au menton en espérant que l’eau floutât assez mon corps nu.

— Comte Bastelborn ?

Je tournai la tête derrière moi. Errick nous toisait avec stupéfaction.

— Capitaine Errick Rend, c’est honorable de proposer à votre princesse de surveiller ses ablutions, mais, au cas où vous n’auriez pas remarqué, vous ne pouvez surveiller qu’une seule berge.

— Laissez-la tranquille, lança l’homme en foudroyant le Noble du regard. Vous lui avez tout enlevé, daignez lui laisser son intimité.

— Je ne m’intéresse guère aux jeunes femmes, soupira le comte. Ni au reste. Je n’ai pas ce genre de considération… mortelle. La sexualité est la faiblesse de votre peuple.

Comme toujours, sa façon de parler me sonnait. Il s’adressait à nous comme si nous n’appartenions pas au même monde. Était-ce parce qu’il était originaire des Terres au-delà des Mers ? Les Hommes de là-bas étaient-ils si différents de nous ?

— Alice Tharros, reprit le comte en me regardant dans les yeux, vos petites escapades avec le capitaine Rend vous font peut-être croire que vous avez encore un soupçon de liberté, mais c’est faux. (Il se leva en s’étirant comme un chat.) Chaque fois que vous vous êtes éloignés, je vous ai surveillés.

Je me sentis blêmir en comprenant l’étendue de ses mots.

— Chaque fois que vous vous pensiez seuls, j’étais là. (Il m’adressa un sourire mielleux.) Vous êtes une marchandise trop précieuse pour être laissée hors de vue.

Cette fois, le malaise et la honte manquèrent de m’arracher des larmes. Combien de fois m’étais-je déshabillée, pensant être seule ? Combien de fois m’avait-il vue nue, caché dans les bois ?

— Vous êtes un monstre, bredouillai-je d’une voix tremblante.

Comme si je venais de lui annoncer quelque chose d’incroyable, il me fixa d’un air stupéfait. Puis il éclata de rire.

— Je ne suis pas un monstre. C’est vous le monstre, jeune humaine. Vous, vos amis, vos gardes, votre famille… Ce sera trop tard quand vous vous en rendrez compte. Vous aurez déjà tout perdu.

La fureur flouta ma vision. Qui était cet immonde individu pour espionner une femme pendant sa toilette, pour la traiter de monstre, elle et ses connaissances ?

— Allez-vous-en ! tonnai-je en levant les bras hors de l’eau. Ou je vous ferais du mal.

Il s’esclaffa.

— Vous savez ce dont je suis capable, Alice Tharros. (Il s’approcha de la berge d’un pas lent, provoquant.) Vous savez que vous ne pouvez rien contre moi.

Se moquant de l’eau qui envahissait ses chaussures, il rentra dans la rivière, ses yeux déments posés dans les miens. Un frisson de dégoût remonta le long de mon échine et je reculai alors qu’il avançait.

— Essayez donc, souffla-t-il d’une voix charmeuse. Appelez vos vents, vos éclairs. Appelez-les.

Les souffles qui faisaient bruisser les branches s’intensifièrent. Le ciel gronda au loin.

Ça oui, je les appelle.

— Faites-le ! tonna le Noble en écarquillant les yeux, à seulement quelques mètres de moi.

Il devait clairement me voir, à présent. Mais son regard n’avait pas quitté une seule seconde le mien. Je ne comprenais pas ses intentions.

Comme si ses vêtements gorgés d’eau ne le gênaient pas, il continuait d’avancer dans la rivière d’un pas ferme.

La peur m’étreignit la gorge.

— Par Aion, soufflai-je d’une voix sourde, sentant les larmes affluer dans mes yeux.

Le comte se figea, le visage soudain tiré.

— Aion ?

Sa surprise me prit au dépourvu. Les bras croisés sur la poitrine, tremblante, je le dévisageai.

— Pourquoi Aion ? finit par demander le Noble, réellement curieux. D’habitude, vous êtes là à pleurnicher sur vos morts, maudissant Lefk et suppliant Galadriel. Priant Kan d’épargner votre corps débile et votre esprit fragile, suppliant Eon de laisser la culture d’Oneiris s’étendre toujours plus loin. Mais jamais Aion.

Glacée par l’eau et par l’homme, je ne lui répondis pas tout de suite.

Son visage se plissa comme celui d’un enfant capricieux et il cria, impatient :

— Expliquez-moi !

Je sursautai en glapissant. Je n’étais pas fière de moi, nue et tremblante au milieu de l’eau, terrorisée par un homme dément.

— Ne la brutalisez pas ! s’insurgea Errick en s’avançant vers nous.

Je voyais bien qu’il prenait soin de ne pas baisser les yeux vers moi. Malgré tout, son regard divagua et il se détourna, gêné. Je me sentis rougir un peu plus.

— Mêlez-vous de ce qui vous regarde, siffla le Noble en levant les yeux.

J’entendis un bruit sourd derrière et moi et tournai la tête. Un hoquet de stupeur souleva ma poitrine. Errick s’était effondré, face contre terre. Je n’avais pourtant pas senti le moindre souffle d’air ou de lourdeur électrique.

— Mmh, plus faible que votre cher ami le Chasseur, constata le comte d’un air pensif.

La mention d’Achalmy m’arracha un frisson.

— Donc, reprit le Noble en basculant son regard de nouveau sur mon visage, où en étions-nous ? Ah ! oui. Le Dieu Aion.

— Il… commençai-je d’une voix chevrotante, effrayée à l’idée de lui donner une mauvaise réponse, il est le Dieu de la matière et des éléments. Le protecteur des Élémentalistes. Nous… invoquons son nom lorsque nous avons besoin de courage, car il est synonyme de force et de vaillance. On dit… qu’Aion peut avoir la douceur de l’eau, la fougue du feu, la dureté de la glace, la liberté du vent, la beauté des fleurs, la subtilité des sols ou la rapidité des éclairs.

Visiblement satisfait de ma réponse, le comte me toisa d’un air pensif.

— Bien, jeune fille.

Le soulagement vida l’air de mes poumons et m’incita à pleurer. Mais j’étais trop effrayée pour pleurer.

Comme si rien ne s’était passé depuis quelques minutes, il fit demi-tour et sortit de l’eau. Ses cheveux étaient trempés, ses vêtements dégoulinaient, mais il se contenta de repartir dans les sous-bois sans un regard pour moi.

Cet homme était fou.


Dès que je fus certaine de son absence, je sortis de l’eau à toute vitesse, me rhabillai de mes vêtements encore humides et secouai Errick. Mes cheveux dégoulinaient sur ma chemise, humidifiant son col et me refroidissant encore un peu plus.

Comme je n’arrivais à rien avec Errick, je le tournai sur le dos avec un grognement. Il était blême et son nez saignait. Je vérifiai son pouls à la base de sa mâchoire et soupirai en sentant le battement régulier bienfaiteur.

Cette fois, je ne pus me retenir. Les sanglots secouèrent sans douceur mes épaules, mon nez coula et mes yeux furent aussi mouillés que mes cheveux. Le visage entre les mains, agenouillée près du corps inerte d’Errick, je laissai le soulagement, la terreur, l’angoisse et l’injustice m’arracher la poitrine.

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